Étiquette : Jean-Pierre Quignaux

  • Pastèques, grappes de groseilles et éducation numérique ! (4/4)

    Pastèques, grappes de groseilles et éducation numérique ! (4/4)

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    Cesser d’attendre Godot

    A bien y regarder, peu de choses dans son histoire prédestine le système éducatif français à l’appropriation et à l’usage innovants des technologies et des réseaux numériques d’information et de communication car fondamentalement l’accès à la connaissance y procède plus de la théorie, de la spéculation et du droit que de la pratique, de l’expérimentation et de la coutume, parce que son organisation s’appuie sur une conception hiérarchisée, ordonnancée et cloisonnée des savoirs et des compétences qui leur sont associés, parce qu’il est l’émanation et la matrice d’un processus séculaire de centralisation de l’exercice des pouvoirs et des systèmes d’information et de renseignements qui l’ont permis.

    Classes et classements, cartes et rythmes scolaire, programmation et inspection, évaluations et notations, contrôles et devoirs, ordonnés par l’Etat au nom de la Nation sont quasi-orthogonalement opposés à l’autonomie nécessaire aux apprentissages latents mais aussi au partage, aux échanges, aux hybridations d’information, de savoirs, de compétences de pair à pair, à l’organisation de petites communautés collaboratives d’enseignants et d’apprenants constitués en réseaux de proximité ou en voisinage lointain, à distance, comme Internet le permet désormais au quotidien.

    Certes partout, l’évidence du recours aux nouvelles technologies s’est imposé. Certes partout depuis dix ans, se sont multipliées les expérimentations. Mais force est de constater premièrement que leur généralisation est attendue du haut, top-down, et qu’elle risque de se faire attendre comme on attend Godot (d’ailleurs qu’attendre des Etats-Nation à l’heure de leur remise en cause par la mondialisation des contraintes)  et, deuxièmement, que nous n’osons pas imaginer que la mutation numérique soit telle que les principes, les infrastructures, les lieux physiques même de l’enseignement scolaire, son organisation, aient à changer ou plus exactement à vivre une metamorphose.

    Ainsi, par exemple on pense qu’ad vitam aeternam, les élèves continueront à rejoindre tous les jours leur travail posté, leur établi, dans des classes d’âge identique juxtaposées les unes aux autres dans des établissements architecturalement identiques, comme on allait à l’usine autrefois, du temps de la France industrielle, ou au bureau du temps où les services administratifs ne pouvaient pas avoir l’idée qu’ils puissent être eux aussi dématérialisés et rendus en ligne.

    Concevoir quelques utopies imparfaites…

    Sans doute du fait d’une intériorisation poussée des contraintes, et parce que nous pensons la théorie avant de penser la pratique, nous nous interdisons de formuler des utopies concrètes et donc forcément imparfaites, nécessaires à la métamorphose par touches, de notre système éducatif.

    Une première piste raisonnablement utopique serait par exemple de promouvoir la classe inversée comme cela s’expérimente en Norvège. L’idée de base est simple. Ce sont les cours qui, sous forme de vidéos et de didacticiels réalisés et/ou choisis par l’enseignant,  sont donnés à découvrir et à apprendre en ligne aux élèves, à la maison ou pendant des temps d’études en médiathèque, et ce sont les devoirs et les exercices qui sont faits en classe, en groupe ou individuellement, avec l’aide de l’enseignant.

    A elle seule, surtout si elle n’est pas systématisée, cette inversion introduit un autre rapport entre les enseignants et les élèves, entre le présentiel et la distance, entre les enseignants entre eux qui peuvent s’appuyer sur l’échange des ressources multimédia qu’ils ont créés et/ou assemblés, entre les élèves dont la collaboration peut être encouragée et organisée en classe et en ligne, etc…

    Mais point d’inversion possible sans formation initiale et continue des enseignants à l’écriture multimédia, à la mise en scène et en ligne de leur production pédagogique. Rien de possible bien sûr, sans matériel et réseau adéquates…

    Une deuxième piste plus utopique mais pas moins raisonnable pourrait être de se dire que la possibilité sera demain ouverte aux élèves d’être inscrits dans des superclasses coopératives, multiniveaux et hybrides car mixant l’enseignement en présentiel et à distance grâce à la mise en réseau des ressources, des outils pédagogiques et des méthodes d’évaluation et leur mobilisation pour baliser et former un parcours d’acquisitions et d’apprentissages centré sur chaque élève.

    Concrètement, et sans rentrer ici dans le détail, cela voudrait dire qu’une classe pourrait gonfler jusqu’à 150 élèves, être prise en charge par des équipes pédagogiques assurant des fonctions de cours traditionnels et/ou inversés, d’animation et de tutoring des apprentissages multimédia en présentiel et à distance, d’organisation des coopérations entre élèves en fonction de leurs acquis, d’évaluation collective des progrès de l’élève au regard d’unités valeurs acquises personnellement (comme à l’université) et de son investissement dans la coopérative apprenante ainsi constituée.

    Cela voudrait dire aussi pour l’enseignant, des temps de travail différenciés du fait de l’éclatement de son métier en plusieurs sous-métiers complémentaires assurés en équipe, indifféremment en présentiel et en ligne: prof magistral, animateur et entraîneur, co-évaluateur, co-gestionnaire.

    Cela signifierait encore une refonte architecturale des établissement scolaires, la possibilité aussi de créer de nouveaux espaces scolaires plus petits, moins concentrationnaires, plus ouverts sur leur environnement, sur la vie sociale et économique de proximité. Ce n’est pas moins que l’aménagement du territoire,  les conditions de vie et de travail, les déplacements qui s’en trouveraient progressivement transformés tant dans les bassins de vie ruraux, péri-urbains qu’urbains.

    Conclusion : inventer un récit positif pour l’éducation à l’âge numérique …

    En introduction, il était question de pastèques mutant en groseilles. Cette métaphore était empruntée à Pierre Radanne, ancien Président de l’Agence pour le Développement des Economies de la Maîtrise d’Energie et spécialiste international des politiques énergétiques de lutte contre le réchauffement climatique. Dans une récente conférence à l’Assemblée des Départements de France devant les élus territoriaux, Pierre Radanne expliquait, qu’en toutes choses en France on tend à privilégier des solutions globales, lourdes, identiques pour tous et régulée centralement parce ce sensée être les plus rationnelles et efficientes. La politique du nucléaire en étant la caricature.

    Or, démontrait Pierre Radanne, les contraintes environnementales comme d’épuisement des matières premières nous conduisent à ne plus concevoir la production d’énergie à partir de grosses centrale, de «grosses pastèques» mais à partir de «grappes de groseilles», d’une multitudes de petites unités de production autonomes gérées en réseau grâce aux technologies de l’information.

    Cette métaphore est d’autant adaptée au système éducatif que c’est de lui dont dépend l’avenir et la façon nous allons négocier le changement de civilisation en cours. Lors de tel changement les fonctions les plus utiles sont d’une part l’imagination et la créativité et d’autre part la conception d’un récit de vie positif suscitant l’empathie et l’adhésion.

    Ce n’est plus du ciel, d’une parole unique, que tombera comme autrefois ce récit. Il se formulera progressivement dans les échanges d’information et de savoirs, au sein des réseaux collaboratifs, dans les nouvelles coopératives d’apprenants, à proximité dans les territoires, et deviendra une évidence, lorsqu’ un enfant de 7 ans saura l’exprimer.

    Fin de la dernière partie// ORME 2.12 Marseille, Jean-Pierre Quignaux

  • Pastèques, grappes de groseilles et éducation numérique ! (1/4)

    Pastèques, grappes de groseilles et éducation numérique ! (1/4)

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    Cela ne va pas bien…

    Point besoin ici de rappeler les rapports qui ont ausculté au cours des dix dernières années la situation de l’éducation et du système scolaire dans notre pays. Cela ne va pas très bien. Pas comme il faudrait. Il y a un bug dans l’éducation à la française, peut-être bien un virus ou un début de maladie de la dégénérescence.

    L’introduction de l’informatique, de l’audiovisuel, du numérique, de l’internet, du multimédia des réseaux, des jeux éducatifs, du serious game, etc, bref des écrans, dans l’enseignement a aussi été analysée sous toutes les coutures. Les recommandations se comptent par dizaines. Point besoin non plus ici de les évoquer.

    Aussi, j’ai envie de parler d’autorité, d’ennui et de plaisir, d’histoire de l’éducation, de classes et de classements, d’utopies concrètes et nécessaires, de nouveaux métiers, et puis de pastèque et de groseilles ! Ou plus exactement de métamorphose, grâce aux technologies numériques, du système éducatif d’un réseau de tiges rampantes au sol irriguant quelques gros fruits lourds enfermés dans une peau épaisse, en un réseau d’arbustes légers portant des myriades de grappes de petits fruits à peau fine…

    Une affaire d’autorité ?

    L’autorité tout d’abord. Qu’est-ce-qui fait Autorité ? Que d’écrits encore sur l’autorité ! J’aime l’idée qu’originellement exercer une autorité signifie « accroître », « augmenter », « développer ». Une autorité accroît les capacités d’action et ou de connaissance de ceux sur laquelle elle s’exerce. Fondamentalement dispose donc vraiment de  l’autorité – non pas qui exerce une contrainte ou une violence ou qui fait exécuter un ordre –  mais qui est l’auteur d’un ajout, d’un élargissement, d’une ouverture. Il faut donc être auteur pour faire autorité et donc être créateur d’une valeur ajoutée pour faire reconnaitre son autorité. Il n’est d’obéissance à une autorité qu’à la condition de l’attention et de l’écoute accordée à celle-ci, à sa valeur d’attrait, au sens qu’elle indique, à la confiance et à la sécurité qu’elle confère.

    La discipline a pour terreau l’adhésion à ce « plus » de connaissance, de sens, de confiance, de progrès et de sureté que l’autorité crée et confère. L’autorité, elle, tire sa légitimité du récit, de la fiction qu’elle crée sur ce qui a été, sur ce qui est et sur ce qui sera…

    Rien de trop étonnant donc au fait que l’autorité se soit progressivement évaporée de l’école au cours  de ce dernier quart de siècle si les enseignants n’ont pas « «plus » augmenté  les capacités d’action et de connaissances des élèves que ne l’ont fait les écrans et les médias  qui, eux racontent maintenant depuis le berceau, aux enfants et aux adolescents, des histoires du monde et des relations humaines infiniment plus puissantes et variées que celles des enseignants. L’Institution scolaire avait raison de redouter la télévision et l’informatique comme, avant elle l’industrie de la bougie et des lampes à pétrole avait à redouter celle de l’électricité.

    L’étude annuelle d’IPSOS MediaCT 2011 sur les 1-19 ans montre que les 13-19 ans par semaine passe 12 h 20 devant internet, 11 h 30 devant la télé, 6 h 40 avec des jeux videos et 5 h 30 avec la radio.  26 H par semaine multipliées par mettons 50 semaines par an, cela fait 1300 H à comparer aux 30 h X 36 semaines, soit au mieux 1080 H/an  du temps scolaire. Qui dans ce contexte est en situation de faire autorité, en capacité de produire de l’adhésion par les récits qu’elle crée, produit et diffuse ?

    Auteur et réalisateur…

    Tant que les enseignants n’entreront et ne sortiront pas des écrans, tant qu’ils n’auront pas démontré qu’ils sont aussi à l’aise devant que dedans pour raconter leurs histoires et ce qu’ils ont transmettre, tant qu’ils ne les utiliseront pas pour être les auteurs de ce qu’ils enseignent, leur autorité sur les élèves continuera à s’évaporer.

    La mise en scène jules ferrienne du maître d’école sur l’estrade devant son tableau noir est à bout souffle, ne fait plus recettes, parce qu’elle a cessé d’être une mise en scène spectaculaire des connaissances et des savoirs.  Ce n’est pas non plus le tableau numérique qui apportera une nouvelle jeunesse à son autorité si l’enseignant n’est pas l’auteur, le créateur, et de nouveau le metteur en scène de ce qu’il donne à entendre, voir et comprendre à chacun au moyen des outils par lesquels désormais les enfants comme la société appréhendent le monde. Si une part singulière de représentation spectaculaire de ce qui est et fait sens pour l’institution scolaire ne circule pas via les écrans et les réseaux, le zapping aura vite fait de jouer là comme ailleurs.

    Bref, instaurer de l’autorité à l’école passera demain par la capacité de l’enseignant à être auteur des histoires multimédia qui vont solliciter l’attention et l’adhésion des élèves à sa discipline et par sa capacité à les diffuser, à les répandre. Cette capture de l’attention destinée à augmenter, à ouvrir, à développer les capacités d’un élève ne peut donc plus s’exercer sans recours à l’interactivité médiatisée, dans la classe, entre les classes, entre celles-ci et son environnement et sans que l’enseignant soit  créateur d’une dynamique particulière, singulière,  de ces interactions qui sont au cœur désormais de la construction identitaire des enfants.

    Point d’autorité qui vaille désormais sans être l’auteur d’interactions entre la réalité  et ses représentations multimédiatiques, sans que la variété et les potentialités des outils multimédias avec lesquels les enfants appréhendent le monde soient utilisées par les enseignants  pour le montrer et le démontrer à leur façon. Ces outils ne sont pas là pour remplacer les enseignants mais pour démultiplier la palette de leur intervention éducative et augmenter leur valeur. S’il est un statut à viser pour l’enseignant de demain, c’est celui d’auteur-réalisateur.

    Fin de la première partie – Jean-Pierre Quignaux, ORME 2.12 Marseille

  • Pastèques, grappes de groseilles et éducation numérique ! (2/4)

    Pastèques, grappes de groseilles et éducation numérique ! (2/4)

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    L’ennui et le plaisir

    Qui n’a pas constaté et entendu, sondages à l’appui, que les élèves s’ennuient aujourd’hui en classe. Dans la tradition française, l’école n’a pas à être un lieu de plaisir car c’est là que l’on apprend à travailler pour avoir du travail demain. C’est que pour se préparer au monde de demain, on est même sommé, modernité oblige, d’utiliser des espaces numériques non pas de connaissances et d’apprentissage mais encore et toujours de travail… De quoi désespérer, perdre confiance et rêver d’un autre monde quand l’on répète partout que le chômage guette dans le futur même les premiers d’une classe et qu’à la maison, les parents sont taraudés par l’angoisse et l’orientation professionnelles de leurs gamins dés la maternelle. La situation est mortifère.

    L’école ennuie alors que paradoxalement on sait que le plaisir est le principal accélérateur de l’apprentissage. Jean Claude Ameisen, medecin biologiste immunologue, dans l’une de ses très belles émissions de France Inter du samedi après-midi, «sur les épaules de Darwin», rappelait récemment que les sciences neuro-cognitives confirmaient ce qu’au début du XXe, John Dewey, Maria Montessori, Ovide Decroly, Adolphe Ferrière, Celestin Freinet,…, posèrent comme principe de l’apprentissage, à savoir que quelqu’un qui apprend ne peut optimalement faire des acquisitions, mémoriser durablement, développer des capacités et des savoirs que dans un contexte de plaisir, de libre choix, d’autonomie et de confiance.

    Les avancées de ces précurseurs qui savaient parfaitement que les enfants pensent tout seuls, ont un quant-à-soi, mais aussi que leur sourire est le moteur et le signe de leur développement intellectuel, n’ont pas fait école…

    L’impuissance acquise

    Ce n’est pourtant pas faute de démonstrations par les cognitivistes, les psychologues sociaux ou de l’enfance, du fait que « l’apprentissage latent», par le plaisir et la confiance, sont indispensables pour que l’apprentissage utile par répétition et renforcement ait lieu.

    Le premier se fait spontanément, volontairement, par induction, intuition, analogie, appétence, curiosité, expérimentation, imagination. Il va alimenter la mémoire de long terme grâce à laquelle les processus adaptatifs sont durablement aiguisés et en alerte.

    Le second, l’apprentissage utile, répond aux besoins d’organisation, de normalisation, de codification de la société ambiante. Il est nécessaire à l’insertion sociale et alimente la mémoire de court terme « dite » de travail qui, elle, est éphémère,  soumise à l’obsolescence et qui pour être fonctionnelle doit être rechargée par la répétition d’information sur les cibles à atteindre, les résultats à obtenir. On sait notamment que lorsque l’apprentissage latent n’est pas fertilisé en permanence par la confiance et le plaisir, l’apprentissage utile peut être rejeté, mettre l’apprenant en situation d’échec répétitif et le conduire à l’inertie, au désespoir. Dans ce cas, c’est une impuissance qui a été acquise…

    La question qui se pose aujourd’hui à la société française est sans doute de savoir si son école qui sanctuarise le travail, le mérite individuel, la sélection des élites et se barde d’épreuves d’évaluation censées mesurer les résultats des apprentissages utiles pour accéder aux classes, aux formations puis aux professions supérieures, n’est pas aussi en train d’enseigner de l’impuissance…

    Comment chasser l’ennui et la peur de l’échec de l’école ? Comment miser sur les apprentissages latents qui procurent l’estime de soi sans mettre à bas le contrôle des apprentissages utiles grâce auquel le système scolaire français cherche toujours à se rassurer ? On le sait. La réponse est dans le repérage des activités que l’enfant a envie de faire «par plaisir» et dans l’élaboration, sur leur base, de programmes individualisés de formation, de parcours d’apprentissage personnalisé de plus en plus complexes.

    Essaye encore !

    C’est à ce niveau que prennent leur sens les TICE, le multimédia pédagogique, les jeux video (soit dit au passage qu’il n’y a rien de plus sérieux que le jeu), l’EAO, les simulations, et surtout la prise en compte par l’éducation du rapport que les enfants entretiennent désormais avec les écrans et les réseaux pour construire leur identité, pour exercer leurs vertus, pour solliciter ce qui en eux est virtuel, c’est-à-dire réel mais non concrétisé, non matérialisé, non encore actualisé. Dans un jeu video, dans un logiciel d’apprentissage, l’échec n’est pas matérialisé. Lui aussi est virtualisé. On peut revenir en arrière et recommencer sans que cela porte à conséquences : Try again, essaye encore !

    Il est plus que probable que les enfants, les élèves du XXIe, puissent trouver plus de plaisir, de confiance et d’estime de soi à apprendre à écrire, à lire, à compter, à chercher, découvrir, à créer, à comprendre des choses de plus en plus complexes, seul ou en groupe, avec des machines, des logiciels, des programmes, des jeux sérieux ou pas, qu’en classe avec un enseignant qui s’évertue à imposer à tous un programme disciplinaire venu d’en-haut dont il n’est pas l’auteur. De nombreuses enquêtes montrent déjà cela (Schoolnet).

    Que l’éducation au XXIeme siècle puisse tendre vers l’organisation de cette individualisation des programmes d’éducation grâce à la mobilisation de l’ensemble des ressources numériques, cela ne fait guère de doute, surtout si cette mobilisation a pour principe d’optimiser le plaisir de chacun à apprendre, d’accroître la confiance en soi et de produire de nombreuses grappes de compétences reliées entre elle plutôt que quelques fruits lourds gorgés d’énergie.

    Fin de la deuxième partie// ORME 2.12 Marseille, Jean-Pierre Quignaux

  • Pastèques, grappes de groseilles et éducation numérique ! (3/4)

    Pastèques, grappes de groseilles et éducation numérique ! (3/4)

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    Les digital natives ne sont pas encore nés…

    L’institution scolaire, bien avant que les médias et le commerce s’y intéressent, a été comptable de l’utilisation des temps de cerveaux disponibles et des corps qui les sustentent. Cette institution plonge sa raison d’être dans plus de 2000 ans d’histoire et nous ne sommes qu’à l’aube de la convergence numérique des médias, c’est-à-dire du fait de disposer partout et à tout moment sur un même support de tout ce qui a été et est diffusé sous forme d’images, d’écrits et de sons.
    A cet égard, c’est un peu trop vite que l’on a affublé les gamins nés après 2000 du nom de «digital natives», de «génération numérique».

    Tous ne sont pas nés avec des parents disposant d’un ordinateur et d’internet à la maison, loin s’en faut. Rarissimes sont ceux qui, dés la primaire, ont fait l’expérience d’avoir un maître ou une maîtresse passant sans problème de la craie et des bâtonnets à une console de jeu, une game-boy ou une nintendo DS, pour leur apprendre à lire ou compter.

    Par ailleurs, les effets de la convergence numérique ne commenceront à se faire massivement sentir qu’avec les nouvelles infrastructures à très haut débit optique et surtout radio rendant possible l’accès immédiat , sans fil à la patte, en mobilité, à tous les écrans, à tous les programmes, au creux de la main , sur les prochaines générations de «smartphones», véritables couteaux-suisses à tout faire dans l’univers numérique, ou sur les ardoises toujours plus magiques que sont déjà en train de devenir les tablettes numériques.

    Un système d’éducation met 70 ans minimum pour se transformer et porter ses fruits, le temps que des formateurs-pionniers forment en masse les formateurs des enseignants de terrain de demain.

    Si ces formateurs-pionniers sont demain les «digital natives» nés après 2000, alors, dans le meilleur des cas, ce n’est qu’après 2050 que les transformations numériques du système éducatif désirées commenceront à porter leurs premiers fruits et que ce n’est que 20 ans après le système aura achevé sa métamorphose.

    En fait, les questions qui se posent aujourd’hui sont de savoir à quels nouveaux principes d’éducation devraient former ces formateurs-pionniers, sur quelles bases d’analyse des transformations sociétales de long terme et pour quelle utopie pour la société de demain ?

    La première réponse est dans le mot Education lui-même. Eduquer vient du latin ex-ducere, qui veut dire «conduire hors». La question essentielle qui vient ensuite est  «hors de quoi ?»  Hors de quoi doivent nous guider les nouveaux principes d’un système d’éducation qui est à inventer pour la deuxième partie de ce siècle ?

    La réponse paraît évidente : «hors de l’histoire, hors de la tradition» qui aboutissent aux errances, aux impasses et aux mal-être d’aujourd’hui. Qu’est-ce qui structure cette tradition, cette vieille histoire dont l’héritage premièrement nous paraît sans avenir ou tout du moins obsolète pour tirer pleinement partie des outils et réseaux de collecte, de traitement et de diffusion de l’information et des connaissances et, deuxièmement, nous empêche d’oser formuler des utopies raisonnables à partir de ces outils.

    L’histoire du système éducatif français est celle de ses différentes couches sédiments et c’est de leur gangue qu’il faut envisager de dégager nos neurones.

    S’extraire du passé ?

    S’extraire d’abord d’environ une douzaine de siècles de sédiments déposés par l’éducation antique et les premiers siècles du christianisme en occident. Celle de Sparte, d’Aristote et de Rome tout d’abord dont les buts étaient de dresser les corps et les esprits par la souffrance à la discipline de la vie collective et de sélectionner les futurs élite militaires et gestionnaires susceptibles de reproduire et d’accroître la sécurité, la puissance et la violence de l’Etat.

    A Sparte, le pédagogue, le pédonome (paidomos) y était en permanence flanqué par les mastogophoroi, porteurs de fouets, souvent des jeunes citoyens parvenus à cet honneur après «en avoir bavé». Comme l’a montré l’historien Henri-Iréné Marrou, la violence était  omniprésente dans les institutions éducatives de la Grèce Antique et de Rome dont Aristote avait professé  : «que le jeu ne doit pas être le but de l’éducation, que l’on ne s’amuse pas en apprenant, que la douleur est compagne de l’étude».

    Ces principes antiques de l’éducation sont toujours là. Les premiers siècles du Christianisme n’ont pas adouci la pédagogie sélective et punitive de l’école païenne antique car elle a utilisé les écoles grecques et romaines pour prendre en main la formation réservée  aux futurs clercs. Selon le sociologue Durkheim, ce fut là la véritable naissance de l’école, c’est-à-dire d’un milieu moral organisé, voué autant à façonner les idées et les sentiments de l’élève, à le discipliner par la contrainte psychique et physique, qu’à la transmission des connaissances.

    Une autre couche de sédiments épaisse d’une dizaine de siècles, s’est déposée ensuite à partir des carolingiens  qui ont multiplié avec la bénédiction papale, les écoles destinées à l’instruction des laïcs destinés à gérer l’Empire d’Occident et sceller ainsi le sort de l’école dans l’entre-deux du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel.

    Au XVIe siècle, portés par le développement de l’imprimerie et la concurrence entre Réforme et Contre-Réforme, fleurissent les premiers collèges qui sont conçu comme des lieux  d’enseignement et de surveillance d’une population dont il fallait compter les âmes pour savoir dans quel camp les mettre.

    Les collèges rangent les élèves par âge, par classes de niveau et instituent les examens de passage. Les compagnies de prêtres et de religieuses enseignants (Jésuites Oratoriens, barnabites) nées dans le courant du XVIe sicle s’en emparent et le pouvoir royal s’emploie à  promouvoir, protéger et soutenir l’emprise des Congrégations religieuses sur l’école jusqu’au milieu du XVIIIe.

    C’est à partir du XVIIIe siècle, sous l’influence des philosophes des lumières, que commence à se déposer la troisième couche sédimentaire dans laquelle nous sommes toujours. Pourquoi ?
    Parce que les sciences et les techniques commencent à démultiplier les moyens du développement matériel et que la puissance de l’Etat monarchique instauré par Louis XIV et perpétué par Louis XV et Louis XVI nécessite un enseignement plus utilitaire répondant aux besoins simultanés de l’industrie, du commerce et des armées. Louis XV supprime la Compagnie de Jésus en 1764 et crée l’Académie des Sciences en 1666.

    La voie est ouverte à la création des écoles royales techniques et militaires. Une grande place est y faite aux mathématiques et aux langues étrangères, au détriment des lettres classiques et de la religion. Pour les disciples du cartésianisme comme le philosophe Bernard Lamy (1640-1715), point besoin de pédagogie ouverte car la connaissance n’est pas forcément une bonne chose. L’homme « est corrompu par la curiosité qui le détourne de sa fin« . Du point de vue de l’utilité, Bernard Lamy et ses disciples jugeait par exemple que seules les mathématiques pouvaient donner une formation de base car « les vérités qu’elles enseignent sont simples et claires« .

    Pour d’autres philosophes plus humanistes, l’important n’est plus d’apprendre pour se donner les moyens de devenir un homme, un bon sujet, un bon chrétien, un bon gestionnaire, un bon officier, mais d’apprendre pour travailler au bonheur matériel de l’humanité.

    Couplée aux besoins militaires, l’école utilitaire, politico-économique, scientifique et technique, industrielle et commerciale, administrative et gestionnaire se profile. Il s’agit dés lors d’imprimer « à l’éducation publique le caractère précieux d’éducation nationale » : une  éducation qui relève principalement de l’Etat et qui doit être uniformisée dans tous les établissements du royaume.

    La Révolution ne fera qu’amplifier le mouvement. Plus tard, tout en redonnant des gages à l’éducation religieuse, Napoléon va organiser le nouveau système, le hiérarchiser, le rationaliser, le territorialiser avec la création des académies et des inspections.

    Vers l’Ecole a-normale ?

    La rationalisation, l’uniformisation, l’obligation de l’instruction se déploiera définitivement avec la Troisième République sous la pression des besoins militaires (Les prussiens vainqueurs en 1870 étaient mieux instruits), de la Révolution Industrielle qui a besoin d’ingénieurs, de contremaîtres et de techniciens, de la colonisation qui a besoin de cadres administratifs,…

    Les lois de Jules Ferry de 1881 de 1882 consolident le régime républicain laïque en inscrivant dans son ADN l’idée d’une république scientifique, technique, savante, industrieuse, travailleuse, méritocratique et universaliste seule capable d’apporter le Progrès matériel et moral au plus grand nombre et de faire ainsi rayonner le Génie français.

    En fait, avec la conscription obligatoire née avec la Révolution Française et instituée en 1798,  l’école laïque, gratuite et obligatoire a été,  l’un des instruments essentiels de «nationalisation de la société» par l’État, de la formation de l’Etat-Nation français conçu comme un tout omniscient et polytechnique et dont l’Education Nationale s’est toujours voulu depuis lors la matrice, l’outil et la gardienne.

    Après la seconde guerre mondiale sous la pression du baby-boom, la locomotive du progrès matériel et social par l’éducation, par l’instruction publique généralisée et générale, conduite par l’élite républicaine de ses ingénieurs et technocrates issue de ses grandes écoles s’est élancée sur la voie de la démocratisation, de la massification scolaire sans trop chercher à s’interroger ni sur les principes fondamentaux qui la caractérisent et qui la propulsent ni sur sa destination.

    En fait, presque toute l’histoire de l’Education en France se résume dans la mise à angle droit, dans la mise à l’équerre, à la norme, des apprenants. L’Ecole Normale n’est-elle par l’Ecole Norma (équerre en latin), l’école de l’abscisse et de l’ordonnée, de la règle et de la réglementation, de la mise en ordre du vivant et de la nature par l’exercice de la Raison incarnée à son sommet  par l’Etat-Nation et par l’ensemble de ses serviteurs missionnés à vie pour en faire fonctionner les rouages ?

    Fin de la troisième partie // ORME 2.12 Marseille, Jean-Pierre Quignaux