Le sujet par excellence, que tout acteur de l’Education Numérique rêverait de réaliser.
Tour a tour, Catherine Stasser de la Région Wallonne, Henriette Zoughebi – Vice-Présidente chargée des lycées de la Région Ile-de-France et représentante de l’ARF, Marie-Christine Cavecchi – Présidente de la commission éducation numérique à l’ADF, et Pascale Luciani-Boyer – Maire-adjointe de St Maur, représentante AMF au Conseil National du Numérique se sont prêtées au jeu de la projection vers une nouvelle ère numérique dans l’éducation, pour les 10 ans à venir.
Pourquoi s’interroger aujourd’hui sur cette question ? Ne menons-nous pas depuis 10 ans déjà ce type de réflexion ?
Tous s’accordent à dire qu’après 10 ans d’expérimentations variées sur les usages numériques, après 10 ans de réflexions diverses sur les problématiques aujourd’hui connues de tous (maintenance, financement, équipements, intégration des ressources numériques, formation et suivis pédagogiques des enseignants, etc.), l’heure est à la généralisation des usages.
Mais cette généralisation ne pourra se faire que si l’on tient compte de l’environnement dans lequel baignent au quotidien, enfants et ados : le partage des savoirs et des ressources numériques conditionne les usages et a fait exploser depuis déjà plusieurs années les frontières éducatives et pédagogiques de l’établissement scolaire.
L’établissement scolaire : entre partage des savoirs et structuration des compétences
Selon Henriette Zoughebi, la prolifération des ressources auxquelles nos jeunes et nos enseignants ont aujourd’hui accès, change la donne pédagogique : les lycéens souhaitent aujourd’hui être actifs dans la construction de leurs apprentissages.
Les ENT mis en place par les régions serviront au partage et à la structuration des savoirs.
Mais la question majeure qui reste encore en suspend est bien celle des ressources numériques.
« Le ministère retravaille actuellement les programmes, mais quelle place donnera t-il réellement aux ressources numériques? Les fera t-il rentrer par la grande porte des nouveaux programmes ou laissera t-on encore le champs libre au monopole de Google ou autre leader américain ?« , s’interroge Henriette Zoughebi.
La seule solution qui prévaut en la matière est “d’orchestrer une gouvernance inter-académique, afin de nous aider en tant qu’entité régionale à uniformiser l’égalité des chances entre les élèves tel que le souligne la loi”.
Nos établissements ne sont plus adaptés pour favoriser la continuité éducative.
Aussi, dans un monde de plus en plus complexe ou chaque jour apporte son lot de nouvelles ressources et d’informations diverses, l’enjeu éducatif majeur repose sur la manière dont les acteurs pédagogiques permettront aux élèves de se structurer dans une continuité éducative.
La salle de classe, l’établissement scolaire de demain ou l’espace virtuel dédié doit donc permettre aux enseignants de remplir pleinement leur rôle de pédagogue, non plus dans l’unique transmission des savoirs tel que l’entendait nos parents mais dans une structuration de ces connaissances, auxquels les élèves et les enseignants ont accès aujourd’hui si facilement.
De part cette perpétuelle circulation et partage des savoirs et des connaissances, dans et en dehors de l’établissement, Henriette Zoughebi pose ainsi très vite le problème d’une Ecole qui ne serait plus uniquement dans ses murs mais également au-delà, dans une architecture virtuelle.
Les jeunes sont parties prenantes du monde, et ne structurent plus leurs connaissances et leurs compétences exclusivement dans l’espace dédié de l’école.
Ceci suppose alors une réorganisation architecturale des bâtiments.
« On croyait que les lycées ou les collèges étaient construits une fois pour toute », précise Marie-Christine Cavecchi, « mais l’Ecole de demain qui vivra avec les usages transversaux du numérique va devoir être repensée dans son architecture ».
Cette question suscite immédiatement un intérêt particulier de la salle qui nourrit le débat à travers de pertinentes questions ou des propositions sur la réorganisation des salles de classe et des espaces communs, sur la place des espaces dédiés aux apprentissages virtuels, sur la nécessité de changer de paradigme afin de ne plus organiser la pédagogie par programme mais par projet.
Comment établira t-on donc le lien entre ce qui se passe à l’école et ce qui se passe à la maison ?
Nos établissements ne sont plus adaptés pour favoriser la continuité éducative, soutient Marie-Christine Cavecchi.
Les collèges ont été conçus pour aider les élèves à passer de l’enfance à l’adolescence. Or, depuis plusieurs années, les élèves vivent dans deux mondes parallèles, dans celui du numérique en mobilité et dans l’établissement scolaire qui n’a pas encore reconnu et exploité les usages du numérique.
Deux siècles (XXeme et XXIeme) qui se côtoient, essaient de dialoguer dans des salles informatiques désuètes, sans pour autant se comprendre.
La transversalité des usages du numérique permettra de ramasser davantage les espaces, en réorganisant les salles de classes et les espaces communs par projet.
Les espaces communs devront en effet être redéfinis car des salles telles que celles dédiées au CDI, qui mettent des ordinateurs à disposition des élèves, n’auront plus de raison d être. Les fonctions du CDI pourront être redéployées dans les différentes classes.
“Nous pourrons, de ce fait, partager les espaces de façon différente en travaillant mieux avec le périscolaire » précise Marie-Christine Cavecchi.
Une gouvernance élargie aux parents
Henriette Zoughebi renchérit, « le jeune a également besoin de la dimension physique et du contact réel pour se construire donc ne pas uniquement évoluer dans le virtuel ; aussi, la question essentielle que nous aurons à résoudre sera justement liée au devenir du nouveau centre de connaissance et de culture, car le centre de ressources ouvert vers l’exterieur est le cœur battant d’un établissement. Et pour cela nous aurons besoin de consulter l’ensemble des futurs usagers et acteurs directement ou indirectement impliqués, dont les parents”.
La participation des parents dans une nouvelle gouvernance devient alors indispensable dans le cadre d’une redéfinition des frontières du scolaire, du périscolaire et parascolaire, dans une libre circulation des savoirs dans et en dehors de l’établissement.
“Un nouveau collège s’ouvre à nous » conclut Marie-Christine Cavecchi. « Mais penser une telle restructuration suppose bien évidement la mobilisation de moyens, et une maintenance que les départements et les régions sont prêtes à assurer, si les compétences territoriales sont transférées comme il se doit par l’Etat« .
Les dimensions pédagogiques de demain, antinomiques avec les raisonnements d’aujourd’hui…
A cette prospective, Pascale Luciani-Boyer pose le problème du décalage entre la projection de l’école de demain et les freins de mise en œuvre, qui “limite l’école numérique d’aujourd’hui à une prolifération d’expérimentations/vitrines, sans pouvoir envisager une quelconque politique de généralisation sérieuse.”
Or, ce décalage est, selon Pascale Luciani-Boyer, exclusivement dû à un raisonnement faussé où ne sont pas pris en compte les bons facteurs et modèles économiques qui font notre société d’aujourd’hui.
“Depuis 10 ans on se pose toujours les mêmes questions, se désole t-elle, on ne cesse de rêver de l’école décloisonnée, ou, aujourd’hui, de l’école inversée »
« On déplore que les collectivités aient des finances en berne, et ne peuvent assurer l’équipement ou la maintenance des outils, on imagine que le numérique puisse aider l’enseignement à ne plus être uniquement un passeur de connaissances mais également un développeur de compétences pour les futurs citoyens. Mais on raisonne sur l’Ecole de demain en ne tenant compte que des paramètres des moyens d’hier et d’aujourd’hui”.
Or, pour se projeter vers l’école de demain où les échanges pédagogiques pourront s’effectuer sur des lieux différents, encore faut-il s’assurer que les élèves dans leurs familles ou en mobilité soient eux même équipés comme le reste de la société dans laquelle se place l’école.
“Cessons d’attendre que les collectivités fournissent tous les équipements et assurent la maintenance ! Pourquoi ne pas envisager que les élèves soient eux-mêmes, individuellement, équipés ?”
Pascale Luciani-Boyer s’appuie à cet effet sur la traditionnelle liste de fournitures de rentrée scolaire, qui intègre avec les vêtements et autres cahiers, une calculette…
“Or, la baisse progressive et inévitable de la tablette numérique ou de tout autre appareil mobile connecté, permet d’envisager que l’élève travaille avec son propre matériel comme il le fait déjà avec sa calculette, ou ses stylos sans que personne depuis des années n’ait même pensé mettre les collectivités à contribution pour ce type de matériel”, souligne t-elle.
La collectivité devra bien sûr subvenir aux équipements individuels des enseignants et, pour les familles les plus défavorisées, d’autres leviers publics sont à l’œuvre . “On peut penser ici, rappelle Pascale Lucini-Boyer, au rôle de la CAF au travers de l’allocation de rentrée scolaire par exemple”. Un acteur public, qui n’est en effet jamais pris en compte dans la définition de nos modèles d’équipements pour l’école de demain.
“Osons mettre un terminal connecté pour chaque enfant de France scolarisé, c’est juste une volonté politique”, conclut Pascale Luciani Boyer.
De nouveaux modèles économiques seraient donc à réfléchir pour l’école numérique de demain ainsi que les architectures de connections correspondantes.
Article rédigé par Marie-France Bodiguian, Cabinet AMO-TICE