publics spécifiques

Ergonomie des logiciels éducatifs pour enfants déficients cognitifs : l’importance des émotions par Ergoclic

De nos jours, s’opère une plus grande sensibilisation de la prise en charge des enfants handicapés dans notre pays et par voie de conséquence des enfants déficients cogni-tifs. Le besoin d’intégration et d’autonomie en milieu scolaire est de plus en plus pris en compte. Le logiciel que nous allons présenter vise à faciliter la navigation et la progression pour un jeu ludo-éducatif en adaptant ce-lui-ci aux particularités et aux niveaux d’apprentissages des apprenants. Pour répondre à un besoin largement ex-primé par les enseignants et éducateurs, notre équipe a mis au point ce logiciel suivant une conception centrée utilisateur, s’inspirant des contes de Grimm : il s’agit de « L’histoire du petit poucet revue et corrigée ».

Il est destiné aux enfants à besoins spécifiques : enfants handi-capés, présentant des troubles de l’apprentissage, en échec scolaire. Il n’est pas question d’âge pour ces en-fants puisqu’il y a un décalage entre l’âge réel des en-fants, et celui de leurs capacités. Notre recherche initiale a permis de réaliser différents prototypes qui ont permis d’affiner les recommandations ergonomiques destinées à ce type de logiciels [4 et 5]. Différents tests utilisateurs ont démontré que ces logiciels étaient plus appréciés que ceux proposés et utilisés par cette population [4 et 5].

Au fur et à mesure de cette recherche, un concept essentiel s’est imposé : la prise en compte des émotions. Nous par la suite construit des histoires dans lesquelles les enfants peuvent facilement s’identifier à des personnages victimes ou bourreaux. Nous avons essayé d’inverser le rapport dominant/dominé ou enseignant/enseigné afin de réduire la frustration, l’angoisse due à des conflits inter-nes et le contrôle de l’impulsivité. Ces concepts nou-veaux dans les didacticiels ont été récompensés dans plusieurs concours dont le concours national de création d’entreprises de technologie innovantes du ministère de la recherche en 2007. La poursuite de ces recherches s’est déroulée en plusieurs étapes : étude bibliographique , enquêtes, études de terrain, évaluation des anciens logi-ciels, phase de design collaboratif, conception, réalisa-tion et évaluation du nouveau logiciel.  L’équipe était composée d’une psycho-ergonome, d’informaticiens, de pédagogues, de graphistes et de membres d’un laboratoi-re d’ergonomie. Le didacticiel que nous présentons dans ce papier, a été le point de départ d’une création d’entreprise.

Dans cette recherche, tout en reprenant les acquis des études précédentes, pour aller plus loin dans les émo-tions, nous avons exploré une nouvelle piste : donner aux enfants l’envie d’essayer , le plaisir d’usage, l’évitement du blocage et des échecs (et donc de la frustration) et une autonomie encore plus importante. Dans ce cas, « l’expérience utilisateur » déjà décrite par Maslow en 1956 au travers de sa théorie sur la motivation [2] deve-nait incontournable pour répondre aux besoins spécifi-ques de notre population. En effet, depuis quelques années on reconnaît que les émotions ont des effets sur la cognition et la cognition sur les émotions [8], il s’agit d’un nouveau champ de recherche en ergonomie [1]. Travailler autour des émotions implique la compréhen-sion celles-ci qui amène non seulement une réflexion sur la fonctionnalité des objets ou sur leur utilisabilité mais aussi sur le plaisir qu’ils procurent [2, 3]. Nous présente-rons dans un premier temps l’ergonomie des didacticiels actuels, puis l’intérêt des émotions dans les apprentissa-ges, ensuite nos hypothèses et le didacticiel que nous avons développé, puis les tests utilisateurs. Nous finirons par une discussion des résultats et une conclusion.

ERGONOMIE DES DIDACTICIELS ACTUELS
Les logiciels ludo-éducatifs grands publics sont présents en grand nombre dans les classes et instituts. Il s’agit soit de didacticiels « grand public » ou de logiciels dévelop-pés « artisanalement » par des éducateurs [4]. Aucun d’entre eux n’est vraiment adapté : en effet ils deman-dent une aide considérable de la part des utilisateurs afin de réussir à comprendre ce qu’il faut faire. Comme les apprenants n’y arrivent pas vraiment, il s’opère, durant une séance, de nombreux changements de jeux sur CD-Rom, ce qui rend le travail peu productif.

EMOTION ET APPRENTISSAGE
Il est vrai que la connaissance et les sentiments sont in-dissociables, de nombreux enfants psychotiques ne par-viennent pas à apprendre malgré une intelligence norma-le parce qu’il n’arrivent pas à gérer leur émotions. Les systèmes informatiques peuvent permettre de gérer les émotions dues essentiellement à la frustration si celles-ci sont comprises par le concepteur mais également par l’utilisateur. Une étude exploratoire des interfaces hom-me-machines éducatives pour l’autisme a mis en éviden-ce le rôle joué par les fonctions exécutives dans l’activité informatique. « Un simple curseur permet de retrouver le cours de son action après un bref moment d’inattention » [6] et donc une fois encore de gérer la frustration. Pour aller plus loin, « l’expérience utilisateur » issue des théo-ries de l’interaction homme-technologie-organisation met en évidence le facteur déterminant d’un usage satis-faisant ou non [2]. L’expérience dépend des conditions ergonomiques de l’action et des conditions psychosocia-les de la situation. C’est le concept de bonne expérience que nous avons voulu intégrer dans notre logiciel.

HYPOTHESES ET LOGICIEL
Hypothèses
Mais comment cela peut-il s’appliquer à notre situation ? Nous avons exploré une nouvelle piste : celle de la frus-tration c’est-à-dire permettre aux enfants d’accepter la frustration sans pour autant être déstabilisés par l’échec. Un des objectifs de notre système était d’éviter que les apprenants soient bloqués dans une activité et n’aient comme solution que de demander de l’aide ou d’abandonner. Pour cela notre but a été de permettre des séances sereines et valorisantes sur ordinateur centrées sur l’autonomie, la facilité d’usage et le plaisir d’usage des apprenants : ces séances devaient donner au appre-nants un « sentiment de réussite ».

Le didacticiel développé
La version actuelle de notre système offre deux catégo-ries d’activités : dans un premier temps les apprentissa-ges classiques, mais aussi des jeux transversaux. Le but du jeu dans notre logiciel est de retrouver les amis du hé-ros, égarés dans la forêt. L’histoire est écrite de telle sor-te que l’apprenant soit toujours valorisé par des scénarii d’actions et non évalué sur la réussite des exercices. La méthode de l’apprentissage par l’action a été choisie afin d’adapter l’apprentissage des connaissances scolaires fondamentales au logiciel ludo-éducatif. Ce logiciel peut être classé dans la catégorie « ludo-apprenante », c’est-à-dire l’apprentissage par le jeu.

L’univers dédié aux enfants scolarisés en classe d’intégration scolaire est construit autour du thème de la forêt et du fond de l’eau qui ont un côté étranger et in-quiétant et donc influence leur attention et favorise l’action car il faut absolument aider les personnages du jeu à trouver des solutions pour se sortir de leurs diffi-cultés. Le choix d’un univers réel avec des enfants atta-chés (Figure 1) ou affamés permet à ces enfants présen-tant des troubles sociaux de faire un lien entre ce qu’ils vivent à la maison et l’école. La notion de handicap est également intégrée avec des personnages utilisant des béquilles ou en fauteuil roulant.

Chaque activité compte 7 exercices symbolisés par une barre de progression qui est représentée par un animal grossissant au fur et à mesure de l’évolution. Un compa-gnon (qui en fait est une aide) est constamment présent (personnage en haut à gauche de la figure ci-dessous) et le fait savoir. Une voix guide l’enfant en permanence ce qui rend le jeu plus « vivant ».

ERGOCLIC

Figure 1 : « Compte jusqu’à 10 ».

Pour cette activité, l’apprenant doit cliquer sur les per-sonnages pour les détacher de l’arbre, et ensuite les compter. Un choix de trois réponses est proposé.
Le jeu propose des activités visuelles et auditives de re-connaissance syllabique, du dénombrement et 5 jeux lu-diques et récréatifs sont également proposés afin d’entraîner l’apprenant à développer des habiletés motri-ces dans le maniement de la souris.

PROTOCOLE EXPERIMENTAL
Notre étude s’est déroulée en trois étapes qui sont les suivantes : un brainstorming avec un groupe de profes-sionnels pédagogues, la conception et le développement informatique, enfin les tests utilisateurs du prototype avec les apprenants.
Méthodologie
Les tests ont été effectués auprès d’une population de vingt et un apprenants : 3 enfants de maternelle (groupe témoin), 2 enfants en primaire l’un dyslexique l’autre présentant des  troubles du comportement, 5 enfants en école spécialisée, 6 collégiens en classe spécialisée et 5 jeunes adultes handicapés mentaux. L’âge des utilisa-teurs varie entre 5 ans et 34 ans. La passation est, pour 14 d’entre eux, collective en salle informatique, et pour les autres individuelle dans le laboratoire d’utilisabilité à l’Université Paul Verlaine. L’évaluation s’est faite par observation directe, chaque utilisateur est à un poste avec un expérimentateur à côté de lui, car la plupart des participants sont « non lecteurs ».

Les questionnaires
Nous avons rempli avec les participants deux question-naires, avec la consigne : « Grâce à vous, nous allons pouvoir dire si le jeu est bien ou non ».
Le pré-questionnaire comptait les items suivants : l’utilisateur (âge, sexe, niveau scolaire), l’utilisateur et les CD-Roms (temps d’utilisation, depuis combien de temps, quels jeux, les difficultés).
Le post-questionnaire comportait les questions suivan-tes : préférence entre les différents espaces (activités et jeux) du logiciel, bilan (points positifs et points négatifs), réactions générales (facile à utiliser, agréable, esthétique, amusant..), l’écran et les informations sur le logiciel (compréhension, organisation, lisibilité, repérage…). Le temps de passation moyen a été de 80 minutes environ par utilisateur.

EVALUATION
Tests utilisateurs
Les tests se sont déroulés en deux phases. La première phase était une phase d’exploration du jeu et la deuxième se situait autour de la facilité de navigation et la progres-sion dans le jeu.

Résultats des tests
Nous ne présenterons ici qu’une partie des résultats. Ceux ci ont démontré une différence significative entre le sentiment de réussite perçue et la réussite réelle. Les réussites/erreurs en fonction du niveau scolaire des parti-cipants sont décrits dans le tableau suivant. La non réus-site d’un exercice n’est pas vécue ici comme un échec, puisque l’utilisateur peut continuer à progresser dans le jeu sans réussir obligatoirement les exercices. Dans le cas d’une erreur, c’est le système qui intervient et donne la bonne réponse.

ERGOCLIC
Tableau 1 : Effectif sur la différence entre la perception de la réussite et la réalité.

Les résultats montrent que le nombre de sujets qui per-çoivent leur réussite est deux fois plus importante que la réalité (21/10), ce sentiment de réussite est primordial pour le phénomène de concentration, de motivation et d’autonomie. Par contre, on a également remarqué que deux utilisateurs ont répondu avoir fait des erreurs alors qu’en réalité ils ont réussi tous les exercices.
En ce qui concerne l’âge des utilisateurs, il n’est pas prédicteur d’une certaine façon d’utiliser le logiciel. En fait, les personnes les plus âgées sont également les moins formées. Mais ces personnes, et ce malgré les dif-ficultés d’utilisation qu’elles rencontrent, ont eu un sen-timent positif sur le logiciel.  Par rapport à la facilité d’usage (se référer au tableau 2), 18 participants sur 21 veulent rejouer, tous pensent avoir réussi les exercices, tous pensent que le jeu est rassurant, 19/20 ont trouvé le jeu agréable et 17/21 pensent avoir réussi à jouer seul.
Le tableau ci-dessous illustre les critères de l’utilisabili-té. Ils sont côtés sur une échelle de 1 à 4 : plus le score est proche de 4, plus les répondants sont d’accords.

ERGOCLIC
Tableau 2 : Moyenne et effectif pour chaque item des critères de l’utilisabilé.

Pour la grande majorité des apprenants, on peut donc di-re que ce logiciel est jugé comme facile à utiliser, qu’il satisfait les utilisateurs et ne suscite pas d’énervement. Ce logiciel est globalement agréable à utiliser. L’esthétique est extrêmement bien jugée. Le jeu est vu comme étant amusant, unanimement rassurant, et pas ennuyeux. Les participants ont exploré 70% des activités scolaires et 84% des jeux transversaux sur une durée to-tale d’environ 45 minutes. Aucun participant n’a souhai-té arrêter le jeu avant la fin hormis un enfant de mater-nelle car il était fatigué. La plupart souhaitait continuer le jeu après la séance ou voulait l’emmener chez eux.

DISCUSSION
Les résultats montrent une bonne facilité d’usage globa-le. La navigation paraît facile pour les apprenants, ils sont plus autonomes (moins de demande d’aide), les exercices sont souvent réussis et le maintien de l’attention semble excellent pour cette population (séan-ce de 45 minutes environ).
Nous avons pu nous apercevoir dans le pré-questionnaire que l’une des difficultés essentielles des apprenants était la compréhension de la consigne. Les sujets pensent que c’est la compréhension qui les gênent le plus dans l’utilisation des jeux utilisés en classe (86%) : ils ne sont que 16% à avoir eu ce problème avec notre logiciel. L’aide est utilisée réellement dans seulement 29% des cas et ils sont 45% a avoir eu le sentiment de l’utiliser. Donc la majorité des apprenants comprennent facilement et parfois en utilisant l’aide sans s’en rendre compte : ce-la montre que le logiciel est intuitif. Bien qu’ils com-prennent, ils doivent cependant faire un réel effort de mémorisation. Ces résultats sont cohérents avec ce que nous avons pu observer pendant les séances de tests uti-lisateurs (d’une durée totale de 20 heures environ) : lors de la passation en salle d’informatique nous avons cons-taté que les autres apprenants utilisant les jeux tradition-nels ne cessaient de demander à la monitrice de changer de jeux ou bien des explications auxquelles elle ne savait pas toujours répondre. Pour les catégories d’activité, ce sont les activités de français qui ont semblé assez faciles à comprendre pour la plupart des sujets. Pour les activi-tés de mathématiques, la plus facile a été de « compter jusqu’à 100 de 10 en 10 » et le plus difficile est l’exercice de « suradition » (ajouter à 10 une autre valeur de 11-20). Mais là encore ce n’est pas une surprise car on retrouve les mêmes

CONCLUSION ET PERCEPTIVES
La prise en compte des émotions dans ce didacticiel a permis de franchir encore un pallier dans l’utilisabilité de ce produit. Nous avons essayé de construire un système qui permet de capter l’attention, de susciter de l’intérêt, de provoquer le plaisir, de pousser à l’action. De plus il devait éviter toute impasse et aider l’apprenant à gérer sa frustration et à augmenter son estime de soi. L’analyse de ces tests utilisateurs met en évidence que les émotions qui découlent du sentiment de réussite perçue stimulent l’utilisateur : tous les utilisateurs ont eu le sentiment d’avoir réussi les activités scolaires bien qu’en réalité, ils n’y soient pas parvenus. Cette information est capitale et valide nos hypothèses. La gestion de la frustration sem-ble donc être un élément central dans les apprentissages. Les utilisateurs acceptent aisément les erreurs car ce sont les quantités d’exercices réalisés qui permettent d’arriver à la fin et non les quantités d’exercices réussis. L’intérêt pédagogique de ce logiciel allié à l’accueil favorable des utilisateurs (enfants, jeunes adultes et éducateurs) montre qu’il est important de continuer sur cette voie.

Découvrir le site et le logiciel : www.ergoclic.com

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