Faut-il craindre les technologies numériques? Dans son dernier ouvrage, Serge Tisseron apporte une réponse sans ambiguïté : ni plus ni moins que les possibilités de notre propre esprit, dans la mesure où ces technologies ne font que reproduire et potentialiser l’ensemble de nos opérations psychiques.
Du coup, tous les bénéfices que l’être humain peut en tirer sont ceux qu’il tire des ressources de son propre esprit, et il en est de même des risques qu’il y court. Ce qui fait, au passage, regretter à Serge Tisseron que ses collègues du milieu psychiatrique n’en voient souvent que le second aspect, et qu’ils soient aussi peu attentifs au formidable modèle que constitue notre rapport à notre propre esprit pour comprendre nos relations aux écrans.
C’est ce quiproquo auquel il veut mettre fin. Car non seulement le virtuel est une composante de la vie psychique, mais cette particularité est la clé de l’extraordinaire pouvoir de fascination qu’exercent sur nous les espaces dits «virtuels» de nos ordinateurs.
Première partie de l’ouvrage
Pour mettre à leur juste place ces technologies, il est donc indispensable de cerner d’abord la place du virtuel psychique dans notre vie intérieure. C’est ce que fait Serge Tisseron dans la première partie de son ouvrage. Pour lui, tout ce que nous faisons avec les technologies numériques y a son modèle.
En reprenant les travaux de Gilles Deleuze, il s’attache d’abord à montrer comment la relation à un objet présent dans notre environnement réel implique toujours en toile de fond la visée d’un objet virtuel inatteignable, de telle façon qu’aucun désir ne peut jamais être complètement satisfait… tout en ajoutant qu’il l’est toujours partiellement, pour autant que l’investissement du pôle virtuel et du pôle actuel de la relation coexistent.
Puis, en s’appuyant sur les travaux de Pierre Lévy, il fait une grande place au processus de virtualisation comme fondement de la plasticité psychique, et s’intéresse aux situations dans lesquelles il est interrompu, produisant un engagement sans retour dans des relations virtualisantes et appauvrissantes. Pour Serge Tisseron, cette impasse trouve toujours son origine dans une expérience traumatique, et il attire l’attention des psychothérapeutes sur l’importance sur ce point dans leurs prises en charge.
Deuxième partie de l’ouvrage
Dans une seconde partie, Serge Tisseron montre comment les relations aux objets virtuels de nos écrans prolongent les relations que nous entretenons avec notre virtuel psychique, exactement de la même façon que les outils mécaniques prolongent les possibilités de nos mains et l’écriture celles de notre mémoire. Tout ce qui existe dans la vie psychique y trouve un équivalent et peut être amplifié par elles, autant dans le domaine des processus conscients qu’inconscients.
Les objets virtualisés sur nos écrans démultiplient les possibilités de notre propre esprit, tantôt au service de la réciprocité et tantôt au service de l’emprise. D’où leur immense succès !
L’étude des technologies numériques à la lumière du virtuel psychique permet alors à Serge Tisseron d’éclairer d’un jour nouveau les différents usages des jeux vidéo et leurs utilisations pathologiques parfois qualifiées d’addiction. Il pose au passage les bases d’une thérapie par les avatars, ces créatures de pixels que les joueurs de jeu vidéo se fabriquent et à travers lesquelles ils interagissent.
Enfin, il montre le rôle privilégié des technologies numérique dans des apprentissages qui mettent le plaisir au premier plan, grâce à plusieurs caractéristiques: leur capacité de motiver et de rassurer, notamment par la visualisation des performances et des parcours, la possibilité d’en transformer les contenus, le fait que les réponses apportées par les logiciels soient adaptées et récurrentes, et enfin leur disponibilité à l’usager en tous lieux et à tous moments.