Avant 1992, les lycées anglais (les sixth form colleges qui scolarisent les jeunes de 1ere et de terminale) étaient gérés par leurs municipalités comme les collèges et les écoles. Depuis une loi du gouvernement Conservateur qui a ‘incorporé’ tous les lycées, nous sommes entièrement indépendants des collectivités.
Nous sommes donc très autonomes ; quasiment des entreprises privées quoique financées par le gouvernement.
En revanche, il nous faut subir des audits et des inspections très sévères et faire preuve assez constamment de notre performance par rapport aux moyennes nationales.
Effectivement, je suis un chef d’entreprise, sélectionné par un conseil d’établissement auquel je réponds. Nous sommes entièrement responsables du projet d’établissement, des priorités budgétaires, la gestion du budget, l’immobilier, les investissements financiers, y compris les prêts commerciaux, le maintien, la rénovation et la reconstruction de l’immobilier, du nombre, des structures et du recrutement de tous les employés y compris leurs contrats, leurs salaires, leurs conditions de travail et leur formation continue.
Nous sommes aussi responsables du choix des programmes, du recrutement et de la sélection des étudiants, leurs heures de cours, la politique générale éducative de l’établissement y compris nos programmes de soutien et d’encadrement et nos programmes d’enrichissement éducatif.
Nous décidons aussi notre orientation envers nos concurrents, notre politique de marketing et nos choix de partenariats régionaux, nationaux et internationaux.
Au niveau stratégique, je réponds directement au conseil d’établissement et je suis soutenu par une équipe de gestion de 8 autres cadres supérieurs. Au niveau juridique et financier je réponds à un organisme semi-autonome (the Education Funding Agency) qui nous finance et qui fait partie du ministère de l’éducation.
Cette large marge d’autonomie n’est limitée que par un financement public de plus en plus étroit. Nous sommes financés essentiellement en fonction du nombre d’étudiants recrutés l’année précédente. Pour recevoir un financement maximal chaque étudiant doit suivre un programme assez proscrit. Ces dernières années, nous avons subi des réductions très importantes du tarif étudiant et notre marge de manœuvre a été bien réduite. Néanmoins, chaque lycée choisit de créer un équilibre particulier des investissements qui lui sont possibles. L’autonomie que nous avons nous permet de d’innover et de répondre aux besoins particuliers de nos étudiants et de notre quartier.
Par exemple, mon établissement a besoin d’un nouveau centre de documentation et nos espaces sociaux sont insuffisants. Nous allons donc construire un nouveau bâtiment avec une nouvelle entrée, un nouveau théâtre et un nouveau centre de documentation 3 fois plus grand que celui d’aujourd’hui. C’est un investissement qui va nous couter £8 Millions, dont £4 Millions sont déjà en réserve et £4 Millions seront fournis par le moyen d’un prêt commercial qu’il faudra financer nous-mêmes sur plusieurs années.
Cette autonomie existe dans un contexte très marchandisé.
A 16 ans, les jeunes ont le choix d’étudier ou ils veulent et il n’y a aucune carte scolaire ; aucun planning.
Le gouvernement a voulu encourager la concurrence et la création de nouveaux établissements, par exemple les ‘free schools’ (espèce de charter schools a l’Américaine) ou les collèges qui peuvent ‘ajouter’ des classes de 1ere et de terminale. Dans mon quartier par exemple, nous sommes allés de 3 établissements concurrents en 2008 à 9 en 2015. En conséquence, il nous faut faire face à ces nouveaux concurrents et dans ce cadre notre budget de marketing devient de plus en plus important.
Cette année dans notre quartier, vous verrez affichées sur plusieurs arrêts de bus et sur les bus eux-mêmes des publicités avec des belles photos de nos étudiants les plus performants de l’année dernière.
Nous en sommes très fiers bien sûr, mais je préférerai dépenser ce budget pour nos programmes éducatifs. Tout cela est fait pour attirer des étudiants, ou pour éviter que nos concurrents en attirent trop !
Nous avons plus de 2,600 étudiants et un budget annuel de plus de £15 Millions. Nous pouvons faire de la publicité et des économies d’échelle. Dans une grande ville comme Londres, nous pouvons aller recruter dans les quartiers voisins. Dans le contexte d’une concurrence croissante tous les lycées n’ont pas cette marge d’action s’ils sont moins grands ou situés en province.
Les 93 lycées anglais ont choisi de se fédérer dans une association (SFCA : Sixth Form Colleges Association, dont je suis président) ce qui nous permet d’offrir du soutien à chaque membre, d’être en rapport avec le ministère d’une façon plus unie et de négocier collectivement avec nos syndicats. Heureusement que la marchandisation n’a pas pu rompre cette solidarité entre établissements du même type.
Pour conclure, j’apprécie l’autonomie. Il faut bien responsabiliser les responsables et leur permettre de gérer leurs établissements sans trop de lourdes intrusions. Notre autonomie nous donne la flexibilité de pouvoir répondre rapidement aux besoins de nos étudiants. Le fait que nos employés et nos étudiants ont tous choisi de faire partie de notre communauté éducative nous permet de créer une ambiance particulière et un attachement unique à chaque établissement.
Mais il faut aussi demander de cette autonomie : « dans quel contexte ? ». Les établissements ne sont pas des particules détachées indépendants de la société ou sans rapport les uns aux autres. Ce qui nous manque en Angleterre c’est un système, un cadre rationnel qui permettrait un projet vraiment national pour l’éducation des jeunes de 16 à 19 ans. Dans ce vide, il n’y a que le marché, et il est bien évident que dans un marché concurrentiel il y a toujours des gagnants et des perdants. Incontestablement, ceux qui sont déjà les moins favorisés de la société seront les perdants.
Donc, j’accepte d’être responsable et je revendique l’autonomie. Mais l’autonomie dans un vide n’est que l’ombre de l’autonomie réelle.
Je préfèrerai pouvoir l’exercer dans le cadre d’un système national avec des valeurs nationales et un plan national susceptible d’être interprété et traduit au niveau de la région et du quartier d’une façon qui encouragerait les établissements à travailler en coopération plutôt qu’en concurrence.
Tous les étudiants en seraient les gagnants.
Eddie Playfair est chef d’établissement de Newham Sixth Form College (NewVIc) un lycée polyvalent inclusif de 2,600 étudiants dans un quartier défavorisé de l’Est de Londres.