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Le tableau interactif a échoué : c’est mérité

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Interview de Thierry Klein, le président de la société Speechi, spécialisée dans les solutions interactives. Il fait un constat lucide de la situation actuelle des constructeurs de tableaux interactifs et des enjeux cruciaux liés à l’éducation. Quelles sont les raisons de cet échec des TBI en France ? Quelles solutions ?

Vous avez créé la société Speechi en 2004. Après plus de 10 ans d’activité, quel constat faites-vous de l’état actuel de l’industrie du TBI ? 

Thierry Klein : Le constat est plus qu’édifiant : les plus grandes marques de TBI qui existaient déjà quand j’ai créé Speechi en 2004 ont soit disparu, soit été rachetées à cause de la faiblesse de leurs résultats, celles qui restent recherchent un acquéreur pour des raisons similaires.

Même eBeam, marque de tableaux interactifs mobiles notamment, pour laquelle j’ai évidemment beaucoup d’affection [Speechi est revendeur exclusif des TBI eBeam en France, ndlr], n’a pas réussi au niveau mondial comme cela a pu être le cas en France, où notre part de marché est de l’ordre de 30 %.

Quelles sont alors pour vous les raisons de cet « échec » du TBI en France ? 

TK : Il y a quatre raisons principales à mes yeux : un manque de vision technologique, un modèle économique à court-terme, une vision de l’éducation inconsciente des enjeux et le peu d’avantages apportés par la technologie.

Tableaux interactifs ou autres vidéoprojecteurs interactifs n’ont jamais révolutionné l’enseignement, comme la plupart des constructeurs ont tenté (et tentent encore) de nous le faire croire. Un tableau interactif est resté un simple moniteur branché sur un PC. Depuis 2012, rien n’a été fait (ou si peu !) pour permettre aux enseignants de donner cours à partir de leur tablette, sans fil. J’ai l’impression que l’industrie dans sa globalité s’est montrée peu impliquée, voire fainéante.

Concernant le modèle économique, les principaux leaders du tableau interactif étant financés par du capital risque ou par la bourse, parfois par les deux, le manque de « patience » a été fatal. Ce modèle aide certes le développement des entreprises mais il souffre aussi d’une vision à court terme, d’une trop grande pression sur les résultats immédiats de l’entreprise. Inutile de dire que le modèle est peu stable quand le marché se retourne, ce qui a été le cas en 2011 / 2012. L’industrie du TBI est peut-être une industrie morte d’avoir eu trop d’argent, trop tôt.

Pouvez-vous en dire plus sur ce que vous appelez « une vision de l’éducation indigne des enjeux » ? 

TK : L’objectif initial était – et reste ! – d’utiliser les technologies numériques pour améliorer le niveau des élèves, mais les études montrent aujourd’hui que les tableaux interactifs n’améliorent pas le niveau des élèves. Les tablettes numériques, souvent utilisées par les élèves comme des consoles de jeu, ne font probablement que baisser leur niveau. Ce qui n’empêche pas les gouvernements d’investir, un peu partout, dans de coûteux programmes d’équipement des élèves en matériel électronique divers et varié. Mais jamais adapté.

Tout ceci n’empêchant évidemment pas l’industrie du numérique de continuer à s’auto-féliciter, de se présenter comme indispensable et de multiplier les promesses éducatives. Des promesses qui depuis 10 ans ne sont tout simplement pas tenues.

Le fait d’échouer n’est pas honteux. Ce qui est plus grave, et même parfois honteux, c’est que l’industrie numérique ne s’est pas donnée les moyens de ses ambitions.

Elle a utilisé des moyens de lobbying très agressifs, allant sans doute jusqu’à la corruption dans le cas des tableaux blancs interactifs au Canada. Les techniques employées (débauchage de membres de cabinets ou de fonctionnaires influents) n’ont d’ailleurs pas été limitées au seul Canada.

Elle a systématique caché la faible valeur ajoutée des TBI et pire, a financé des études favorables, comme ont pu le faire l’industrie du tabac ou du médicament.

Paradoxalement, elle ne s’est jamais dotée d’indicateurs fiables permettant d’évaluer sa performance. Ce qui démontre clairement qu’elle n’en a pas grand-chose à faire.

Autre point qui me dérange, les arguments mis en avant. Comme les tableaux interactifs ne pouvaient pas se justifier d’avoir un intérêt pédagogique, l’industrie a plaidé « la fin de l’ennui » et « la modernité dans les écoles ». Des arguments qui ne veulent rien dire mais qui sont visiblement bien acceptés politiquement, du même type que ceux que le gouvernement a avancé pour justifier la réforme du collège. L’industrie s’est noyée dans le ludique et les prétendues avancées technologiques au détriment du savoir. Cela continue d’ailleurs avec l’introduction des tablettes.

Justement, pourquoi pensez-vous que les tableaux numériques n’apportent pas grand-chose sur le plan technologique ? 

TK : Les principes techniques sur lesquels reposaient la technologie des tableaux interactifs fixes étaient simples et les points clés compliqués à protéger. Depuis 2005-2010, les usines chinoises produisent des TBI qui ont été d’abord de médiocres copies, puis se sont largement améliorées. La majorité des TBI que l’on voit aujourd’hui, même quand il s’agit de marques européennes ou nord-américaines, sont produits en Chine. Et on assiste donc au paradoxe suivant, pour moi désolant, que je vous laisser méditer :

« Alors que leur plus-value pédagogique est le plus souvent nulle – ou difficilement observable, les sommes dépensées par les Etats occidentaux dans des réformes et autres plans numériques (plans tablettes, vidéoprojecteurs interactifs) ont contribué au développement de l’industrie et de la « recherche et développement » chinoise. »

Que faudrait-il faire alors selon vous pour que le TBI se démocratise en France ? Et ainsi peut-être « sauver » l’industrie du TBI ? 

TK : En fait, il faudrait faire quasiment tout le contraire.

Premièrement, penser le TBI comme un module autonome, doté de son propre système d’exploitation. Pas comme un simple périphérique PC. Un peu comme le fait déjà Luidia avec le tableau interactif mobile eBeam, même s’il reste des efforts à faire.

Arrêter de s’auto-congratuler et donc être enfin critique vis à vis de ses propres productions. On me reproche souvent d’être trop négatif. C’est sûrement le cas, mais je préfère la critique à l’auto-satisfaction systématique. Cela permet souvent de faire avancer les choses.

Cesser le mélange entre intérêts privés et intérêts publics. Ce n’est pas le chemin pris ces derniers temps si j’en crois les dernières annonces concernant les partenariats Microsoft / Education Nationale par exemple ou même si j’analyse l’origine des intervenants lors des conférences organisées au récent salon Educatice.

Enfin, avant tout se doter d’indicateurs fiables. Pas un euro ne devrait être investi dans le numérique sans évaluation associée et préalablement définie.

Pensez-vous que c’est réalisable ?

On n’en prend clairement pas le chemin. Et pourtant, malgré tous ces problèmes, ces erreurs, ce manque de clarté et de vision, il n’y a aucun doute pour moi : le numérique va changer profondément l’éducation dans les années à venir et je pense que ce sera vraiment pour le meilleur.

Merci pour vos réponses.

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