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L’éducation nationale face à la dialectique entre promesse politique et imaginaire technologique

Fidèle au thème que s’est donné Ludovia cette année, cette grande conférence de fin de journée a réuni plusieurs grands acteurs pour discuter de la question de l’éducation nationale face à la dialectique entre promesse politique et imaginaire technologique. La table ronde, sous l’animation de Philippe Moles, fut divisée en deux temps : d’abord à savoir si les promesses des TICE ont été tenues, et deuxièmement ce qu’on peut imaginer en matière de numérique pour les dix ans qui viennent.

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1er sujet : regards sur le passé

Le premier tour de table fit appel aux intervenants de manière à résumer les réalisations TICE, particulièrement dans les dix dernières années, dans leurs divers champs de compétence. Dans cette première partie, nous relatons les éléments du discours qui sont liés à la question.

Ludovia_confpol_YernaRaymonde Yerna, Chef de cabinet adjointe du Ministre Marcourt, représentant la Wallonie, présente l’action actuelle de la région en matière de TIC et TICE.

Après le plan Cyberécole, lancé dès 1999 et qui avait permis de diffuser près de 20.000 ordinateurs dans les classes des écoles de la Région wallonne, le plan Cyberclasse a été initié en 2005. Il visait cette fois l’installation de 40.000 ordinateurs dans les 3.350 implantations scolaires.

Ce deuxième plan d’équipement se terminant bientôt, et en vue de préparer l’avenir en termes d’équipement et d’encadrement,  les Ministres respectivement en charge de l’enseignement obligatoire et de promotion sociale et de l’enseignement supérieur et des technologies nouvelles, ont souhaité initier une nouvelle dynamique. Dynamique qui s’inscrit dans un plan de redéploiement économique et créatif – ”Creative Wallonia”.

C’est dans ce cadre et cette optique que le projet pilote “Ecole numérique” est initié. Celui-ci suit des objectifs stratégiques pour la région visant l’augmentation des usages des TIC dans l’approche pédagogique, l’amélioration et la modernisation le fonctionnement de la communauté éducative en vue de créer les conditions pour que l’éducation des jeunes tire profit de la société numérique.

Les axes d’actions du projet permettront de tester de nouveaux équipements et connexions dans un système mouvant et en perpétuelle révolution. En parallèle augmenter la formation initiale et continuée des enseignants en favorisant de nouvelles formations aux usages. Enfin soutenir une communauté éducative active basée sur l’expérience et le partage.

A termes, ce projet pilote doit et après retour d’expérience, être étendu et devenir le moteur de l’action TIC et TICE de la région.

Selon Catherine Becchetti-Bizot, Inspectrice Générale chargée par le Ministre de la préfiguration de la direction du numérique éducatif, le tâtonnement a marqué la réflexion et les actions ces dernières années, tant au ministère qu’ailleurs, tantôt pour imposer, tantôt pour proposer des solutions. Aujourd’hui, on cherche davantage des stratégies intégrées, incluant les méthodes d’apprentissage.
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Parmi les autres nouveautés qu’elle décèle aujourd’hui, elle cite l’acceptation générale que l’école est désormais dans le numérique, le changement paradigmatique des TICE vers les usages, le phénomène global d’une culture numérique, l’urgence de réduire les inégalités sociales, la reconnaissance des TICE dans la lutte au décrochage, la possibilité de répondre aux besoins particuliers (notamment les usagers défavorisés), la démocratisation de l’accès et de la production des ressources culturelles, la préparation aux métiers de demain, et le développement d’une filière de développement de ressources numériques.

À savoir si les promesses ont été tenues, elle demande « quelles promesses? »

Des promesses ont-elles réellement été faites à l’avènement du numérique? Si oui, elles ne pouvaient guère anticiper l’énormité du changement à venir. Elle souligne également que dans ses débuts, les TICE manquaient cruellement de fondements.

Elle reconnait que le numérique constitue un formidable accélérateur de changement. Elle a cette conviction personnelle que si on outille les enseignants, ceux-ci participeront au changement. Cependant, il faut changer les pratiques pédagogiques en fonction du potentiel des nouveaux outils numériques. C’est alors seulement qu’il y aura une réelle prise de conscience des enseignants de la valeur du numérique.

Hélène Bernard, Rectrice de l’Académie de Toulouse, est d’avis que le numérique pour lui-même, dans les collectivités territoriales principalement, ne peut suffire. Beaucoup d’argent a déjà été dépensé, mais une sous-utilisation des moyens techniques n’a pu effectuer les changements nécessaires.

Les difficultés observées plus tôt en Wallonie sont transposables à d’autres entités administratives. Par conséquent, il importe de former la communauté éducative dans son ensemble, non seulement les enseignants, mais aussi les chefs d’établissement, tous moteurs de changement. La formation demeure une question primordiale, et des initiatives ont cours afin de stimuler l’expérimentation des outils et des pratiques pédagogiques, sensibiliser les praticiens aux multiples dimensions des usages, offrir un soutien en ligne, proposer des ressources pédagogiques avec une granularité spécifique pour les enseignants et les usages souhaités (l’Académie est par ailleurs un producteur associé aux enseignants dans ce cadre), et organiser des réseaux de référents, d’innovateurs, de producteur de contenu et de nouveaux usages afin de communique au mieux les expériences.

Pour Viviane Artigalas, Vice-Présidente en charge de l’enseignement secondaire et des TIC, région Midi-Pyrénées, la fracture numérique demeure un souci important, que la région souhaite réduire. Sur le plan des équipements, de 3 à 4 millions € sont mis en oeuvre annuellement pour ces politiques. Ces investissements reposent sur l’adéquation avec les besoins des établissements, dans la conviction que le développement de nouveaux usages passe par un équipement complet et un accès fluide.

Aujourd’hui, tous les établissements sont dotés d’ENT, avec un  souci de répondre aux usages spécifiques des établissements. Cette évolution est rendue possible grâce à un plan de raccordement Internet en fibre optique de tous les établissements scolaires et établissements publics.

Prenant la relève, Marie-Christine Cavecchi, Présidente de la Commission éducation numérique à l’Assemblée des Départements de France, évoque qu’à ses débuts, les TIC s’avéraient un objet de prédilection pour se faire du bénéfice politique. Les politiciens ont alors imaginé l’outil comme une réponse simple à un problème complexe, faisant miroiter des avantages pratiques. Il s’en est suivi une certaine concurrence entre les collectivités.Ludovia_confpol_Cavecchi

Elle constate aujourd’hui que les outils numériques remettent en question les relations entre humains.

De plus, ils ont transformé le rapport à l’intelligence et au savoir, maintenant collectif.

Pascale Luciani-Boyer, Présidente de la commission numérique à l’Association des maires de l’Île-de-France et représentante de l’Association des maires de France au Conseil National du Numérique, fait valoir qu’on a été obnubilé par les outils, en négligeant de regarder comment ils allaient transformer toutes les sphères de la société. Au constat des erreurs commises, elle souligne l’importance de colliger des données de « benchmarking » pour le développement à venir.

Heureusement, il y a aujourd’hui une réelle préoccupation des enjeux sociétaux. Dans la sphère scolaire, elle constate qu’un dialogue général s’est établi autour de numérique, mais qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

En abordant la question sous l’angle de l’entreprise privée, Angelica Reyes, de Microsoft Éducation, affirme que les moyens numériques doivent être intégrés, ce qui n’est pas le cas actuellement. Par ailleurs, elle croit que la création de l’Association Française des Industriels du Numérique dans l’Éducation et la Formation (AFINEF), est un regroupement intéressant pour faire évoluer les TICE.

Justement, Hervé Borredon, président de l’AFINEF, présente cette association composée de 36 acteurs de l’industrie techno-éducative, qu’il considère une véritable filière de ressources éducatives. Il rappelle que celles-ci ont énormément évolué depuis dix ans. En 2003, par exemple, on assistait aux débuts du iPod et des tableaux blancs interactifs, tandis que les ENT supportaient à peine les PowerPoint.

 

2ème sujet : regards sur l’avenir


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Le second tour de table, plus rapide en raison du temps qui filait, a porté cette fois sur les prospectives au regard des TICE durant la prochaine décennie. Quoique les prédictions sont toujours difficiles, particulièrement au vu de l’accélération de l’évolution, elles demeurent néanmoins intéressantes, quand on met en commun l’ensemble des analyses, pour tenter d’y voir plus clair.

Angelica Reyes, de Microsoft, ouvre la discussion en évoquant des technologies déjà émergentes et remplies de promesses. Les appareils tactiles viennent d’abord à l’esprit. Elle donne ensuite en exemple des technologies sans doute moins connues, notamment les technologies immersives, l’inter-connectivité des objets et la visioconférence avec traduction simultanée. Au-delà des technologies, elle croit que la baisse des prix rendra les technologies actuelles plus abordables, accélérant ainsi le passage au BYOD (bring your own device / apportez votre propre appareil) et augmentant du coup la demande sur les infrastructures de bande passante.

Pour Hervé Borredon de l’AFINEF, il importe d’écourter les délais entre l’adoption sociale des technologies et leur intégration scolaire. Pour y arriver, il y lieu de reconsidérer les rapports dans le triptyque gouvernement-éducation-industrie.

Pour Raymonde Yerna de la Wallonie, il est indubitable que les outils numériques vont évoluer. Du coup, le rôle de chaque acteur va et doit aussi évoluer. Dès lors que le savoir est accessible en tout temps et en tout lieu, l’enseignant devient le centre de l’action pédagogique, celle-ci étant de plus en plus assistée des nouvelles technologies, d’où l’intérêt de développer des partenariats publics-privés.

D’entrée de jeu, Catherine Becchetti-Bizot du ministère dément l’opinion trop répandue voulant que les TIC ne soient que des outils. En guise d’exemple, les instruments de lecture et d’écriture modifient fondamentalement les pratiques établies. Les outils ne sont donc pas neutres, ni sur le plan pédagogique qu’éducatif, voire économique et social. Par conséquent, les outils ont également un envers contraignant. L’outil ne fait pas tout, mais il fait beaucoup. Il importe désormais de comprendre le texte qui se dissimule sous le texte, soit le code ou les métadonnées, tout comme le langage des médias.

Elle souligne que la verticale de la gouvernance n’est plus ce qu’elle était et qu’elle permet aujourd’hui la collaboration. L’occasion est belle de s’unir pour travailler à la reconstruction de l’espace et du temps scolaire, de changer les modes d’évaluation, et de ramener le plaisir et le jeu dans l’apprentissage.

Hélène Bernard de l’Académie de Toulouse poursuit en évoquant la numérisation des manuels et en demandant si on en viendra à la disparition du papier. Ces exemples soulignent quant à elle l’urgence d’une réflexion nationale sur la prospective. Beaucoup d’argent et d’énergie sont consacrés au virage numérique. Il faut donc coordonner les actions entre les collectivités et l’État afin d’éviter les gaspillages et favoriser l’innovation.

Viviane Artigalas, de la région Midi-Pyrénées, continuera de prioriser, du moins dans le proche avenir, l’enrichissement des ENT en contenus pédagogiques et l’implantation des équipements numériques. Pour sa part, Marie-Christine Cavecchi de l’ADF s’inquiète du décalage croissant entre l’État et les collectivités et réclame plus de moyens pour répondre à la motivation des collectivités. Par ailleurs, la mutualisation semble indispensable, tant les solutions proposées par l’industrie coûtent cher.

Enfin, Pascale Luciani-Boyer de l’AMIF croit important de continuer à rattacher les TIC aux enjeux électoraux. Du côté des écoles, les nouvelles approches éducatives doivent être en cohérence avec ce que sera le citoyen de demain. Il faut donc se pencher, non pas sur les outils, mais sur une vision plus globale de l’enseignement et des TICE.

Somme toute, il appert que d’importantes divergences existent entre les instances nationales, territoriales et locales, tant dans les bilans que dans les prospectives. Le clivage entre les considérations matérielles et pédagogiques, plutôt que de s’atténuer, semble au contraire se creuser. Si les promesses de la dernière décennie en matière de TICE ne se sont pas réalisées, il faut espérer qu’elles serviront de leçon pour celle qui s’amorce.

 

 

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