POINT DE VUE

La tablette numérique : une solution pour alléger les cartables de nos enfants ?

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Une tablette ou un Notebook semble au premier abord plus léger que le poids moyen actuel des manuels scolaires et autres cahiers que l’on peut voir chaque matin et chaque soir sur le dos de nos enfants. Mais encore faut-il que les manuels scolaires puissent y être hébergés, les ressources numériques compatibles, pour faire du rêve une réalité, L’éducation nationale n’en est pas à ses premiers essais et bon nombre d’expérimentations, de tentatives, même si elles n’ont pu être généralisées, auront peut-être montrer la voie du futur cartable « numérique » tant attendu.

30 ans que la question du poids du cartable est posée

Depuis plus de 30 ans, la question du poids du cartable est régulièrement posée, en général cette question revient toujours à l’occasion de la rentrée scolaire.
Le cartable, en effet, selon les directives, les préconisations des médecins, ne devrait pas « en théorie » dépasser 20% du poids des élèves, ce qui n’est, hélas, pas le cas bien trop souvent. Afin de régler cette question, en 2007, le ministre Xavier Darcos a présenté un plan pour imaginer un  cartable plus léger et les manuels scolaires du futur ceux-ci représentant l’essentiel du poids *
Ainsi, le manuel scolaire du futur devrait être numérique, et son aboutissement permettra, en tout cas c’est le souhait qui est émis, d’alléger le poids des cartables. L’idée paraît simple, mais sa concrétisation semble plus complexe qu’il n’y paraît.

Historiquement, les tentatives de passer au « numérique », n’ont pas semble t’il eu comme objectif premier l’allègement du cartable, mais simplement une volonté d’entrer dans la modernité, d’éviter la fracture numérique d’un point de vue social et économique, ce qui a été le cas par exemple d’une opération grandeur nature lancée par le Conseil Général des Landes et sous l’impulsion forte d’Henri Emmanuelli
« La première expérimentation de dotation d’ordinateurs portables à des collégiens et des lycéens a démarré il y a juste…. 20 ans ! » rappelle Gilles Braun de Ministère de l’Education Nationale.
« Elle a été suivie ensuite, en France, d’opérations d’envergure dont les plus connues en France sont celles des départements des Landes « un collégien, un ordinateur portable » (2001) citée ci-dessus et celle des Bouches du Rhône quelques temps après, en 2002, « Ordina 13 ». Depuis, il n’y avait pas eu de nouvelles dotations de cette ampleur. »

Les tablettes numériques proposées par de nombreux constructeurs en 2010, engendrent de nouvelles initiatives et une attente pour permettre un véritable basculement vers le manuel « tout numérique »
Depuis la rentrée scolaire 2010, on note la volonté de collectivités territoriales de renouer avec ce type d’opération. Sans doute l’effet « tablette tactile » comme par exemple le plan d’équipement de tous les collégiens dans le Val de Marne annoncé, il y a quelques semaines, ou l’opération du département de la Corrèze annoncée en grande pompe il y a quelques mois et qui prévoit, entre autre, de doter plus de 2500 6ème en iPad et en ressources numériques « embarquées»

D’un point de vue technique, l’offre actuelle des constructeurs n’est pas entièrement satisfaisante et reste à adapter pour un usage scolaire intense et sécurisé.
« C’est un nouvel outil qui nécessite une prise en main spécifique, il ne faut pas le comparer à d’autres outils, le facteur de l’immédiateté est important sur l’iPad, il est proche du livre et de l’ardoise mais ça ne ressemble à rien de connu. » précise  Élie Allouche Directeur du CDDP de Versailles

Il reste du chemin à parcourir, car même si les matériels de type iPad sont très séduisants aux premiers abords, « pour le moment il y a peu d’applications de niveau « Collège », alors qu’il existe une offre importante sur le niveau primaire. Nous sommes très satisfait des caractéristiques techniques et la bonne qualité de lecture sur iPad et le faible poids de la tablette notamment pour les élèves de 6éme, mais on espère l’arrivée des manuels numériques de 6ème sur iPad !!! » clame Bernard Roussely du Conseil Général de la Corrèze.

Le cartable numérique ? Les éditeurs semblent adhérer, mais ne croient pas à l’eldorado, selon eux, pour le moment la France doit d’abord combler son retard.
Nathan, Hachette, le Canal Numérique des Savoirs, qui font partie des plus gros diffuseurs en milieu scolaire, ne s’y sont pas trompés, tous ont initié des programmes de développement pour porter leurs ressources et leurs manuels sur ces nouveaux supports. Même si la route semble encore longue, l’espoir d’un tout numérique est toujours en ligne de mire.

Les tablettes numériques et plus généralement « le tactile » induisent une nouvelle ergonomie et de nouveaux usages. En tout cas c’est ce que pense Alain Laurent de Génération 5 et vice-président du GEDEM, un éditeur historique qui a connu les débuts des premières ressources et application multimédia dans les années 90 « Dans l’Éducation, une tablette est certainement plus « portable » (en tous cas, plus transportable) qu’un mini PC. Elle est aussi plus rapide à l’allumage, si je puis dire, ce qui est fondamental dans un contexte scolaire. Le tactile est également plus immédiat, plus intuitif, etc. »

Et en même temps, la tablette se situe dans la continuité d’un support familier qui reste aujourd’hui encore très utilisé. « Je veux parler du support papier et notamment du livre. La tablette ressemble au livre, elle se « feuillette », elle n’érige pas non plus la barrière d’un écran entre le professeur et l’élève comme c’est le cas pour les ordinateurs portables » ajoute Alain Laurent.
Alors, pourquoi une telle inertie dans le développement de ces fameux cartables ou manuels numériques ?

N’oublions pas que les 215 millions d’euros que représente le marché des manuels scolaires est un marché très lucratif et bien rodé, les méthodes de financement sont déjà établies et ce qui n’est pas toujours le cas pour le numérique ou la question du financement par les collectivités reste notamment posée.

Si on compare le marché du livre et la bataille qui s’engage autour du livre numérique, on comprend pourquoi les éditeurs ou les auteurs avancent à pas comptés : l’enjeu est de taille et les risques de « copies » et de téléchargements sauvages sont un risque que la profession, même si ceux-ci s’en défendent, hésite à prendre sans une analyse économique préalable.
Produire un véritable manuel numérique (et non pas un simple copier coller en pdf d’un  manuel traditionnel) reste encore plus cher à produire et les niveaux d’investissement, au regard d’un marché qui ne semble pas vouloir résolument basculer vers le numérique, comportent un risque non négligeable.

« Nous avons une position beaucoup plus « décomplexée » que nos confrères de l’édition « traditionnelle » car le numérique est notre cœur de métier. Et même quand Génération 5 fait de l’édition « papier », comme c’est le cas pour les Manuels Sésamath ou pour des fichiers pédagogiques, il y a toujours un lien avec le numérique : outils logiciels complémentaires pour l’enseignant, déclinaisons pour les Tableaux Interactifs, etc. » précise Alain Laurent

« C’est un marché difficile. Mais le secteur du numérique éducatif a toujours été très difficile. Il est souvent ingrat, il demande de s’inscrire dans la durée. Il faut beaucoup d’expérience pour bien en saisir la complexité et adopter les bonnes stratégies. Cette expérience, nous l’avons acquise au fil des ans, parfois durement. Cela nous permet aujourd’hui de regarder l’avenir avec confiance ! » précise Alain Laurent de Génération 5.

Passer des « outils » aux « usages » par la formation des enseignants, une règle essentielle pour atteindre un cercle vertueux

Si les technologies existent, l’intégration du numérique dans l’enseignement modifie sensiblement la manière d’enseigner, les habitudes doivent changer, les enseignants qui ne sont pas tous de la génération « Internet » sont en demande de formation et d’accompagnement. Quand on mesure le nombre d’enseignant à former et la quantité de dotations en matériel à fournir pour une généralisation du « tout numérique », on comprend mieux la position des experts du Ministère

« Depuis les premiers plans « numériques », on connaît l’équation : formation des enseignants (technique mais surtout pédagogique) – mise à disposition dans de bonnes conditions de matériel et de ressources pédagogiques adaptée et de qualité – maintenance efficace des matériels – accompagnement de l’encadrement par les corps d’inspection et de direction. Ces conditions n’ont pas changé. On les retrouve posées dans la mise en œuvre des dernières expérimentations autour des tablettes tactiles » argumente Gilles Braun, qui résume bien les recettes pour développer les pratiques et les usages. Il reste que les moyens financiers, notamment aujourd’hui avec les restrictions budgétaires engagées par l’Etat et les collectivités locales, resteront insuffisants pour aborder sereinement cette révolution numérique. Sans un « Plan Marshall » pour le tout numérique, les espoirs de rattrapage par rapport à d’autres pays européens et la volonté de changement, risquent fort de rester lettre morte.

Au vu de ces constats, arrivera-t-on un jour « enfin » à l’allègement des cartables, faudra t’il attendre encore une vingtaine d’année pour que cette « révolution numérique » tant souhaitée, diminue la lourde charge qui pèse encore sur les épaules de nos enfants ? Difficile de faire de la prospective, même si le chemin est tracé. Comme nous le rappelle Gilles Braun qui a connu et suivi la plupart de ces dossiers « Les prédictions sont souvent (voire toujours) fausses mais elles permettent d’interroger le présent et d’étudier les possibles ! »

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