POINT DE VUE

Motivations et déceptions dans le numérique à l’Ecole en 2012

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Dans les candidatures de 2012, qui parle vraiment de numérique en éducation?  Passés tous les problèmes récurrents qui prennent de plus en plus d’ampleur dans un secteur «meurtri», osons le terme, il ne reste que peu de place pour les TICE dans les lignes de campagne.

Il est naturel que ce sujet ne soit pas la priorité parallèlement à l’actualité où suppressions de postes, violence à l’école et réformes en tout genre font la une de nos journaux ! Pourtant, «le rôle du politique ne serait-il pas de donner un signal fort pour entraîner l’adhésion de tous», suggère un des enseignants interrogés.

Alors que le numérique entre en scène dans chaque étape de notre vie quotidienne, personnelle ou professionnelle,  il serait temps de penser à ce qu’il occupe aussi les bancs des écoles ;  en quelque sorte, capitaliser les acquis de nos enfants, les «digital natives», pour les utiliser en situation d’apprentissage.

Le numérique éducatif reste flou dans les programmes de campagne

Une réflexion autour des propositions des candidats les plus «populaires» dans les sondages nous permet de jauger des intentions de ces derniers.

Autour du candidat socialiste, François Hollande, qui promet l’ouverture de 60 000 postes dans l’éducation et spécialement en école maternelle et en primaire puisque c’est à ce niveau que, d’après lui, se joue l’échec scolaire, pas d’allusion franche au sujet qui nous intéresse ; Il est pourtant le candidat qui a engagé un programme ambitieux d’équipement en tablettes numérique des collégiens pour son département, la Corrèze ; il n’est donc pas ignorant de l’importance des équipements et usages des TICE en classe, puisqu’il propose une «généralisation» des nouvelles technologies.

Du côté de l’UMP, pas de propositions concrètes non plus dans le programme de «la France Forte» de Nicolas Sarkozy. On peut supposer néanmoins qu’il bâtira sa politique d’éducation numérique sur les propositions faites en juin 2011 dans un rapport de l’UMP (largement inspiré du rapport Fourgous), déclinant un certain nombre de sujets comme, entre autres, la généralisation des Tableaux Numériques Interactifs, celle des manuels numériques, les ENT (Environnements Numériques de Travail) obligatoires dans le secondaire et à l’Université, les TICE présents dans la formation initiale et continue des enseignants et la présence tant attendue du référent numérique «rémunéré» pour tous les établissements du second degré.

François Bayrou semble, quant à lui, convaincu d’un usage obligatoire du numérique comme outil collaboratif dans la communauté éducative, notamment en ce qui concerne le partage de ressources «libres», répondant aux besoins croissants des enseignants dans ce domaine. Pour lui, le numérique est  un moyen rapide et moderne d’échanger, de partager, de construire entre enseignants pour améliorer les pratiques pédagogiques ; il parle d’un projet «humaniste».

Au delà de ces considérations politiques, voyons ce que proposeraient les enseignants que nous avons interrogé pour améliorer la mise en place des TICE à l’école.

Arrivée des TICE dans une ambiance morose

«Le manque de reconnaissance», «une déconsidération générale de la fonction d’enseignant», «élèves et parents perdent peu à peu confiance en notre système de formation», «enseignants déprimés», voilà un bref aperçu du ressenti des quelques enseignants interrogés ; Le décor est planté. Les vraies valeurs, celles qui mettaient autrefois le «maître» sur un piédestal, sont tombées aux oubliettes.

Alors que les enseignants s’interrogent sur la considération de nos dirigeants pour leur métier, nous comprenons que le contexte est bien mal choisi pour faire entrer ces nouveaux outils dans la pédagogie du corps professoral, encore trop souvent ressentis comme complexes à mettre en place.

Bien qu’ils l’utilisent au quotidien, le numérique n’est pas perçu par nos interlocuteurs comme le «sauveur» du monde éducatif, mais un outil qui sera utile au «changement».
Sans vouloir laisser de côté le numérique, tous s’accordent à dire qu’il faut dans un premier temps, penser à changer «l’école», «passer d’une politique qui suit avec retard les évolutions de l’informatique à une ambition de changement de l’école», précise l’un d’eux.

Du changement pour l’école avec le numérique en toile de fond

Changer l’école, c’est aussi faire évoluer le corps enseignant, «pour permettre des pédagogies qui soient basées sur des objectifs encourageant analyse et créativité».
Avec le numérique, on modifie profondément les habitudes des enseignants, qui ne sont pas prêts et formés pour cela, comme le souligne un enseignant, «tout nouvel outil semble insurmontable à intégrer en classe».

Le changement devrait aussi passer par une réforme des programmes. Toutes leurs réflexions convergent vers le fait que le socle actuel est souvent obsolète et pas du tout adapté à l’évolution de la société.  Je citerai l’exemple d’une enseignante qui avoue se sentir inutile, «parce que mon travail, c’est surtout de préparer les élèves au bac, une épreuve qui n’a pas de sens dans le monde d’aujourd’hui. Je les prépare à une épreuve et à des exercices vains qu’ils n’auront pas à reproduire».

Et le numérique dans tout ça ?

Le numérique à l’école interviendrait comme un élément de la mise en œuvre de la stratégie choisie pour le changement.

Notons qu’il a déjà engagé des bouleversements dans l’enseignement et l’apprentissage des élèves. Le rapport au savoir, l’accès à l’information sont profondément modifiés ; l’outil numérique favorise le travail en groupe, collaboratif, l’échange entre tous les acteurs de la communauté éducative ; «il décloisonne l’espace-temps de la classe et c’est un vrai plus».

Un usage du numérique trop collaboratif ?

«L’introduction du numérique induit un changement de posture de l’enseignant, il n’est plus le détenteur du savoir et la transmission des connaissances n’est plus verticale». Cette déclaration amène l’idée que le numérique permet une ouverture vers le monde extérieur.

Cependant, les enseignants s’interrogent : cette évolution est-elle véritablement souhaitée par l’institution ? Et n’est-ce pas là un des freins au développement du numérique en éducation ? Tous ont le sentiment d’un certain contrôle, la tradition du système vertical ne pouvant être ébranlée par un mouvement plutôt horizontal, «le web social» ouvrant la porte à toute liberté pédagogique… Pourtant, n’est-il pas primordial que les TICE soient portés par les enseignants, les acteurs de terrain ?

Sans être la priorité, le numérique dans l’éducation doit s’engager plus franchement, «pour que nous ne soyons pas en décalage avec la société qui « absorbe » ces avancées technologiques bien plus vite que la communauté éducative», ajoute une enseignante.

Le numérique lui-même évolue constamment, si l’on en juge les usages en mobilité (téléphones, tablettes) et on-line (cloud)… et les personnes interrogées s’inquiètent,  «sommes-nous déjà en train de rater le virage de l’intelligence collective» ?

Malgré de grandes initiatives lancées par le Ministère de l’éducation nationale pour développer le numérique (plan ENR, expérimentations avec les manuels numériques, cahier de textes numérique obligatoire depuis la rentrée 2011 et très récemment l’opération chèques ressources, généralisation des ENT), et qui ne sont pas restées sans suite, le numérique n’affiche pas, à l’école, la croissance exponentielle qu’il connaît dans notre vie quotidienne ou d’en d’autres pays d’Europe. Pour quelles raisons ? Plusieurs aspects sont passés au crible et répondent en partie à cette question.

Du matériel à foison

D’un point de vue équipement, le bât blesse. Alors que les collectivités font des efforts pour mettre à niveau leurs établissements, leurs investissements ne sont pas toujours cohérents.

L’exemple donné par une enseignante sur sa Région qui a investi pendant longtemps dans les Tableaux Numériques Interactifs (TNI) et qui décide de ne subventionner aujourd’hui que les VidéoProjecteurs Interactifs (VPI), est très parlant. Sans entrer dans le détail du choix fait par la collectivité pour tel ou tel matériel, qu’elle pourrait certainement argumenter, cette enseignante nous donne matière à réfléchir sur ce cas concret.

Sachant qu’un professeur de lycée est amené à changer de classe plusieurs fois dans la journée, il se retrouve en présence de matériel différent d’un cours à l’autre ; alors qu’il parvient tout juste à devenir performant sur le TNI, le professeur doit se mettre à niveau pour être capable d’utiliser le VPI.
Au travers de ce témoignage, notre enseignante cherche à démontrer qu’un établissement équipé ainsi de manière disparate ne peut pas fidéliser les pratiquants aux TICE. Non seulement c’est un frein au développement du numérique mais cela remet en question l’optimisation du coût investi par la Région.

Les enseignants assistent impuissants à ce foisonnement de matériel qui leur est offert sans avoir été concertés. Pourtant, ne sont-ils pas les principaux intéressés et les utilisateurs finaux ?

Pas de poste fléché pour la maintenance

Restons sur le matériel et abordons un autre problème de fond : la maintenance des équipements. Personnels des académies, des CDDP ou CDRDP, ou encore des collectivités ;  il n’y a pas de règle en la matière pour entretenir et assurer le quotidien des matériels informatiques.

C’est pourtant essentiel pour que l’enseignant réussisse à utiliser les outils numériques dans de bonnes conditions. «Le professeur qui a 35 élèves à gérer ne peut pas se permettre de régler les problèmes de maintenance informatique. Du matériel en panne, ou qui fonctionne mal, ça décourage les collègues de l’utiliser», confie l’un d’eux.

Du personnel pas ou peu qualifié et des moyens largement insuffisants ne permettent pas l’utilisation optimale des nouveaux outils. Il serait souhaitable d’envisager une mutualisation des moyens pour créer de vrais postes dans ce domaine.

Equiper les profs, un mythe ?

Lorsqu’il s’agit d’investir dans le numérique, les décideurs pensent souvent aux usages des élèves, mais pas à l’utilisation des professeurs dans leurs tâches quotidiennes. Faire l’acquisition, par exemple, d’ordinateurs portables pour les enseignants « compatibles » avec le réseau de l’établissement et sur lequel ils pourront préparer leurs cours en toute quiétude, n’est pas inscrit sur leur « liste de courses ». Cela implique que l’enseignant prépare son cours sur son propre ordinateur à la maison, mais attention, il ne sera peut-être pas autorisé à l’amener dans sa classe !

Le témoignage de cette enseignante en langues est exemplaire :
«Je souhaiterais amener mon ordinateur en cours mais je ne peux pas car il est interdit de le brancher sur le réseau de l’établissement ; or, c’est ce réseau qui nous permet de remplir le cahier des absences, les notes, les bulletins et le cahier de texte en ligne… on est obligé d’utiliser les ordinateurs du lycée qui ont des mises à jour à tout moment, très chronophages, et sur lesquels on ne sait pas quels logiciels sont installésLe résultat est qu’une vidéo n’est pas toujours visible, parfois il n’y a pas d’enceintes donc pas de son ou encore, le logiciel « Powerpoint » n’est pas installé… On peut passer des heures à préparer un cours pour, au final, ne pas pouvoir le réaliser. C’est une démotivation au quotidien pour les enseignants et pour les élèves (…)».

Finalement, mieux vaut opter pour un cours traditionnel, on gagne du temps ! Au vu de cette démonstration, c’est la réflexion que pourrait avoir plus d’un enseignant aujourd’hui.

«Il n’est pas rare de voir des profs, même parmi les plus motivés, se retrancher derrière des séances plus traditionnelles de « transmission du savoir » où, au moins, la classe est calme et les élèves repartent avec une trace écrite construite», ajoute une autre enseignante.

L’accompagnement des enseignants largement insuffisant

Un manque de motivation chez les enseignants aux nouvelles technologies ? Voici une réflexion redondante qui alimente les conversations de toute la communauté éducative aujourd’hui. Mais dans ces mêmes discours, il est souvent question d’accompagnement. «Si les élèves sont nés à l’ère du numérique, ce n’est pas le cas des professeurs».

La mise en place de « vrais » plans de formation aux TICE pour les enseignants est sujette au débat ; les TICE ne doivent plus être une option, sous-entendu, elles doivent faire partie de la formation initiale et de la formation continue. Il y a, d’une part, la maîtrise des outils, comme le précise une enseignante, et d’autre part, le fait «d’être en mesure de les intégrer de façon pertinente dans sa discipline en vue de la valorisation de la formation dispensée aux élèves».

L’ensemble de ces réflexions d’hommes et de femmes «de terrain» nous amène à conclure qu’en termes de numérique à l’école, tout semble à construire. Nous sommes encore sur une phase de «matériel», lui même déjà contraint à des aléas techniques non résolus et encore loin de la phase «usages pédagogiques», tant attendue pour boucler le cercle vertueux de l’école numérique de demain.

Pour ces enseignants déterminés à avancer malgré «la crise de confiance», le numérique est l’outil idéal qui va permettre de travailler collectivement ; au-delà des ressources marchandes, les échanges induits sont une mine d’or pour les élèves et les enseignants ; un réseau qui sera permis via des outils variés (tablettes, netbooks, TNI… smartphones ?) qui seront, au même titre que la calculatrice, la trousse ou le cahier, des composants du cartable de l’élève.

Les usages pédagogiques pourront enfin voir le jour dès que les contraintes techniques disparaîtront.

Enfin, redorer le blason d’un métier qui doit s’accorder une mutation s’avère une étape incontournable car, sans motivation des principaux intéressés, aucune avancée ne pourra se faire.

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