Education aux média

Culture numérique et codes : “entre Humanisme et Dataïsme”

Le temps d’une table ronde sur Ludovia#14, les intervenants canadiens et français exposent et échangent leurs points de vue et réflexions autour des notions de culture numérique et d’apprentissage du code à l’école.

Les intervenants :
Le grand témoin : Thierry Karsenti : Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies en éducation. Professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.

Delphine Barbirati : professeure de lettres classiques, chargée de mission pour une délégation académique au numérique, aujourd’hui formatrice et détachée auprès d’un organisme de formations comme responsable de formations chargée d’ingénierie de formation

Eric Hitier : Enseignant du premier degré dans une école rurale en proche périphérie de Tours depuis 8 ans, Il est également certifié en cinéma et audiovisuel, ce qui lui permet de mener dans sa classe des activités de pratiques diverses autour de l’image fixe et animée.

Luis Galindo : Doctorant au laboratoire TECHNÉ à l’Université de Poitiers, il est en charge du projet REMASCO, pour reconcevoir et réinventer le manuel scolaire à l’ère du numérique.
Site web : http://www.luisgalindo.me/

Animation de la table-ronde : François Jourde et Nicolas Le Luherne

Introduction de la thématique de la table-ronde

Le numérique, dont l’ADN est le code, est un environnement culturel et technique.

Le numérique se définit à la fois comme un environnement sociétal et culturel en pleine mutation, auquel chacun doit pouvoir s’adapter pour progresser, et comme un ensemble d’outils potentiellement facilitateurs pour le développement professionnel et personnel à tous les âges – à condition qu’on en maîtrise les logiques, les mécanismes et les enjeux” (rapport Becchetti-Bizot, Houzel et Taddei, 2013).

Le numérique entrelace ainsi le socio-culturel et l’instrumental : “on ne peut pas penser un changement technologique hors-sol, […] la technologie est toujours le produit d’une société, qu’elle modifie en retour” (Philippe Silberzhan).
Dès lors, doit-on comme certains annoncer la fin de l’humanisme et l’ouverture de la nouvelle ère du “dataisme” ?
La table ronde était interactive grâce à l’application mise à disposition du public

https://my.beekast.com/kast/p/ludovia/fd210818-2431-44ed-9a86-3339a3ddf8ca/post

Question : quel est pour vous le mot clef “culture numérique” ?

Pour Thierry  Karsenti, grand témoin, la notion de culture numérique :

Karsenti s’arrête sur l’histoire. En premier lieu, on a connu l’enseignement de l’informatique à l’école. Après il y a eu des cours de NTI (nouvelles technologies). Aujourd’hui on l’a remplacé par la culture numérique. Sans entrer dans la sémantique, on est passé de l’informatique au numérique en passant par les NTI.

En parlant de culture, on infère qu’il y aurait un déficit de la part des élèves. Marchandise (2016) parle de plusieurs cultures numériques. Karsenti en retient deux :

  • culture informatique (ex. Apprendre à coder),
  • culture de l’information (ex. Maîtrise de l’abondance)

La question du code : plusieurs outils qu’on utilise au quotidien contiennent du code. Le code est-il en train d’amorcer une révolution dans la culture scolaire ? Aujourd’hui, on cherche à initier un apprentissage du code à l’école en Amérique du Nord. Mais T. Karsenti note deux freins : le 1er est logistique et le 2ème pose la question de  l’indépendance de l’école face à l’industrie du numérique.

Pour apprendre à coder, de nombreux outils sont à disposition. Pour apprendre à coder : il rappelle que de nombreux outils sont gratuits qu’il a listés : ici. Code.org est une interface gratuite pour apprendre à coder. Ça résout pour lui le frein de l’accessibilité.

Concernant la question des avantages éducatifs, 40 impacts positifs ont été identifiés par la recherche dont la motivation, les mathématiques, la résolution de problèmes, l’autonomie, la collaboration. Les avantages du code sont amplifiés lorsqu’on utilise un robot. Le robot humanoïde témoigne de l’effort réalisé par l’élève. Le code permet de mieux comprendre ce monde numérique dans lequel nous nous mouvons.

Karsenti note qu’il y a amplifications des avantages quand on code avec un robot.

En conclusion : l’apprentissage du code est, selon lui essentiel  “pour comprendre une partie du monde dans lequel on vit et mieux s’y préparer”.

Evolution du nuage de mots :

Question de Nicolas Le Luherne

Pierre Mounier dans un article intitulé « Les Humanités numériques, gadget ou projet », pour la Revue Le Crieur de juin 2017 écrit :

Au diable la psychologie, l’économie, la sociologie…La calculabilité universelle se substitue au long détours de la compréhension en profondeur ; il ne s’agit plus de comprendre mais de prédire.

Est-ce que l’algorithme et sa puissance de calcul sonne la fin de la culture et des modèles culturels en tant qu’objet de compréhension du monde ? Quels sont les enjeux de la culture numérique ?

Réponse de Luis Galindo :

On peut utiliser de manière complètement différente le big data pour mieux comprendre le monde. Il faut modifier sa manière d’être.
L’apprentissage du code prépare t-il le prolétariat du XXIème siècle?
Il faut mélanger les disciplines autour du code, ce qui permet d’envisager des nouvelles manière de les associer.

Question de N. Le Luherne : Quels sont les enjeux de la culture numérique ?

La culture numérique ne suppose pas qu’on devienne professionnel : apprendre à coder ne suppose pas qu’on devienne codeur.
Luis Galindo relate des expérimentations pédagogiques où le code est invisible mais nécessaire pour réaliser l’expérience.

Question à Delphine Barbirati:

En quoi le code, l’algorithme et la base de données sont-ils essentiels à la culture numérique ? À la construction du goût, du beau et de l’esprit critique ?
L’essentiel est la culture numérique et la réflexion critique avec une participation active de l’élève.
La connaissance des algorithmes est nécessaire pour mieux comprendre, critiquer, agir et ne pas subir.

A propos du  logiciel NationBuilder sur lequel elle est interrogée, elle revient sur la nécessité de former l’élève à l’esprit critique et la réflexion numérique. Il est important de donner accès au code pour donner l’accès à tous à la culture numérique

Question à Eric Hitier :

En quoi le code, les datas ou les captas ( en tant que données pour lesquelles on prend l’affect) augmentent et modifient le champ des possibles ? Quels sont ces nouveaux champs en classe  ?
Il faut penser l’éducation à la culture numérique comme un projet global avec des données matérielles et immatérielles.

Trois questions : pour qui, pourquoi et comment ?

Dans le projet global de l’apprentissage du code, la dimension de l’innovation sociale est sous estimée selon Eric Hitier.
La question de la posture physique doit se poser : comment physiquement apprend t-on le mieux? Les émotions et le ressenti sont à intégrer.
A partir du mur : nous parlons de code, n’y a-t-il pas des codes ? Comment enseigner aussi cette diversité ? Jusqu’où aller ? La programmation atteint ses limites à un moment donné . La limite est sur le « terrain ».

Luis Galindo précise qu’on peut avoir des murs, mais ne pas avoir de toit. Il y a le défi de la collaboration et du partage (deux mots-clés).

Nicolas Le Luherne demande si apprendre le code, est-ce aussi faire le deuil de l’omniscience ? Ne pas supposer qu’on puisse apprendre toutes les formes de code.
T. Karensti s’oppose aux propos d’E.Hitier : il pense qu’on ne doit pas mettre de limites technologiques aux élèves et qu’ils sont capables de développer des usages du code réservés jusqu’ici aux adultes.

Questions du public

  • Est le retour du code alors qu’il semblait avoir été oublié avec des interfaces préprogrammées ?

D. Barbirati estime que  la facilité technique acquise en informatique suppose aujourd’hui un besoin de connaissance et de codage pour ne pas être privée de liberté. C’est donc le retour de la technique qui donne une impression de balancier.

  • Peut-on apprendre à coder pour hacker positivement le système de l’intérieur et devenir un acteur du monde numérique et non simplement le subir ?

Karsenti répond qu’il ne faut pas rendre la tâche de l’enseignant trop compliquée. On est d’abord sur une initiation au code. Il faut simplifier et ne pas “souffrir en éducation” .

Eric Hitier relate l’expérience de hacking dans sa classe : www.thinglink.com

  • Comment  faire évoluer les compétences d’enseignants formés principalement au moment de leur formation initiale sur une carrière qui s’étale sur 40 ans ?

Barbirati répond qu’il ne faut pas attendre de maîtriser tout le numérique pour que l’enseignant se lance. Il doit accepter de ne pas tout savoir et se mettre en difficulté

Luis Galindo estime qu’il y a importance à se fixer des petits objectifs qui vont permettent ensuite d’élargir.

  • Doit on faire de la programmation une discipline à part entière ou l’intégrer à d’autres disciplines?

Thierry Karsenti propose l’apprentissage du code comme discipline à part entière, mais enseignée de manière pluridisciplinaire. Il faut trouver un équilibre.

Evolution du nuage de mots :

  • Y a t-il une limite au codage?

Pour T. Karsenti , il faut rester ouvert dans le domaine de la psycho-pédagogie et rester attentif aux possibles addictions.

Pour Luis Galindo : le problème n’est pas le codage mais l’accès à l’écran. L’apprentissage du code peut aussi passer sans écran.

D. Barbirati informe qu’une enseignante de l’académie de Grenoble apprend à coder avec des légos à des enfants non voyants.

Synthèse réalisée par Lyonel Kaufmann et Laurence Juin.

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