Être un citoyen numérique éclairé, les compétences du XXIe siècle : un enjeu majeur
Pour cette table-ronde #Ludovia13 animée par Jean-Marie Gilliot, différents acteurs du numérique à l’Ecole ont été réunis. Trois enseignants étaient présents : Marie-Noëlle Martinez, professeur des écoles et Sandrine Larrieu-Lacoste, enseignante de mathématiques en collège, ainsi que Nicolas Le Luherne, enseignant en lettres et histoire-géographie en lycée professionnel.
Leur point de vue était complété par celui de Cédric Merchet, Principal du collège de Villefranche de Lauraguais, et Richard Galin, Chef de projet EMI et culture numérique à la DNE au ministère de l’éducation nationale.
La question de la citoyenneté numérique était au coeur de cette table-ronde : la formation d’un citoyen compétent notamment dans les usages du numérique peut-il conduire à construire une société plus harmonieuse?
“Citoyen numérique” ?
Jean-Marie Gilliot, animateur, débute la table ronde en demandant à chaque intervenant sa définition de “citoyen numérique”.
Selon Marie Noëlle Martinez, c’est la capacité à vivre en société, à respecter les droits et les devoirs. Le rôle des enseignants est de donner aux élèves tous les outils nécessaires pour vivre dans la Société Numérique.
Pour Sandrine Larrieu-Lacoste, le numérique n’est qu’un volet de la citoyenneté.
Cédric Merchet est le chef d’un établissement “préfigurateur” : il sera doté de tablettes numériques pour la rentrée. Il estime que dans cette période trouble, beaucoup d’informations sont véhiculées par Internet et qu’il faut développer l’esprit critique des élèves.
Richard Galin expose la définition issue de l’Unesco, dans le référentiel de 2011 pour les enseignants : “Citoyenneté numérique : fait de posséder des équipements et des compétences TIC qui permettent de participer à une société numérique, par exemple d’accéder à des informations gouvernementales en ligne, d’utiliser des sites de réseaux sociaux et de faire usage d’un téléphone mobile.”
Pour Nicolas Le Luherne il n’existe pas de citoyenneté numérique à proprement parler, mais une dimension numérique à la citoyenneté. Ces aspects numériques sont divers : accès à une bibliothèque d’informations, capacité à produire du discours etc. De ce fait, on doit leur donner une éducation pour un usage raisonné d’internet.
La définition de la Citoyenneté qui ressort est une “prolongation de la citoyenneté vers le numérique”.
Quels enjeux sociétaux ? Quelles compétences développer par rapport à ces enjeux ?
Pour Cédric Mercier, l’enjeu est de former un citoyen capable d’exercer les métiers du futur : 65% des métiers qu’exercent les enfants qui sont aujourd’hui dans le primaire n’existent pas encore. Nous savons qu’ils seront dans le domaine du numérique, de la robotique etc. Les compétences nécessaires sont donc très différentes de celles d’aujourd’hui.
Richard Galin rappelle à ce propos la Loi de refondation de l’école : « le service public de l’éducation prépare les élèves à vivre en société et à devenir des citoyens responsables et libres, conscients des principes et des règles qui fondent la démocratie” (art. 12). Ce texte contient une quinzaine d’occurrences du mot de citoyenneté qui évoquent deux aspects qui peuvent paraître similaire mais sont en réalité complémentaires : s’insérer dans une société et trouver sa place dans cette société qui évolue rapidement.
Par ailleurs, Nicolas Le Luherne souligne une crise de la citoyenneté qui apparaît aussi dans les classes. L’idéal Républicain est en difficulté, les élèves ne semblent pas trouver de légitimité dans leur citoyenneté. Il faut les éclairer sur ce que signifie être citoyen en France.
Or, dit-il, “avant qu’il y ait une lumière, il faut câbler” et c’est à l’Ecole de fournir cette connectique, notamment via le numérique qui envahit leur quotidien. Pour une enseignante dans la salle, il est essentiel de leur donner une formation à l’esprit critique : être capable de donner de la valeur à un discours, de l’analyser. L’enjeu du numérique est d’apprendre aux élèves comment vivre ensemble au travers d’un outil qui les met seuls devant un écran. Malika Alouani, dans le public également, propose d’apporter avant tout une connaissance de soi à l’élève pour développer ses capacités à entrer dans une démarche empathique qui lui permettra de se mettre en lien avec les autres de façon harmonieuse.
Pour Sandrine Larrieu-Lacoste et Marie-Noëlle Martinez, le numérique permet d’ouvrir la classe vers des enjeux plus larges que la classe. Elles exposent leur retour d’expérience avec un projet proposé par le CNES et le programme “Argonautica” ( pollution des océans par les plastiques) . Ce projet a permis une prise de conscience de la part des élèves : ils sont citoyens du monde et pas uniquement d’une commune de la banlieue toulousaine . Grâce au numérique, les échanges se sont vus favorisés.
Dans la salle, Delphine Regnard (DNE) déplore que les enjeux jusqu’ici évoqués sont difficiles, dramatiques. On en oublie la force de créativité et de partage qu’apportent les outils numériques, c’est aussi un enjeu de société.
Quelles compétences développer autour du numérique ?
Richard Galin cite la circulaire de mise en oeuvre du parcours citoyen du 20 juin 2016.
En effet, le socle commun de connaissances, de compétences et de culture et les programmes scolaires, de l’école au lycée, repose sur des principes généraux […], soit 13 principes dont premier concerne les “modes collaboratifs de travail”. Pour illustrer concrètement le travail autour de ces compétences, Cédric Mercier expose les projets numériques qui sont mis en place dans son collège dans le cadre de la réforme de 2016. Pour éduquer aux médias et à internet, un EPI consiste à préparer un festival du court-métrage et un autre à réaliser un journal télé. Pour développer la capacité à utiliser le numérique au service de ses apprentissages, les SVT et l’EPS s’associent dans un carnet individuel du sportif sur tablette. La créativité est développée dans la réalisation d’un jeu plateau avec les enseignants de technologie, utilisant l’imprimante 3D. Enfin, dans le cadre de l’accompagnement personnalisé, le numérique permet de faire de la différenciation.
Comment créer des alliances éducatives pour mener des projets numériques ?
Le tissu associatif, les acteurs scientifiques…sont autant de partenaires de l’École qui permettent de créer facilement des alliances sur des projets. Sandrine Larrieu-Lacoste et Marie Noëlle Martinez exposent leur partenariat avec le CNES et ECOLAB. Dans la salle, Malika Alouani présente son projet intergénérationnel mis en place avec Synlab. Le projet intergénérationnel classe-relai/EPHAD/ Ecole d’ingénieurs mené par Monique Argoual est cité aussi en exemple.
Les alliances numériques se forment aussi grâce aux réseaux sociaux qui renforcent la communication entre enseignants. Les événements éducatifs favorisent aussi ces partenariats : Sandrine Larrieu-Lacoste et Marie Noëlle Martinez se sont rencontrées à Ludovia lors de la session 2015 et ont monté à la suite ce projet.
Quelle formation des enseignants en Éducation aux médias et à l’Information (EMI) ?
Il faut avant tout penser à offrir un cadre sécurisant aux enseignants, au travers d’un matériel qui fonctionne, mais aussi les former à des usages responsables et professionnels.
Les chefs d’établissement ne doivent pas être oubliés dans ce besoin de formation : les référentiels de compétences concernent tous les personnels de l’éducation. Chacun des personnels de l’éducation doit être au clair avec ses engagements et ses responsabilités vis à vis du numérique. L’attitude la plus courante est le “c’est pas grave”. Les personnels de l’éducation doivent dépasser l’ignorance pour former à la connaissance et créer une vraie culture numérique.
Enfin, la formation pour les familles est autant essentielle. La culture numérique n’est pas acquise, ne va pas de soi.
Synthèse assurées par Laurence Juin et Caroline Jouneau-Sion
Dessin illustration : CIRE