POINT DE VUE

Pastèques, grappes de groseilles et éducation numérique ! (2/4)

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L’ennui et le plaisir

Qui n’a pas constaté et entendu, sondages à l’appui, que les élèves s’ennuient aujourd’hui en classe. Dans la tradition française, l’école n’a pas à être un lieu de plaisir car c’est là que l’on apprend à travailler pour avoir du travail demain. C’est que pour se préparer au monde de demain, on est même sommé, modernité oblige, d’utiliser des espaces numériques non pas de connaissances et d’apprentissage mais encore et toujours de travail… De quoi désespérer, perdre confiance et rêver d’un autre monde quand l’on répète partout que le chômage guette dans le futur même les premiers d’une classe et qu’à la maison, les parents sont taraudés par l’angoisse et l’orientation professionnelles de leurs gamins dés la maternelle. La situation est mortifère.

L’école ennuie alors que paradoxalement on sait que le plaisir est le principal accélérateur de l’apprentissage. Jean Claude Ameisen, medecin biologiste immunologue, dans l’une de ses très belles émissions de France Inter du samedi après-midi, «sur les épaules de Darwin», rappelait récemment que les sciences neuro-cognitives confirmaient ce qu’au début du XXe, John Dewey, Maria Montessori, Ovide Decroly, Adolphe Ferrière, Celestin Freinet,…, posèrent comme principe de l’apprentissage, à savoir que quelqu’un qui apprend ne peut optimalement faire des acquisitions, mémoriser durablement, développer des capacités et des savoirs que dans un contexte de plaisir, de libre choix, d’autonomie et de confiance.

Les avancées de ces précurseurs qui savaient parfaitement que les enfants pensent tout seuls, ont un quant-à-soi, mais aussi que leur sourire est le moteur et le signe de leur développement intellectuel, n’ont pas fait école…

L’impuissance acquise

Ce n’est pourtant pas faute de démonstrations par les cognitivistes, les psychologues sociaux ou de l’enfance, du fait que « l’apprentissage latent», par le plaisir et la confiance, sont indispensables pour que l’apprentissage utile par répétition et renforcement ait lieu.

Le premier se fait spontanément, volontairement, par induction, intuition, analogie, appétence, curiosité, expérimentation, imagination. Il va alimenter la mémoire de long terme grâce à laquelle les processus adaptatifs sont durablement aiguisés et en alerte.

Le second, l’apprentissage utile, répond aux besoins d’organisation, de normalisation, de codification de la société ambiante. Il est nécessaire à l’insertion sociale et alimente la mémoire de court terme « dite » de travail qui, elle, est éphémère,  soumise à l’obsolescence et qui pour être fonctionnelle doit être rechargée par la répétition d’information sur les cibles à atteindre, les résultats à obtenir. On sait notamment que lorsque l’apprentissage latent n’est pas fertilisé en permanence par la confiance et le plaisir, l’apprentissage utile peut être rejeté, mettre l’apprenant en situation d’échec répétitif et le conduire à l’inertie, au désespoir. Dans ce cas, c’est une impuissance qui a été acquise…

La question qui se pose aujourd’hui à la société française est sans doute de savoir si son école qui sanctuarise le travail, le mérite individuel, la sélection des élites et se barde d’épreuves d’évaluation censées mesurer les résultats des apprentissages utiles pour accéder aux classes, aux formations puis aux professions supérieures, n’est pas aussi en train d’enseigner de l’impuissance…

Comment chasser l’ennui et la peur de l’échec de l’école ? Comment miser sur les apprentissages latents qui procurent l’estime de soi sans mettre à bas le contrôle des apprentissages utiles grâce auquel le système scolaire français cherche toujours à se rassurer ? On le sait. La réponse est dans le repérage des activités que l’enfant a envie de faire «par plaisir» et dans l’élaboration, sur leur base, de programmes individualisés de formation, de parcours d’apprentissage personnalisé de plus en plus complexes.

Essaye encore !

C’est à ce niveau que prennent leur sens les TICE, le multimédia pédagogique, les jeux video (soit dit au passage qu’il n’y a rien de plus sérieux que le jeu), l’EAO, les simulations, et surtout la prise en compte par l’éducation du rapport que les enfants entretiennent désormais avec les écrans et les réseaux pour construire leur identité, pour exercer leurs vertus, pour solliciter ce qui en eux est virtuel, c’est-à-dire réel mais non concrétisé, non matérialisé, non encore actualisé. Dans un jeu video, dans un logiciel d’apprentissage, l’échec n’est pas matérialisé. Lui aussi est virtualisé. On peut revenir en arrière et recommencer sans que cela porte à conséquences : Try again, essaye encore !

Il est plus que probable que les enfants, les élèves du XXIe, puissent trouver plus de plaisir, de confiance et d’estime de soi à apprendre à écrire, à lire, à compter, à chercher, découvrir, à créer, à comprendre des choses de plus en plus complexes, seul ou en groupe, avec des machines, des logiciels, des programmes, des jeux sérieux ou pas, qu’en classe avec un enseignant qui s’évertue à imposer à tous un programme disciplinaire venu d’en-haut dont il n’est pas l’auteur. De nombreuses enquêtes montrent déjà cela (Schoolnet).

Que l’éducation au XXIeme siècle puisse tendre vers l’organisation de cette individualisation des programmes d’éducation grâce à la mobilisation de l’ensemble des ressources numériques, cela ne fait guère de doute, surtout si cette mobilisation a pour principe d’optimiser le plaisir de chacun à apprendre, d’accroître la confiance en soi et de produire de nombreuses grappes de compétences reliées entre elle plutôt que quelques fruits lourds gorgés d’énergie.

Fin de la deuxième partie// ORME 2.12 Marseille, Jean-Pierre Quignaux

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