Réseaux sociaux

Facebook, MSN, Jeux vidéo : comment réagir face à aux « addictions » de nos adolescents ?

Tisseron

«Dans les années 1990, consacrer plus d’une trentaine d’heures par semaine aux jeux vidéo était considéré comme un comportement pathologique. Ce n’est pas forcément le cas aujourd’hui parce qu’il a été montré que les enfants peuvent facilement y consacrer trente heures par semaine tout en faisant leur travail à l’école et en conservant des relations normales avec leur entourage. Cette nouvelle génération d’adolescents est appelée en Angleterre les «screenagers».

Elle ne demande plus seulement aux écrans ce qu’elle doit penser du monde, mais aussi ce qu’elle doit penser d’elle-même. Les jeunes pianotent sur leurs claviers à la recherche d’interlocuteurs qui leur disent qui ils sont.

Mais en même temps, ce désir est vieux comme le monde. C’est en repérant les façons dont il peut intéresser les autres que l’adolescent apprend à s’aimer lui-même. J’ai désigné le désir en jeu dans cette démarche sous le terme d’« extimité » (2001). Il est inséparable de l’intimité dont il constitue en quelque sorte l’autre facette. Internet est aujourd’hui l’espace où ce désir s’élargit à la planète entière. »

Jeux vidéos, réseaux sociaux, tout ceci se résume souvent, pour les parents, à une présence devant un écran, mais parle t’on de la même chose et en quoi y a t’il des différences ?

Les jeux vidéo en réseau et Facebook sont pour les adolescents des espaces de socialisation et de nouveaux rituels de passage de l’enfance à l’âge adulte. D’ailleurs, dans les deux cas, la raison principale mise en avant par les utilisateurs est le désir de se socialiser, de rencontrer des amis et de partager avec eux. A partir de là, les dangers ne sont pas les mêmes.

Sur les jeux vidéo, le seul problème est la désorganisation de l’emploi du temps. Sur les forums et les chats, on prend des pseudos qui invitent parfois à cultiver la provocation, et sur Facebook on court le risque de mettre dans l’espace public des fragments de son intimité qui ne s’effacent jamais et peuvent nuire ensuite à celui qui les a laissés.

Je propose d’y aller en se souvenant toujours de trois règles fondamentales : tout ce qu’on y met peut tomber dans le domaine public, tout ce qu’on y met y restera éternellement, et tout ce qu’on y trouve est sujet à caution et nécessite la confrontation avec d’autres sources.

Faut-il interdire, réguler ? Comment réagir et à quel moment ?

«D’abord, il faut rester prudent sur le risque de «pathologiser» des comportements en pleine expansion, et dont les éventuelles conséquences, aussi bien positives que négatives, sont encore très mal connues. L’usage intensif d’Internet n’entraîne pas une plus grande solitude. En revanche, un sentiment important de solitude ou une faible estime de soi peuvent entraîner un usage pathologique d’Internet.

Mais s’il n’y a pas de conséquences négatives sur la vie de la personne, le comportement excessif n’est pas un comportement pathologique. Par ailleurs, la question de l’adolescence est très spécifique. Les travaux d’imagerie cérébrale montrent qu’à l’adolescence, il existe un déséquilibre physiologique entre les structures impliquées dans la réactivité émotionnelle, qui sont déjà en place, et celles qui sont impliquées dans la régulation de l’impulsivité. En d’autres termes, un adolescent qui ne parvient pas à contrôler ses impulsions, et notamment son désir de jouer, n’est pas un malade, mais tout simplement un adolescent normal.

Cela oblige à relativiser l’usage des mots « addiction » et « dépendance » à l’adolescence. A cet âge, le jeu est souvent excessif en rapport avec la crise d’adolescence et c’est aux parents de jouer leur rôle. Mais il est très rarement pathologique, et lorsqu’il l’est, c’est du fait d’une pathologie sous jacente.

Le plus souvent, l’adolescent a seulement besoin d’être cadré par ses parents, car sans leur aide, il n’a pas les moyens psychiques de contrôler ses impulsions.

Les parents doivent imposer des limites à l’usage d’Internet afin d’éviter les excès. Mais le seul critère sur lequel ils doivent se guider est les résultats scolaires. Pour le reste, le jeune gère son emploi du temps comme il le désire.

Les parents seuls sont-ils responsables ? Ou est-ce le rôle de tous de sensibiliser, apprendre et comprendre ?

Il y a beaucoup à faire pour encourager les bonnes pratiques et dissuader les mauvaises.  «L’école doit donner des repères, notamment en expliquant les modèles économiques et le marketing des divers médias (jeux vidéo, Facebook, Youtube…) ainsi que leurs spécificités. Elle doit aussi expliquer le droit à l’image, et la différence entre espace intime et espace public ainsi que le droit à l’intimité».

«Les collectivités publiques, elles, doivent valoriser les productions d’images des jeunes et faciliter les échanges intergénérationnels autour d’elles». Cela peut se faire notamment par l’organisation, à l’échelle des établissements scolaires, des villes et des départements, de festivals des images qu’ils créent, notamment à partir des jeux vidéo et avec leur téléphone mobile. La ville de Valence, dans la Drôme, organise à partir de cette année un festival annuel de films faits au téléphone mobile que j’ai l’honneur de parrainer.

«Quant aux parents, outre le fait de cadrer et d’accompagner en s’intéressant aux activités de leur enfant, ils doivent apprendre à distinguer entre les usages excessifs, qui  relèvent de la passion enthousiaste, et les usages véritablement pathologiques». En effet, la passion ajoute à la vie alors que la pathologie l’ampute. Pour y arriver, trois questions peuvent les y aider

La première est : «Est-ce que tu joues seul ou avec d’autres ?» Le jeune qui répond jouer seul est plus menacé que celui qui joue avec d’autres. Et parmi ceux-ci, le cas le moins préoccupant est celui dans lequel l’adolescent joue avec des camarades de classe qu’il connaît. Celui qui retrouve en effet le soir dans ses jeux les copains qu’il fréquente la journée à l’école est peu menacé de développer un usage pathologique. Il évolue simplement avec sa classe d’âge et se détournera naturellement des jeux sous l’effet de l’établissement d’un contrôle de ses impulsions et de l’évolution des pratiques des ses camarades.

La seconde question à poser est: «Est-ce que tu as pensé à faire plus tard ton métier dans la profession des jeux vidéo ?». L’adolescent qui répond oui doit immédiatement bénéficier d’une aide pour réaliser son but. En revanche, celui qui dit préférer jouer plutôt que penser à son avenir se trouve évidemment dans une situation préoccupante : il joue plus probablement pour tenter d’échapper à un déplaisir que pour le plaisir qu’il y trouve.

Enfin la troisième question à poser concerne les pratiques de création d’images à l’intérieur des jeux vidéo. Celui qui utilise les espaces virtuels comme des lieux de création doit y être encouragé parce que c’est à la fois une compétence et une forme de socialisation.

Les derniers ouvrages de Serge Tisseron sur le sujet
Manuel à l’usage des parents dont les enfants regardent trop la télévision
, 2006, Paris : Bayard.
La Résilience, 2007, Paris : PUF Que sais-je ?.
Virtuel, mon amour ; penser, aimer, souffrir à l’ère des nouvelles technologies, 2008, Paris : Albin Michel
Qui a peur des jeux vidéo ? , 2008, Paris : Albin Michel (en collaboration avec Isabelle Gravillon)
Les dangers de la télé pour les bébés, 2009, Toulouse : Eres
L’Empathie, au cœur du jeu social, 2010, Paris : Albin Michel

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