Qu’on se le dise clairement, eux ne sont absolument pas réticents à l’intégration du numérique dans la pédagogie. Ils n’y sont pas plus à l’aise non plus. Mais cet apport d’outils, ils le voient comme à certaines époques sont arrivées les stylos à billes, mon premier polycopié ou ma première photocopie.
Il faut avouer que pour ces exemples, les enseignants savaient à l’avance ce qu’ils allaient en faire. Et que même si de nombreuses techniques se sont développées après les mises en service, cela s’est avéré plus qu’efficace et tout de suite…
Alors se pose la question aujourd’hui de l’impact de cette arrivée massive d’occurrences numériques dans le métier d’élève ?
Le premier étant bien sûr celui de la plus-value apportée dans la formation et l’éducation, ainsi que les apprentissages. Mais aussi plus largement de l’attitude adoptée, de stratégies engagées et de la motivation créée.
Lors d’un rendez-vous récent, je tweetais :
et, quasi instantanément je recevais en réponse, ceci…
car effectivement, dans ce dossier lourd et conséquent,
… et j’ajouterai, ni à leurs parents d’ailleurs !
Comme je le dis souvent, j’ai l’impression que l’on se ment tout le temps sur le numérique.
« L’appropriation et le détournement« , dernière thématique de Ludovia#12 met pour moi en avant un phénomène qui dure depuis trop longtemps quant aux effets magiques du numérique. Le phénomène de l’artisanat pédagogique développé au travers des outils.
On en a, on s’en sert… coûte que coûte. Hors, quand je suis en formation, souvent j’interroge les personnes sur le fait que l’intégration du numérique peut ne pas être nécessaire dans certains cas, du fait qu’on le mette en avant alors qu’un constat de professionnel suffirait amplement. J’ai souvent eu à traiter des cas de présentations où, la situation pédagogique pouvait se montrer inefficace parce qu’on avait pas suffisamment de matériel à disposition (!).
Alors oui, on se ment parce qu’on s’invente des valeurs à l’objet qui n’existent pas et qui, en tous cas, ne sont pas perçues comme telles par les premiers concernés, utilisateurs qui deviendront de plus en plus avisés car de mieux en mieux formés à la valeur des informations en retour : les élèves.
On crée également des situations où on épure un grand nombre des difficultés que l’on a quotidiennement au profit de scénarios non plus pédagogiques, mais de présentations pédagogiques. Et en plus, on attribue à l’activité numérique des effets empiriques. J’ai souvent, et récemment encore entendu, de personnes prises très au sérieux dans ce domaine, que l’on voyait en EPS des choses extraordinaires où les élèves se filmaient avec une tablette. Oui ! et alors ? …
La réalité pour l’élève est souvent toute autre. Laissons de côté les nécessaires compétences à acquérir pour filmer. Passer de se voir à voir ce qu’il y a à voir. Intégrer dans sa tablette la ressource la plus efficace (et souvent payante et jamais payée, parce que…) pour avoir un retour optimal sur l’action et partir avec de vrais contenus à développer.
Passons sur cela pour en arriver à la transmission de cela.
Qu’apporte le numérique de mieux, de plus ? Pourquoi est-il tant utile et incontournable dans le discours ?
On voudrait que pour les élèves se soit ainsi : uniformiser l’accès, délivrer des connaissances accessibles à tous, transmettre les ressources les plus conséquentes, fiables et utiles. Permettre aux élèves de communiquer, produire et restituer dans les meilleurs conditions.
L’apparition des ENT (environnement numérique de travail) aurait du permettre cela. Cela dure depuis des années. Et donc très logiquement, passées les périodes de mise au point, cela devrait fonctionner. Qu’en est-il réellement plus de 4 ans après ? Voilà en quelques phrases l’état des lieux sur le terrain.
Professeur principal d’une classe de sixième (oui, chroniqueur dans Ludomag, mais surtout inspiré d’une réalité non virtuelle), j’en suis à ma vingtième rentrée des classes.
Mon établissement, bien que les choses se soient améliorées avec le temps, est un lieu où la perception des choses, et en particulier l’urgence éducative se décale fortement de la vision idyllique des laboratoires pédagogiques télévisuels.
4ème année d’utilisation de l’ENT avec, sans que l’on puisse s’en douter, toujours les mêmes rejets, les mêmes angoisses et incompréhensions.
Et pourtant, ce n’est pas la faute d’une équipe éducative trimant à chaque seconde, répondant sagement à la commande institutionnelle et politique toujours plus pressante, bien aidée par la réflexion scientifique et technique vantant les mérites pédagogiques incessants des produits mis à disposition.
Toutefois, quatre ans après, les questions sont de plus en plus pressantes. Car si on pouvait éviter, contourner les problèmes avant, l’évolution s’est faite sans les résultats. Maintenant on y est et quand ça coince, ça coince pour de bon. Et c’est ainsi que chaque heure de cours ou de vie de classe, devient le lieu des doléances diverses. Nous sommes fin octobre 2015, et 4 ans et deux mois après, voilà à quoi se confrontent les enseignants et les équipes administratives des établissements scolaires.
Aujourd’hui réveil difficile. 6 ans d’ #ENT, de développements personnels, de choix pédagogiques et on en est toujours au même point ! Cette semaine, mais cela dure depuis plus de 3 ans maintenant, je retrouve mes élèves de 6ème, dont je suis professeur principal, paniqués. La raison ?
Samba Edu, MonCollège (ENT de l’Essonne), PRO-NOTE, PRO-EPS, Sacoche…
« Monsieur, j’ai essayé les codes de mon collège sur PRONOTE, ça ne marche pas« . « Monsieur, j’ai essayé les codes PRONOTE sur PRO-EPS, ça ne marche pas… « , « Monsieur, j’ai cherché PRO-EPS sur l’ENT, mais je ne le trouve pas…«
Logique, me direz-vous ?!? et bien oui, vous avez raison, mais pas cette logique qui nous anime nous, ou « ceux qui savent » (j’entends par là, ceux que vous contactez (ou essayez de contacter) pour les avertir de la somme des difficultés qui ne fait que s’accroitre (ça s’appelle un « ticket« ) et qui vous répondent : « Mais Martial, si tu savais !« , sous entendu « il faut que les responsables, si ils savaient faire le boulot, le fassent« , et sous-entendus sur sous-entendus …)
En attendant, les enseignants galèrent, les élèves galèrent, parce que, pour des raisons difficiles à accepter, personne ne prend l’initiative de lister les connecteurs et les rendre disponibles (il y a des marchés là-dessous, le reste c’est accessoire ! et quand ce ne sont pas des marchés, ce sont des problèmes de formations et aussi de compétences).
On doit se connecter avec 3 ou 4 mots de passes différents pour accéder à un ordinateur et des services numériques pédagogiques. Quand on s’y connecte (enfin !) l’accès aux ressources n’est pas toujours possible.
Quand on y accède, ça ne marche pas vraiment comme on le voudrait. Incomplets, aléatoires… Plus de 3 ans après, c’est toujours le même constat.
Et nos élèves, et bien si un jour on y arrive ils « entreront dans l’ère du numérique« , mais pour l’instant, ils passent la tête, regardent et s’en vont. Comme beaucoup d’enseignants, toujours, non pas réfractaires, mais tout simplement avisés ! Pourquoi ne pas rendre les connecteurs et les services accessibles simplement. Faites en sorte qu’une identification suffise à faire fonctionner une bonne fois pour toute ces ENT.
Il est fort probable que de fait, toutes les stratégies développées pour engager une « réforme pédagogique numérique » puissent aboutir alors au développement des usages. Mais là encore, prudence ! Car les usages ne sont l’objectif de tout cela. L’objectif est d’obtenir une alchimie plus complète entre l’élève et le savoir.
Et à ce niveau, je place le numérique sur un axe très fort. « Savoir si je sais et ce que je sais ».
Car, si des études très sérieuses ont pu montrer le peu de décalage qui existe dans l’apprentissage au travers de l’expérimentation de méthodes très différentes, il m’apparait toutefois évident qu’en considérant les plus-values initiales (traitement des données et feedback immédiats), aucun élève ne devrait pouvoir quitter une heure de cours sans pouvoir percevoir une différence entre ce qu’il savait en entrant et ce qu’il sait en sortant, et se positionner au regard des objectifs finaux attribués au cycle !
En conclusion de cet Acte 2, je m’interroge donc, aujourd’hui encore, sur la pris en compte réelle des conditions d’enseignement dans la volonté de développer des stratégies d’équipements numériques dans l’éducation. N’a-t-on pas un peu trop pris le biais de la rentabilité chère au domaine industriel et politique, au détriment d’une action plus douce de formation et d’éducation ?
Je voudrais lever toute ambiguité sur mon discours. Il ne s’agit que d’un engagement sur fond d’expérience et je ne m’inspire fortement aujourd’hui que de mon vécu professionnel au sein de plusieurs entités.
Certains éprouvent le besoin d’exister et sont omniprésents partout. Dans les colloques, les tables rondes, les salons. On s’y retrouve depuis … toujours (mon expérience est cependant très « neuve »). Et je me rends compte qu’ils y étaient avant moi. Rien de bien surprenant, si ce n’est la forte relation à prendre en compte entre un monde qui accélère et nos compétences qui sont interrogées à chaque instant. L’occasion d’un Acte 3 ?