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  • L’apprenant a-t-il toujours intérêt à rencontrer un formateur ?

    L’apprenant a-t-il toujours intérêt à rencontrer un formateur ?

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    Quatre épisodes dont voici le dernier intitulé « L’apprenant a-t-il toujours intérêt à rencontrer un formateur » ? La rencontre durable de plus en plus improbable entre l’apprenant et ses formateurs, et donc, vers des responsabilités nouvelles à partager…

    Pour tout tuteur, interagir avec un apprenant motivé est la situation idéale. Cette motivation repose sur plusieurs facteurs, dont les conditions initiales dans lesquelles les personnes se sont inscrites, ou ont été inscrites, dans ces formations. Quand l’intérêt du salarié croise celui de l’employeur, l’individualisation rationalisante (logique de structure) se conjugue avec l’individualisation autonomisante (dynamique de personne) et accentue l’implication de l’apprenant dans son parcours de formation ouverte.

    Ce cercle vertueux ne fonctionne pas systématiquement ; on constate des abandons en cours de parcours, en particulier plus nombreux, semble-t-il, pour des formations en ligne, mais aussi une exclusion forte, de fait, à l’inscription en formation des salariés peu qualifiés. Certains d’entre-eux, particulièrement déterminés, tentent de mettre en oeuvre des stratégies de contournement.

    Les accès à la formation, pour l’ensemble des salariés, sont aujourd’hui conditionnés par l’application du contexte législatif construit autour de l’Accord National Inter-professionnel signé par l’ensemble de partenaires sociaux en 2009. Dans ces nouveaux principes, cet accord permet à tous les salariés, y compris les moins qualifiés, d’accéder plus facilement à la formation. Après la loi Delors de 1971, puis l’ANI de 2008 et 2009 repris dans la dernière loi sur l’orientation et la formation tout au long de la vie, la France dispose d’un arsenal réglementaire qui vise à favoriser la formation de tous. Beaucoup de pays européens aimeraient, disent-ils, disposer d’un cadre légal aussi «avancé» pour financer la formation continue des salariés.

    Force est de constater qu’indépendamment de la période difficile que nous traversons, ce sont toujours les personnes les plus qualifiées, travaillant dans des grandes entreprises situées dans les pôles urbains, qui profitent au mieux de ces opportunités d’entretenir leur employabilité et de conforter leur citoyenneté au travers des actions de formation. Plusieurs facteurs pointent toujours des décalages persistants qui aboutissent à la question : les salariés peu qualifiés peuvent-ils réellement et durablement se former en entreprise, pourtant avide de compétences collectives sans cesse à renouveler ?

    Très souvent, la raison invoquée pour expliquer cette situation est le manque de motivation des salariés peu qualifiés pour s’engager dans une dynamique de formation. Dans le récent livre «L’archipel de l’ingénierie de la formation», édité aux éditions PUR, Emmanuel Quenson (Université d’Evry-Val-d’Essonne), souligne aussi, sur cette problématique, le rôle des responsables de formation dans l’exercice de leur jugement à l’égard de ces salariés.

    L’exemple des entretiens d’évaluation, légalement systématisés aujourd’hui, est cité comme un moment crucial. A ce stade, les salariés, ouvriers, opérateurs, agents de service, ou équivalents, s’estimant mal maîtriser les codes nécessaires pour co-construire avec leur hiérarchie une dynamique de renforcement de leur employabilité, s’excluent, en quelque sorte, par eux-mêmes de la formation dont, par ailleurs, ils continuent à se méfier.

    L’envoi en formation est de plus en plus lié à une adaptation courte pour un récent poste de travail associé à une mobilité horizontale exempte de toute promotion, voire une mutation externe, en rapport avec une redistribution des activités les moins stratégiques ; souvent tout le contraire des formations des cadres et agents de maîtrise. Peu de salariés sont capables de démontrer leur double implication, professionnelle et personnelle, dans la formation, et donc, de justifier efficacement leur besoin réel et légitime de compétences à actualiser.

    Le DIF n’a pas le succès escompté. Plus que le manque de motivation, ce sont quelquefois les conditions d’expression et de repérage de ces motivations qui peuvent constituer paradoxalement ce filtre. La prescription, passage quasi-obligé, n’est pas toujours la meilleure porte d’entrée en formation.

    Si le salarié ne considère pas sa sphère de travail comme un lieu propice à l’expression de ces besoins de formation, cela ne l’empêche pas forcément d’explorer d’autres pistes et de concrétiser, au prix d’un réel effort sur la gestion de son temps et de ses moyens financiers, une inscription en formation formelle ou informelle, plus conforme à son projet personnel, voire professionnel. Indépendamment de son statut, et ne souhaitant pas informer ses collègues et son employeur, il peut s’auto-prescrire des actions de formation flexible, soit de proximité dans une offre territorialisée dans le champ de l’éducation permanente, soit à distance via Internet avec des offres numérisées, plus ou moins marchandisées.

    Des études montrent qu’en France, les foyers sont mieux équipés pour accéder à Internet que les lieux de travail où les connexions sont souvent inaccessibles, dégradées ou restreintes, surtout pour les postes les moins qualifiés. Cela donne ainsi des possibilités inédites de développer et d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences en interagissant, de chez soi sur son territoire, avec des pairs aux seins d’associations, de clubs ou de réseaux sociaux ou des opérateurs formation.

    Si derrière chaque travailleur se cache un apprenant potentiel, derrière un apprenant peut se cacher un salarié ayant fait le choix d’apprendre hors dispositif. En tant que tuteur en ligne, la prise en compte de ces écarts entre le statut affiché et le statut réel (dont le nombre de cas devrait se développer du fait de la complexité du marché de l’emploi), nous apparaît comme importante. Repérer, dès que possible, les conditions d’adhésion (demandée, souhaitée, recommandée, imposée ou positivement dissimulée) à une formation en ligne semble être un point clé pour instaurer une relation d’accompagnement adéquate en vue de comprendre et de réguler le déroulement du parcours à distance.

    Cet état de fait nous interroge sur le nécessaire équilibre entre le secteur de la formation continue, hautement cadré, et le champ de l’éducation permanente, apparaissant aujourd’hui comme le maillon faible des réformes en cours. Aujourd’hui, nous bénéficions d’un côté, d’un dispositif fort et organisé où les formations sont essentiellement prescrites de l’autre, des actions diversement structurées, de telle manière que les personnes, indépendamment de leur statut, puissent bénéficier d’une formation à leur demande. Si l’apprenant a toujours besoin de son formateur ou de son tuteur à distance, la question se pose pour son prescripteur interne ?

    A l’heure où la sécurisation de parcours est la priorité, ne pourrait-on pas imaginer, à l’instar de l’installation mouvementée du FPSPP (Fonds Paritaire pour la Sécurisation des Parcours Professionnels) pour les demandeurs d’emploi, un même mécanisme porté par les partenaires sociaux, en concertation avec les OPCA, qui permettrait à des organismes inscrits dans une logique de type SPRF (Service Public Régional de Formation) d’accueillir en flux continu dans des Dispositifs d’Accompagnement Ouverts (individuel et flexible) et à Distance (partiellement), une part de ces salariés peu qualifiés, en dehors de la logique de prescription ?

    Au regard des enjeux de besoins importants de compétences sur les territoires, doit-on se priver de la capacité de certains individus de décider par eux-mêmes de se former, sans être pour autant autodidacte ? Si le chantier du XXIème siècle porte sur les conditions de mise en oeuvre de l’apprenance aux profits de la personne, il faudra, non seulement travailler sur le vouloir et savoir apprendre, mais aussi, sur le pouvoir apprendre, dans des contextes innovants, temporairement et partiellement déconnectés des enjeux et des tensions liés à son activité professionnelle.

    Dans ces conditions, des salariés peu qualifiés pourront, eux aussi, avec leur tuteur distant, mieux se projeter, à moyen terme, sur des opportunités d’évolution.

    Source : Jean Vanderspelden, retrouvez les billets sur le blog de t@d

  • Dans une approche réseau, le «Digital Native» a-t-il besoin d’un tuteur ?

    Dans une approche réseau, le «Digital Native» a-t-il besoin d’un tuteur ?

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    Quatre épisodes dont voici le troisième intitulé « Jouer à apprendre et devenir apprenant, tout au long de sa vie – Dans une approche réseau, le «Digital Native» a-t-il besoin d’un tuteur ?

    Dans l’une des «causeries» portant sur l’alliance délicate entre pédagogie et technologie (série de vidéos rafraîchissantes disponibles sur Dailymotion), Marcel Lebrun (Université de Louvain) préfère parler, avec son complice Christophe Batier (Université de Lyon 1), de «Fun Learning» plutôt que de «Serious Game» ! Tout est dit ; un titre avec fondement humain, au regard d’un slogan à visée marketing !

    Il est difficile de ne pas croiser la vague médiatique vantant les mérites de l’usage des jeux d’aventures en 3D et avec avatars multicolores, à des fins annoncées comme formatives. Le jeu a certes toute sa place dans la formation des adultes : jeu plateau, jeu de rôle, jeu de logique, jeu de simulation, etc…, même si celle-ci reste souvent sous-dimensionnée dans la pratique. Ses apports résident dans l’apprentissage et le respect de règles, dans l’élaboration et la mise en place de stratégies individuelles et collectives de coopération, dans la simulation sur le principe essai-erreur, dans la stimulation et le plaisir du risque ou du challenge, et aussi dans les acquisitions de savoirs thématiques liés à chaque jeu. Par ailleurs, les apprenants s’appuient sur leur culture jeu et réseau, pour apprendre, collaborer et donc pour travailler. Malgré cela, se pose la question de l’impact réel de l’usage de Jeux Sérieux, tels qu’on les présente en formation formelle des adultes.

    Le doute repose sur deux effets convergents ; l’évolution des usages de la micro-informatique et la puissance économique des industries de ce secteur. A la fin des années 1970, la commercialisation des premiers micro-ordinateurs a fait naître des perspectives novatrices, dont celles nous laissant envisager que les machines allaient nous «aider» à nous former, voire à nous faciliter l’apprentissage. Après la télévision éducative, apparaît une nouvelle chimère avec la naissance de l’EAO ou de l’EIAO (couplage de l’intelligence artificielle et de l’enseignement).

    Force est de constater que les apports attendus ne se sont pas cristallisés sur ce domaine, même si, avec la connexion du micro-ordinateur au réseau Internet, apparu vingt ans plus tard, de vraies nouvelles fonctionnalités d’assistance ont été mises à notre disposition : pour communiquer, s’informer, partager, produire, etc… et aussi pour jouer. Certes l’EAO était mort-né, mais la conception de premiers jeux sur les antiques Spectrum, Atari, TO7 et autre Apple 2.0, allait générer un secteur économique puissant : celui de l’Entertainment individuel, d’abord sur console, puis sur ordinateur, et maintenant sur tous les supports i-connectés.

    Comme souvent, le micro-ordinateur a été, en partie, détourné de son usage ; on a basculé de l’EAO vers le jeu. Est-ce pour se donner bonne conscience que réapparaît, quarante ans après, l’option «micro-ordinateur en réseau pour apprendre, mais avec… le jeu» ? Notre analyse aboutit plus prosaïquement à l’observation d’une démarche d’extension de marché. L’objectif est de vendre des prestations et de nouveaux produits, à des clients quelquefois avec l’argument d’un apprentissage (enfin) distrayant, et donc (forcément) efficace.

    Si souffler n’est pas jouer, souffrir n’est pas non plus apprendre ; le jeu pouvant être, aussi en formation, le souffle de l’inévitable effort ! 

    Il s’agit aussi de se démarquer des séquences e-learning où le graphisme et les activités en ligne restent peu attrayantes et, donc, peu motivantes. Cela peut expliquer des abandons relativement nombreux durant certains e-parcours.

    L’interactivité (machine-utilisateur) ne remplace pas l’interaction (apprenant-appreneur & apprenant-apprenant) qui enrichit la formation par les échanges et les confrontations. L’immersion dans les univers, à dimension professionnelle de certains «Serious games», offre l’opportunité d’interagir en situation, en développant des compétences liées à des métiers ou à des gestes professionnels, savoir-faire ou savoir-être, et non à des savoirs. Ces apprentissages sont certes simulés, mais ils sont plus nets, au moins dans un premier temps, qu’en salle ou en centre de ressources.

    Des contre-exemples doivent certainement illustrer des usages pertinents et originaux en formation informelle avec des didacticiels distrayants de 3ème génération. Mais, les premiers «Serious Games», mis en avant sur la place publique, relevaient plus d’une opération de communication, voire de gestion des ressources humaines. Dans les grandes entreprises, le département formation n’a pas forcément le dernier mot.

    Les «Digitals Natives» selon Marc Prensky ceux qui ont le nez dans les technologies numériques depuis leur naissance, n’ont certainement pas tous le même avis. Contrairement aux «Digitals Migrants» que nous sommes, une partie de ces apprenants qui n’ont pas le comportement passif assez répandu de «consommateur numérique», ont un usage d’internet, et de tout ce qui y est connecté, identitaire, projectif et ouvert. Ils y ont développé une culture numérique forte et erratique. Cette culture s’appuie sur les compétences acquises durant leurs multiples activités dans les jeux interactifs et les réseaux numériques associés.

    Ces apprenants gèrent plusieurs identités numériques, s’activent dans une approche multitâche, cherchent la validation par leurs pairs, publient à tout va, n’hésitent pas à tester par essai-erreur, et pourraient clamer, haut et fort, qu’il est plus important de savoir qui sait, plutôt que de savoir soi-même !

    Concernant la formation, on peut émettre une hypothèse à partir de ce portrait caricatural : face à une difficulté dans le jeu, dans l’apprentissage ou dans le travail, souvent la stratégie première de ces personnes serait d’abord de mobiliser leur réseau, plutôt que de s’appuyer sur leurs propres capacités et connaissances. C’est une logique de compétence collective diluée, plutôt que personnelle, mais toujours une compétence !

    Dans un dispositif de type FOAD, ces apprenants nous interpelleront lors du déroulement de leur parcours de formation éclatée. Le feront-ils parce que nous sommes leurs tuteurs distants prêts à les aider à se poser les bonnes questions, ou parce que nous sommes une personne appartenant à leur communauté, avec laquelle ils résoudront un problème, même en le contournant ? Dans nos environnements ouverts, ces Digitals Natives auront-ils systématiquement recours à leurs enseignants, leurs formateurs, leurs tuteurs, en dehors des passages obligés ? Est-ce une forme d’expression d’autonomie, de repli, d’une stratégie d’évitement, ou un mixte ?

    Apprendre, c’est être capable de jouer de ses relations, en s’appuyant sur des ressources en réseau, ce qui est une compétence transversale précieuse, mais c’est aussi être en mesure de se mobiliser soi-même, pour s’adapter et progresser.

    Dans ce contexte, notre responsabilité de tuteur serait de s’assurer que les apprenants agissent bien dans deux directions : un espace virtuel interactif avec l’activation des réseaux dans lesquels ils échangent maintenant pour apprendre comme ils jouaient, et un espace réel d’interaction où ils collaborent durablement avec leurs accompagnants, leurs pairs, leurs collègues et leurs proches pour apprendre, y compris le dur jeu de la vie. Ainsi, ils deviendront à leur tour, «apprenant tout au long de sa vie», en faisant des allers-retours entre le «Je» et le Nous» qui donnent sens pour inter-agir !

    Source : Jean Vanderspelden, retrouvez les billets sur le blog de t@d

  • La culture de l’écran concurrence celle du livre ?

    La culture de l’écran concurrence celle du livre ?

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    Quatre épisodes dont voici le second intitulé « La culture de l’écran concurrence celle du livre- L’apprenant et le formateur ont-ils encore un terrain de conciliation autour de l’écrit ? »

    Cap Digital a organisé, à la Cité des Sciences à Paris en avril 2010, les «Assises nationales de l’éducation et de la formation numériques». Ces rencontres ont eu lieu dans le cadre de la réflexion sur l’optimisation de l’investissement de l’Etat, liée au grand emprunt, dans le secteur du numérique. A cette occasion, S. Tisseron, universitaire à Paris Nanterre, est intervenu en s’appuyant sur son dernier livre co-rédigé avec B. Stiegler «Faut-il interdire les écrans aux enfants ?». Son intervention portait sur l’observation du comportement des enfants et de leur motivation à apprendre, en particulier face aux différents supports interactifs.

    Ses arguments, repris en partie ci-dessous, nous interrogent directement sur ceux des adultes en formation, aujourd’hui et demain. Ce questionnement est d’autant plus d’actualité que les formations ouvertes s’appuient sur des usages diversifiés, des technologies numériques. Comme le système éducatif, le secteur de la formation continue est confronté à la révolution liée à la présence de l’écran dans de plus en plus d’activités, de lieux et de temps d’apprentissage. La situation est peut-être moins tendue qu’on pourrait l’imaginer. Ces apprenants ont une double culture : celle de l’écran, temps toujours à dominante ludique, et celle du livre, passage parfois obligé, détourné et quelquefois, à consolider.

    La maîtrise de la lecture des écrans permet de capter plusieurs informations à la fois où les contraires ne s’excluent pas forcément. La page hypertextuelle peut compléter, ou contredire, une vidéo en streaming qui, elle-même, télescope ou enrichit un mur de commentaires d’un réseau social, dans une troisième fenêtre ; tout cela sur le même écran. L’utilisateur est soumis à ce multi-éclairage et doit en tirer ses propres conclusions. L’écran est une porte d’entrée multiple et immersive, à la fois sur des informations, et aussi, vers de la connaissance.

    Cela suppose un niveau de traitement adapté des contenus. Le livre, ou plus généralement, l’écrit sur support non numérisé, propose une approche plus douce, avec la lecture séquentielle de page unique. La succession de pages lues donne accès aux réflexions et aux intentions d’un auteur identifié, invitant son lecteur à partager un récit, une croyance, un imaginaire, un fait, un argumentaire, un savoir, un avis, un commentaire, etc… Le lecteur s’identifie, s’approprie, apprend, se projette, rejette, s’interroge, réagit à sa mesure et reconstruit.

    La culture du livre incite à une pédagogie patiente hypothético-déductive. L’écran stimule plus un apprentissage instantané par essai-erreurs, et ouvre des perspectives novatrices pour la formation intégrant la simulation. Ces cultures articulent deux espaces temps ; les apprenants et les tuteurs s’y répartissent, chacun à leur manière, selon leurs activités et leurs rôles ; apprenant qui plutôt se projette sans repère, sans la présence continue du formateur qui, lui-même, plutôt se protège…

    Même si Internet est nettement plus un espace de consultation (lecture et lecture numériquement active avec la capacité virale de «faire suivre»), voire de captation, que de production (écriture), grâce au couple écran-clavier, jamais autant d’écrits n’ont été produits ! Du simple SMS sur l’écran réduit de nos portables, en passant par les commentaires sur les réseaux sociaux, les publications individuelles de billets sur nos blogs ou l’écriture collective d’articles sur les Wikis naissants, mais aussi, et surtout, une nouvelle écriture exponentielle par l’image et par la vidéo ; ici la société de l’(sur)information porte bien son nom.

    Tous les écrits ne se valent pas, mais constituent un matériau de base qui, de fait, place chaque individu écrivant, dans une relation nouvelle de responsabilité avec les autres. Si j’écris, c’est que j’attends que les autres me lisent, et donc, moi-même, devenant potentiellement lecteur. Ma participation à l’expansion numérique des réseaux est de fait autorégulée par mes pairs. De fait, cette coproduction est un apprentissage qui peut être un passage, une bascule, un complément entre la culture des écritures multimédias et celle de l’écriture papier, dans nos différents espaces de vie.

    En termes de communication et d’échange, on relève schématiquement deux espaces. D’abord la sphère personnelle où presque tous les écrits sont permis sur la base des médias ouverts. Ce sont «les écrits des écrans» : SMS, tag, commentaire, message, post, billet, contribution, publication, photo, vidéo, etc… une écriture spontanée, continue et multiforme. Ensuite, dans la sphère professionnelle, la quasi-totalité des écrits de référence reste encore codifiée sur les bases académiques, liées à l’évolution de la langue française et à ses valeurs.

    Ce sont «les écrits du papier», où le livre a une place particulière comme une sorte «d’écrin des écrits». Paradoxe suprême, ces écrits sont eux-mêmes de plus en plus numérisés : note de service, compte-rendu, courrier, rapport, étude, mémoire, bilan, cahier des charges, article, règlement, loi, etc…

    La souplesse et la porosité de la combinatoire des formations de type FOAD (Formation Ouverte et à Distance) génèrent des distances géographique, pédagogique et culturelle. Elles peuvent constituer des opportunités d’équilibre retrouvé entre ces deux espaces. Les maîtrises de ces deux écrits, ceux de l’écran et ceux du livre, sont immanquablement complémentaires.

    Les écoliers, les collégiens, les lycéens, voire certains étudiants, ont travaillé sur cette double compétence, mais la «bataille» est de plus en plus difficile car déséquilibrée ; l’écran envahissant notre société libérale où les adolescents constituent une cible privilégiée. Quelques années après, confrontés à des réalités incontournables, les adultes, selon leur qualification, en formation ou en production, peuvent bénéficier de temps d’appropriation, de partage et d’enrichissement réciproque de ces deux cultures.

    Sur cette question, un terrain de conciliation existe entre l’apprenant et le tuteur. D’un côté, les apprenants confortent la culture écran des formateurs, nécessité pour le développement des activités en entreprise. De l’autre coté, les formateurs renforcent la culture et la maîtrise de l’écrit de l’apprenant, sur la forme et sur le fond. Il s’agit d’une compétence clé pour assurer des responsabilités et assumer pleinement sa place dans notre société : écrire pour affirmer ses identités et pour exister.

    Cette double reconnaissance participe à la construction en alternance d’environnements ouverts. Dans cette dynamique, pour que l’apprenance, telle que Philippe Carré l’a définie, se développe au profit de tous, y compris des personnes les moins qualifiées, notre société se doit de poursuivre l’installation durable de ces nouvelles organisations dans lesquelles nous sommes tous apprenants, tous écrivants !

    Source : Jean Vanderspelden, retrouvez les billets sur le blog de t@d

  • L’apprenant va-t-il rencontrer toujours ses formateurs ?

    Quatre épisodes dont voici le premier intitulé « Le temps l’emporte sur l’espace – L’apprenant va-t-il rencontrer toujours ses formateurs ? »

    Prochains épisodes à venir :
    – Episode 2, La culture de l’écran concurrence celle du livre –  L’apprenant et le formateur ont-il encore un terrain de conciliation ?
    – Episode 3, Jouer à vivre ou bien vivre à apprendre – Dans une approche réseau, le «Digital Native» a-t-il besoin d’un formateur ?
    – Episode 4, Apprendre chez soi ou dans son entreprise – L’apprenant a-t-il intérêt à rencontrer un formateur ?

    Le temps l’emporte sur l’espace : l’apprenant va-t-il rencontrer toujours ses formateurs ? 

    Michel Serres nous rappelait récemment que si on demandait à une personne son adresse, sans préciser postale, on prenait le risque de récupérer juste son email. Aujourd’hui, on se positionne, on se calcule, GPS oblige, autant dans le temps que dans l’espace. L’email et ses mots de passe associés, forment un code numérique qui permet à chacun de s’affranchir, en partie, du lieu d’activité, du lieu de loisir ou du lieu personnel, pour rester en contact permanent et instantanément, si on le souhaite.

    L’une des questions n’est plus de savoir d‘où on se connecte, mais quand et à quelle fréquence ? L’autre question est bien-sûr la raison et le sens du traitement de ces informations, fugaces pour la plupart, issues de ces services, futiles pour certains, que portent tous les e-auxiliaires à notre «service» dans nos espaces de vie. De même, si on demande à un banlieusard où il habite, il ne va pas répondre à 18 kilomètres du centre ville, mais à 45 minutes. Ainsi, indépendamment de la qualité d’un quartier ou de la construction plus ou moins durable, l’attrait d’un habitât peut être lié à la proximité d’une gare TGV ou d’un nœud urbain principal : des réseaux routier, ferré, numérique, … et social.

    Appliqué à la formation, surtout celle tout au long et tout au large de la vie, ce rapport comptable entre le temps et l’espace, induit aujourd’hui la mise en oeuvre de formations ouvertes et à distance d’un type particulier. Si la FOAD peut être considérée comme une combinatoire multiple entre les trois unités d’action, de lieu et de temps, on observe que de plus en plus d’actions FOAD se structurent pour dégager une nouvelle forme implicite de consensus temporel entre l’apprenant, le formateur et l’institution.

    Ce compromis résiderait dans la consommation faible d’un temps partagé obligé. L’important ne serait plus forcément d’être physiquement présent avec son formateur, mais de garder un lien pluriel avec l’institution, et surtout, avec sa communauté d’apprentissage, quand elle existe. Ce lien évolutif est à la fois synchrone et asynchrone, individuel et collectif, actif et proactif, formatif et productif, libre et contraint. Certes, il demeure, et demeura, aussi dans des temps présentiels avec les formateurs, mais «espacés».

    Cette nouvelle distribution restera cohérente, sous réserve d’accéder, via le réseau numérique, à niveau suffisamment efficace, aux contenus en ligne, aux consignes et aux conseils des formateurs distants, également en ligne. Il s’agit aussi de pouvoir saisir en vivant, in situ, les enjeux sociaux de l’apprentissage et de la formation. L’essor des cours ballado-diffusés par les universités, l’activité des antennes des Ateliers de Pédagogie Personnalisée et le développement des Points d’Accès à la Téléformation en région, la systématisation des tutorats en ligne autour des plates-formes de télé-formation, la banalisation des visioconférences à la place des traditionnelles réunions, l’accès facilité aux espaces collaboratifs, l’usage des réseaux sociaux à des fins pédagogiques, la démultiplication des outils du Web 2.0 à toutes les sauces, les applications à tendances formatives sur les smartphones, y compris californiens, etc… sont autant de preuves de ces tendances lourdes de l’apparition et de l’ancrage du «Mobil-learning» ou en français «Apprentissage nomade».

    Réunir régulièrement dans un même lieu, un enseignant avec des étudiants, un formateur avec des apprenants, un consultant avec des salariés, (un commercial avec ses clients), ou un bénévole avec des membres d’une association, s’il n‘y pas une intention pédagogique ou sociale explicite à cette dimension collective, pourrait se révéler contre-productif !

    Le phénomène inquiétant des décrocheurs de collèges, de lycées, d’universités, et même, semble-t-il, d’écoles d’ingénieur, illustre cette tension. Si l’époque de la société dite industrielle où l’écolier, muni de son certificat d’étude, devait passer par le lycée de la ville préfecture pour rejoindre le temple du savoir, (i.e l’université) à la capitale, est bel et bien révolue, celle d’une «société apprenante» est encore à construire.

    Ce sont les organismes de formation, les CFA, les universités, et leurs partenaires territoriaux, y compris les OPCA, qui ont la charge d’organiser un nouvel accès facilité à tous les apprenants, avec la stratégie européenne renouvelée en 2005 à Lisbonne, concernant la société de l’information.

    Demain, peut-on imaginer la systématisation des actions de formation ouvertes où les formateurs ne rencontrent qu’à «l’occasion» les apprenants juste pour la validation ? Est-il avéré que ce n’est plus la peine de se rassembler dans un même lieu pour apprendre ? Avec les porosités sous-jacentes de nos espaces de vie et de travail, qu’a-t-on à perdre et à gagner, et surtout, qui devrait y gagner et qui devrait y perdre ?

    Les premiers éléments de réponse seraient dans la formule : «Tous apprenants, tous tuteurs, tous appreneurs !»

    Aux regards des contradictions, de la complexité et des tensions de nos sociétés, «apprenant» semble être le seul métier durable, mais avec double nécessité :
    – de comportements nouveaux et responsabilités reconnues des apprenants pour saisir toutes les opportunités d’auto-apprentissage, plus ou moins accompagnées dans un cadre formel, non formel et informel, tout au long de la sa vie ;
    – d’une diversification du métier de formateur (accompagnateur et concepteur) dans un cadre légal et réglementaire toujours décalé au regard des enjeux. Il s’agirait de mettre en place un espace de cohérence stable, avec plus d’ouverture, visant à coupler «FOAD» et «apprenance».

    Source : Jean Vanderspelden, retrouvez les billets sur le blog de t@d