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Formation des enseignants au numérique : va t-on vers de l’appropriation ou du détournement ?

[info]Rappel de la problématique : comment former les enseignants aux attentes nouvelles en matière d’usage systématique des TICE dans la classe ? Peut-on parler d’un détournement par rapport aux prescriptions et modalités ayant cours aujourd’hui dans la formation des enseignants ? Tel est le thème de cette table ronde, suivie d’un BarCamp sur le même sujet.[/info]

 Sylvie Joublot-Ferré – Haute Ecole Pédagogique du canton de Vaud, Catherine Becchetti-Bizot – directrice du numérique pour l’éducation ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Hervé Luga- chargé du numérique à l’ESPE de Toulouse et Pierre-Yves Pellefigue – directeur de la DAFPEN à Toulouse (Délégation Académique à la Formation des Personnels de l’Education Nationale) ont échangé sur le sujet autour des animateurs Fabien Hobart et Régis Forgione.
Synthèse par François Jourde et Lyonel Kaufmann

 

Est-il possible aujourd’hui de concevoir la formation des enseignants comme autrefois ?

Pour Catherine Becchetti-Bizot (voir aussi l’interview de Catherine Bizot sur ce sujet), c’est un sujet central pour la réussite de tout projet numérique, avec celui du contenu : “La formation des enseignants est une clé essentielle de réussite”. Mais il faut rappeler que les “industries éducatives” (Pierre Moeglin) ont toujours modelé et traduit les formes pédagogiques, et cela était déjà avec les ardoises…

Ludovia_formationenseignants_070915Les TICE induisent aussi aujourd’hui de nouvelles pratiques.Les enseignants sont équipés numériquement à 98%, s’informent et échangent en ligne. Mais ils souhaitent aujourd’hui des formations conçues comme un accompagnement de proximité, au plus près de leurs activités, permettant une appropriation progressive et sur un temps long.

Il faut aussi noter que le numérique permet une formation plus collective et collaborative, avec aussi une plus grande autonomie dans sa formation (“se former”).

Pour sa part, Pierre-Yves Pellefigue estime que la pédagogie n’a pas besoin du numérique. Pour lui, c’est notre retard dans la réflexion pédagogique qui freine le développement du numérique. En ce sens, la formation doit mettre en œuvre des modalités de travail pour un public actif et elle ne doit pas être descendante, verticale.

Quel lien entre les pratiques personnelles et leur traduction en milieu scolaire ?

Sylvie Joublot-Ferré fait le constat que les enseignants utilisent inégalement le numérique en classe. Elle y voit un problème de génération. Elle note ainsi la peur d’une prise de risque des enseignants face aux élèves qui semblent “natifs” du numérique.

En conséquence, il faut donner confiance aux enseignants par la formation, en leur permettant de décrypter les outils des élèves.

Fondamentalement, il faut donc que les enseignants se sentent plus à l’aise avec les outils du numériques. Mais il faut aussi que les enseignants prennent conscience à quel point les élèves font la différence entre les usages prescrits (en classe) et les usages non formels (hors classes). Ces usages non formels sont à être exploités en classe avec recul.

Comment va-t-on respecter l’intimité de l’élève qui n’a pas forcément envie de retrouver son enseignant sur Facebook ?

Pour Sylvie Joublot-Ferré, on ne pourra pas faire l’économie des pratiques des élèves (smartphones…). En même temps, il faut laisser la liberté au terrain et aux différentes formes pédagogiques. Il faut partir du terrain pour construire la formation des enseignants, que ce soit au numérique ou non.

Selon Hervé Luga, il y a pour nous tous un environnement nouveau dans les réseaux sociaux. Il croit en ce sens que l’apprentissage du respect mutuel des sphères va se développer par la diffusion des outils et des usages. Quant à l’apprentissage de l’informatique, il est essentiel pour les élèves de comprendre le “comment cela marche” à l’intérieur de nos ordinateurs.

A la question de savoir si la collaboration peut s’apprendre, Hervé Luga pense pour sa part qu’il faut utiliser le numérique comme un média, autrement dit comme un lieu d’échange. Cela, d’ailleurs, se voit déjà bien dans les espaces de type fablab : ce sont des lieux qui permettent d’étendre le numérique dans le monde physique (objets connectés), et par la collaboration.

Quelles seraient les caractéristiques d’une bonne formation ?

Enseigner à l’heure du numérique, c’est, pour Catherine Becchetti-Bizot, enseigner en prenant en compte la culture des jeunes et c’est rebondir sur cette dynamique pour avancer dans les objectifs pédagogiques. Le numérique est une écriture, c’est l’écriture d’aujourd’hui.
Il faut donc apprendre cette écriture-culture et l’utiliser. Il faut aussi aussi que chaque enseignant puisse atteindre les objectifs de sa discipline en utilisant les potentialités du numériques. Pour cela, l’enseignant doit d’abord scénariser son enseignement : cela est très exigeant et ne s’improvise pas. Il faut aussi ici des échanges de pratiques.

C’est pourquoi les formations doivent être davantage co-construites selon les besoins des enseignants, de manière hybride (en présentiel et à distance).

Il faut bien comprendre que l’on ne va pas imposer des modèles au enseignants. Il faut faire le pari de l’essaimage, avec des enseignants acteurs-producteurs.

Formations-actions : l’enseignant créé de la ressource pour former, il échange les contenus de formation.

Pour Pierre-Yves Pellefigue, notre monde est immergé dans le numérique et des enseignants s’intéressent de manière systémique au numérique. Cela permet de nouveaux dispositifs. Cependant, nous avons un grand retard à produire des choses qui soient pratiques pour les enseignants.

Est-ce que les disciplines perdurent dans le plan de formation ou s’effaceront-elles ?

Si le numérique, c’est une opportunité à développer des pratiques interdisciplinaires, il ne faut pas oublier, pour Catherine Becchetti-Bizot, que chaque discipline doit penser, en priorité sa propre responsabilité par rapport au numérique. Il ne faut pas obliger un enseignant à faire du numérique, mais le sensibiliser à toutes les possibilités de faire avec.

Néanmoins, pour Sylvie Joublot-Ferré. le problème des politiques publiques est qu’elles n’ont jamais tranché la question de savoir si le numérique est un outil ou un objet d’enseignement.

Catherine Becchetti-Bizot répond que les deux sont nécessaires. Par définition, la pédagogie est un détournement, dans l’objectif de la transmission. Prenant l’exemple du C2i, Hervé Luga rétorque que ce dernier n’est pas abouti et que c’est comme si on obtenait le permis de conduire en passant seulement le code ! Pierre-Yves Pellefigue marque alors son désaccord. Lui, est optimiste, car c’est une nécessité vitale de diffuser le numérique et le changement vient des profs eux-mêmes.

Fabien Hobart intervient et parle du numérique comme une nouvelle littératie. Il cite une enseignante de mathématiques parlant d’une dialectique outil-objet.

L’outil ce serait les solutions numériques et l’objet, la culture et les nouveaux langages.

Pour Fabien Hobart, on sait très bien former à l’outil (cf Canopé), mais pour aller vers cette culture numérique, c’est plus compliqué.

Dès lors, comment traduire cet objet de la culture du numérique en formation et dans la culture enseignante ?

Hervé Luga estime qu’il faut de la facilité, vers laquelle les gens sont enclins à s’orienter spontanément. Le numérique doit avoir cette facilité.

Catherine Becchetti-Bizot estime qu’un outil n’est pas efficace pédagogiquement par lui-même. Il faut apprendre à tirer parti des outils.

Il faut former les enseignants à construire leur projet pédagogique dans un environnement numérique.

Exemplairement, M@gistère est un outil de formation qui ne porte pas d’abord sur le numérique, mais induit une habitude et une formation au numérique. Il peut y avoir ici une prise de conscience collective.

Progressivement, pour Sylvie Joublot-Ferré, c’est l’idée d’un prescrit obligatoire qui s’impose pour les enseignants avec le numérique. Pour sa part, Pierre-Yves Pellefigue souligne le caractère créatif qui peut-être au coeur du numérique en éducation. Il faut produire de la pensée pédagogique de ce temps. Les conditions semblent aujourd’hui réunies.

En guise de synthèse de la table ronde, Fabien Hobart demande aux intervenants de citer les moments-clés (en trois mots balises par intervenant) de celle-ci.

Pour Catherine Becchetti-Bizot, c’est horizontalité, collaboration, co-construction et essaimage.

De son côté, Pierre-Yves Pellefigue cite pédagogie, liberté, responsabilité

alors que Sylvie Joublot-Ferré indique aménagement de cette liberté et construction des savoirs par les enseignants.

Il revient à Hervé Luga de donner les mots de la fin : évolution, révolution, auto-formation.

Crédit illustrations : CIRE

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