Quatre épisodes dont voici le premier intitulé « Le temps l’emporte sur l’espace – L’apprenant va-t-il rencontrer toujours ses formateurs ? »
Prochains épisodes à venir :
– Episode 2, La culture de l’écran concurrence celle du livre – L’apprenant et le formateur ont-il encore un terrain de conciliation ?
– Episode 3, Jouer à vivre ou bien vivre à apprendre – Dans une approche réseau, le «Digital Native» a-t-il besoin d’un formateur ?
– Episode 4, Apprendre chez soi ou dans son entreprise – L’apprenant a-t-il intérêt à rencontrer un formateur ?
Le temps l’emporte sur l’espace : l’apprenant va-t-il rencontrer toujours ses formateurs ?
Michel Serres nous rappelait récemment que si on demandait à une personne son adresse, sans préciser postale, on prenait le risque de récupérer juste son email. Aujourd’hui, on se positionne, on se calcule, GPS oblige, autant dans le temps que dans l’espace. L’email et ses mots de passe associés, forment un code numérique qui permet à chacun de s’affranchir, en partie, du lieu d’activité, du lieu de loisir ou du lieu personnel, pour rester en contact permanent et instantanément, si on le souhaite.
L’une des questions n’est plus de savoir d‘où on se connecte, mais quand et à quelle fréquence ? L’autre question est bien-sûr la raison et le sens du traitement de ces informations, fugaces pour la plupart, issues de ces services, futiles pour certains, que portent tous les e-auxiliaires à notre «service» dans nos espaces de vie. De même, si on demande à un banlieusard où il habite, il ne va pas répondre à 18 kilomètres du centre ville, mais à 45 minutes. Ainsi, indépendamment de la qualité d’un quartier ou de la construction plus ou moins durable, l’attrait d’un habitât peut être lié à la proximité d’une gare TGV ou d’un nœud urbain principal : des réseaux routier, ferré, numérique, … et social.
Appliqué à la formation, surtout celle tout au long et tout au large de la vie, ce rapport comptable entre le temps et l’espace, induit aujourd’hui la mise en oeuvre de formations ouvertes et à distance d’un type particulier. Si la FOAD peut être considérée comme une combinatoire multiple entre les trois unités d’action, de lieu et de temps, on observe que de plus en plus d’actions FOAD se structurent pour dégager une nouvelle forme implicite de consensus temporel entre l’apprenant, le formateur et l’institution.
Ce compromis résiderait dans la consommation faible d’un temps partagé obligé. L’important ne serait plus forcément d’être physiquement présent avec son formateur, mais de garder un lien pluriel avec l’institution, et surtout, avec sa communauté d’apprentissage, quand elle existe. Ce lien évolutif est à la fois synchrone et asynchrone, individuel et collectif, actif et proactif, formatif et productif, libre et contraint. Certes, il demeure, et demeura, aussi dans des temps présentiels avec les formateurs, mais «espacés».
Cette nouvelle distribution restera cohérente, sous réserve d’accéder, via le réseau numérique, à niveau suffisamment efficace, aux contenus en ligne, aux consignes et aux conseils des formateurs distants, également en ligne. Il s’agit aussi de pouvoir saisir en vivant, in situ, les enjeux sociaux de l’apprentissage et de la formation. L’essor des cours ballado-diffusés par les universités, l’activité des antennes des Ateliers de Pédagogie Personnalisée et le développement des Points d’Accès à la Téléformation en région, la systématisation des tutorats en ligne autour des plates-formes de télé-formation, la banalisation des visioconférences à la place des traditionnelles réunions, l’accès facilité aux espaces collaboratifs, l’usage des réseaux sociaux à des fins pédagogiques, la démultiplication des outils du Web 2.0 à toutes les sauces, les applications à tendances formatives sur les smartphones, y compris californiens, etc… sont autant de preuves de ces tendances lourdes de l’apparition et de l’ancrage du «Mobil-learning» ou en français «Apprentissage nomade».
Réunir régulièrement dans un même lieu, un enseignant avec des étudiants, un formateur avec des apprenants, un consultant avec des salariés, (un commercial avec ses clients), ou un bénévole avec des membres d’une association, s’il n‘y pas une intention pédagogique ou sociale explicite à cette dimension collective, pourrait se révéler contre-productif !
Le phénomène inquiétant des décrocheurs de collèges, de lycées, d’universités, et même, semble-t-il, d’écoles d’ingénieur, illustre cette tension. Si l’époque de la société dite industrielle où l’écolier, muni de son certificat d’étude, devait passer par le lycée de la ville préfecture pour rejoindre le temple du savoir, (i.e l’université) à la capitale, est bel et bien révolue, celle d’une «société apprenante» est encore à construire.
Ce sont les organismes de formation, les CFA, les universités, et leurs partenaires territoriaux, y compris les OPCA, qui ont la charge d’organiser un nouvel accès facilité à tous les apprenants, avec la stratégie européenne renouvelée en 2005 à Lisbonne, concernant la société de l’information.
Demain, peut-on imaginer la systématisation des actions de formation ouvertes où les formateurs ne rencontrent qu’à «l’occasion» les apprenants juste pour la validation ? Est-il avéré que ce n’est plus la peine de se rassembler dans un même lieu pour apprendre ? Avec les porosités sous-jacentes de nos espaces de vie et de travail, qu’a-t-on à perdre et à gagner, et surtout, qui devrait y gagner et qui devrait y perdre ?
Les premiers éléments de réponse seraient dans la formule : «Tous apprenants, tous tuteurs, tous appreneurs !»
Aux regards des contradictions, de la complexité et des tensions de nos sociétés, «apprenant» semble être le seul métier durable, mais avec double nécessité :
– de comportements nouveaux et responsabilités reconnues des apprenants pour saisir toutes les opportunités d’auto-apprentissage, plus ou moins accompagnées dans un cadre formel, non formel et informel, tout au long de la sa vie ;
– d’une diversification du métier de formateur (accompagnateur et concepteur) dans un cadre légal et réglementaire toujours décalé au regard des enjeux. Il s’agirait de mettre en place un espace de cohérence stable, avec plus d’ouverture, visant à coupler «FOAD» et «apprenance».
Source : Jean Vanderspelden, retrouvez les billets sur le blog de t@d