POINT DE VUE

Pastèques, grappes de groseilles et éducation numérique ! (1/4)

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Cela ne va pas bien…

Point besoin ici de rappeler les rapports qui ont ausculté au cours des dix dernières années la situation de l’éducation et du système scolaire dans notre pays. Cela ne va pas très bien. Pas comme il faudrait. Il y a un bug dans l’éducation à la française, peut-être bien un virus ou un début de maladie de la dégénérescence.

L’introduction de l’informatique, de l’audiovisuel, du numérique, de l’internet, du multimédia des réseaux, des jeux éducatifs, du serious game, etc, bref des écrans, dans l’enseignement a aussi été analysée sous toutes les coutures. Les recommandations se comptent par dizaines. Point besoin non plus ici de les évoquer.

Aussi, j’ai envie de parler d’autorité, d’ennui et de plaisir, d’histoire de l’éducation, de classes et de classements, d’utopies concrètes et nécessaires, de nouveaux métiers, et puis de pastèque et de groseilles ! Ou plus exactement de métamorphose, grâce aux technologies numériques, du système éducatif d’un réseau de tiges rampantes au sol irriguant quelques gros fruits lourds enfermés dans une peau épaisse, en un réseau d’arbustes légers portant des myriades de grappes de petits fruits à peau fine…

Une affaire d’autorité ?

L’autorité tout d’abord. Qu’est-ce-qui fait Autorité ? Que d’écrits encore sur l’autorité ! J’aime l’idée qu’originellement exercer une autorité signifie « accroître », « augmenter », « développer ». Une autorité accroît les capacités d’action et ou de connaissance de ceux sur laquelle elle s’exerce. Fondamentalement dispose donc vraiment de  l’autorité – non pas qui exerce une contrainte ou une violence ou qui fait exécuter un ordre –  mais qui est l’auteur d’un ajout, d’un élargissement, d’une ouverture. Il faut donc être auteur pour faire autorité et donc être créateur d’une valeur ajoutée pour faire reconnaitre son autorité. Il n’est d’obéissance à une autorité qu’à la condition de l’attention et de l’écoute accordée à celle-ci, à sa valeur d’attrait, au sens qu’elle indique, à la confiance et à la sécurité qu’elle confère.

La discipline a pour terreau l’adhésion à ce « plus » de connaissance, de sens, de confiance, de progrès et de sureté que l’autorité crée et confère. L’autorité, elle, tire sa légitimité du récit, de la fiction qu’elle crée sur ce qui a été, sur ce qui est et sur ce qui sera…

Rien de trop étonnant donc au fait que l’autorité se soit progressivement évaporée de l’école au cours  de ce dernier quart de siècle si les enseignants n’ont pas « «plus » augmenté  les capacités d’action et de connaissances des élèves que ne l’ont fait les écrans et les médias  qui, eux racontent maintenant depuis le berceau, aux enfants et aux adolescents, des histoires du monde et des relations humaines infiniment plus puissantes et variées que celles des enseignants. L’Institution scolaire avait raison de redouter la télévision et l’informatique comme, avant elle l’industrie de la bougie et des lampes à pétrole avait à redouter celle de l’électricité.

L’étude annuelle d’IPSOS MediaCT 2011 sur les 1-19 ans montre que les 13-19 ans par semaine passe 12 h 20 devant internet, 11 h 30 devant la télé, 6 h 40 avec des jeux videos et 5 h 30 avec la radio.  26 H par semaine multipliées par mettons 50 semaines par an, cela fait 1300 H à comparer aux 30 h X 36 semaines, soit au mieux 1080 H/an  du temps scolaire. Qui dans ce contexte est en situation de faire autorité, en capacité de produire de l’adhésion par les récits qu’elle crée, produit et diffuse ?

Auteur et réalisateur…

Tant que les enseignants n’entreront et ne sortiront pas des écrans, tant qu’ils n’auront pas démontré qu’ils sont aussi à l’aise devant que dedans pour raconter leurs histoires et ce qu’ils ont transmettre, tant qu’ils ne les utiliseront pas pour être les auteurs de ce qu’ils enseignent, leur autorité sur les élèves continuera à s’évaporer.

La mise en scène jules ferrienne du maître d’école sur l’estrade devant son tableau noir est à bout souffle, ne fait plus recettes, parce qu’elle a cessé d’être une mise en scène spectaculaire des connaissances et des savoirs.  Ce n’est pas non plus le tableau numérique qui apportera une nouvelle jeunesse à son autorité si l’enseignant n’est pas l’auteur, le créateur, et de nouveau le metteur en scène de ce qu’il donne à entendre, voir et comprendre à chacun au moyen des outils par lesquels désormais les enfants comme la société appréhendent le monde. Si une part singulière de représentation spectaculaire de ce qui est et fait sens pour l’institution scolaire ne circule pas via les écrans et les réseaux, le zapping aura vite fait de jouer là comme ailleurs.

Bref, instaurer de l’autorité à l’école passera demain par la capacité de l’enseignant à être auteur des histoires multimédia qui vont solliciter l’attention et l’adhésion des élèves à sa discipline et par sa capacité à les diffuser, à les répandre. Cette capture de l’attention destinée à augmenter, à ouvrir, à développer les capacités d’un élève ne peut donc plus s’exercer sans recours à l’interactivité médiatisée, dans la classe, entre les classes, entre celles-ci et son environnement et sans que l’enseignant soit  créateur d’une dynamique particulière, singulière,  de ces interactions qui sont au cœur désormais de la construction identitaire des enfants.

Point d’autorité qui vaille désormais sans être l’auteur d’interactions entre la réalité  et ses représentations multimédiatiques, sans que la variété et les potentialités des outils multimédias avec lesquels les enfants appréhendent le monde soient utilisées par les enseignants  pour le montrer et le démontrer à leur façon. Ces outils ne sont pas là pour remplacer les enseignants mais pour démultiplier la palette de leur intervention éducative et augmenter leur valeur. S’il est un statut à viser pour l’enseignant de demain, c’est celui d’auteur-réalisateur.

Fin de la première partie – Jean-Pierre Quignaux, ORME 2.12 Marseille

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