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Le numérique en questions : une perspective anglaise par Eddie Playfair, chef d’établissement

Bus in London

Par Principal of Newham Sixth Form College (NewVIc) East London

Nous ne sommes qu’au début d’une transformation de la communication et de la connectivité humaine. Les possibilités du partage et de la démocratisation des savoirs sont immenses. Pour comprendre l’effet de cette transformation dans le cadre de l’éducation il faut d’abord comprendre son effet social et global.

Nous avons vécu d’autres révolutions de la communication, avec l’écrit, l’imprimerie et l’audiovisuel, et nous avons certains repères pour comprendre les défis. Par exemple, au début de la révolution de la langue écrite, Socrate avait prévenu que l’écrit était inflexible par rapport à l’oral, qu’il détruirait la mémoire et que nous perdrions notre maitrise de la langue.

Ce genre d’inquiétude a été réitéré à chaque révolution de la communication et à chaque fois,

on peut constater que les nouvelles technologies élargissent l’accès aux connaissances et approfondissent les interactions humaines et que les anciennes technologies ne se perdent pas mais trouvent de nouveaux rôles.

Plusieurs d’entre nous ont vécu l’époque de l’introduction des premiers ordinateurs dans l’éducation. Il faut rappeler que, confronté à ces nouveaux outils, on s’est demandé à quoi ils pourraient bien servir en classe.

Maintenant, nous sommes inquiets que nos étudiants ne puissent réclamer que le divertissement et la simplicité de leur lecture en ligne. Pourtant il est bien possible de créer des matériaux qui encouragent un effort de concentration, un apprentissage en profondeur, la collaboration et la créativité en commun.

Ces matériaux ne sont pas toujours d’origine pédagogique. J’observe, par exemple, la popularité du site Wattpad qui permet aux jeunes abonnés de partager leur esquisses et leurs avant-projets de roman, de critiquer et de répondre aux critiques et de trouver un public global qui apprécie leurs essais.

Une perspective anglaise

Il faut d’abord préciser qu’en Angleterre nous n’avons pas de système national. Chaque établissement existe comme une entreprise dans un marché plus ou moins compétitif et nous sommes surtout jugés sur les résultats de nos étudiants.

Newham est un quartier défavorisé qui a bénéficié d’immenses investissements infrastructurels, une régénération commerciale depuis les Jeux Olympiques de 2012, le centre commercial de Westfield à Stratford City, les Royal Docks ou se trouvent l’aéroport de London City et une nouvelle ligne Crossrail de transit urbain. Tout cela donne l’impression que le centre de Londres se déplace vers l’Est, donc vers nous. Malgré tout, c’est toujours un quartier économiquement défavorisé.

Newham est une des 32 communes du grand Londres avec 270,000 habitants, un quartier d’immigration dont 70% de la population sont de minorités ethniques. Une population jeune, diverse, en croissance, riche en ressources culturelles et intellectuelles: c’est une des 3 communes les plus pauvres de Londres qui sont l’East End de la capitale,

Il y a 14 collèges (11-16 et 11-18 ans), 4 lycées et 2 universités. Le nombre d’établissements concurrents pour les classes de 1ere et de terminale (en lycée ou en collège-lycée) est en croissance : nous étions 3 à Newham en 2008, en 2014 nous sommes 7. La réussite scolaire à 16 ans est en hausse et la participation dans l’éducation des jeunes de 16-18 ans est en excès de 90%.

NewVIc est un lycée polyvalent général et professionnel de plus de 2,600 étudiants de 16-19 ans, le plus populeux de Londres. Nous recevons un budget de l’état d’environ £15 million qui nous est versé entièrement en fonction du nombre d’étudiants. La gestion de ce budget dépend entièrement du chef d’établissement et de son conseil d’administration.

On trouve à NewVIc une mixité ethnique, culturelle et linguistique extraordinaire qui rassemble des jeunes d’origine africaine, bangladeshi, pakistanaise, indienne, antillaise, chinoise, européenne et bien plus d’autres avec plus de 80 langues parlées, y compris le Français.

Tous nos étudiants bénéficient d’un enrichissement culturel et sportif et d’un encadrement personnalisé. Un Sports Academy spécialiste en cricket, basketball et coaching, un partenariat et colocation avec le Newham Academy of Music, un conservatoire de jeunes pour toute la commune, un partenariat avec le centre culturel de Stratford Circus qui attire un public de plus de 20,000 par an: théâtre, musique, danse, medias, colloques littéraires – animation culturelle de la commune

La plus grande proportion de nos étudiants suivent des programmes Advanced levels : 15-21h par semaine pour 2 ans d’éducation générale avec 3 ou 4 sujets sélectionnés parmi plus de 40 options. Ils sont au niveau du Bac et sont une préparation pour les programmes universitaires pour quasiment tous les étudiants.

Ils suivent aussi les Advanced vocational programmes: 15h-21h / semaine. 2 ans d’éducation professionnelle ou technique. C’est une préparation pour la formation professionnelle et l’emploi et 85% progressent vers l’université.

Une minorité de nos étudiants suivent des Intermediate programmes : 17h / semaine : 1 an d’éducation générale préprofessionnelle qui prépare les classes Advanced (donc 3 ans en tout) ou les Foundation programmes : réintégration, compétences et savoirs de base et préparation aux études du niveau “intermediate” (donc possibilité de rester 4 ans au lycée).

Nos candidats à l’équivalent du Bac réussissent en grande proportion : 96% de succès global (A levels), 100% de réussite pour un grand nombre de sujets et plus de 200 de nos étudiants de terminale dépassent la moyenne nationale. 767 étudiants de terminale ont progressé en faculté en 2013 dont 130 aux universités les plus cotées.

Notre projet d’établissement est de « créer une communauté réussie d’apprentissage .» Pour le numérique, nous voulons que nos enseignants et étudiants utilisent l’informatique pour l’apprentissage : d’une façon effective, créative et confiante.

La politique d’établissement pour l’informatique fait partie d’une politique pédagogique et administrative qui propose la création d’un environnement riche, accessible et stimulant en ligne. C’est un élément clé de l’apprentissage.

L’autonomie de l’établissement nous permet de choisir comment investir nos ressources – humaines et technologiques.

Nous bénéficions du Wi-fi et somme équipés pour le  BYOD (bring your own device) et le vidéo streaming partout.

Les chiffres de participation en ligne sont en hausse, en Mars 2014 notre espace numérique de travail (iVIc) qui intègre Moodle, Mahara et Planet e-stream, a enregistré plus de 48,000 vues étudiantes par mois pendant l’année scolaire 2013/14.

Le système Anglais est très différent, nous avons une autonomie quasiment total , en revanche il nous faut être très performants. Nos résultats sont très publics : ils sont en ligne et le public, les responsables politiques et les médias comparent constamment les établissements.

Plus de questions que de réponses

En parlant du numérique et de l’éducation, je pense qu’il faut que notre point de départ soit absolument l’apprentissage et la pédagogie plutôt que la technologie ou les outils particuliers. Il faut surtout se demander « pourquoi ? » avant de se demander « comment ? »

Je veux poser quelques questions qui me semblent importantes et proposer quelques tentatives de réponse :

Tout d’abord : pourquoi éduquer ?
L’éducation est un projet à la fois personnel et social. Un projet qui doit mener à l’épanouissement de l’individu et de sa communauté. Si nous voulons une société démocratique et plurielle qui peut résoudre les défis globaux qui nous confrontent, il nous faudra créer un accès démocratique et pluriel aux connaissances qui permettent aux jeunes de comprendre la culture et l’histoire humaine, de participer au progrès social et connaitre le plaisir personnel d’apprendre.

Nous avons de nouveaux outils mais le rôle de l’éducation a-t-il vraiment changé ?

Et pourquoi l’école ? Quel est le rôle de ce lieu que nous connaissons bien mais qui devra certainement changer ? Prison ou fenêtre sur le monde ? Espace d’évasion ou place du village ? Usine ou lieu de débat philosophique ? Centre de formation sociale ou centre de culture et de connaissance ? Les unités de la classe sont peut-être éclatées mais je suis convaincu que l’école restera un lieu essentiel de la construction sociale.

Et le rôle de l’enseignant ? Il ne sera pas simplement un guide ou un conseiller, mais restera certainement un agent essentiel de la transmission culturelle, de l’interprétation et de l’évaluation des savoirs, du débat et de la créativité.

De quelles compétences et de quelles connaissances les jeunes auront-ils le plus besoin ?

Je ne suis pas convaincu qu’il nous faut des compétences différentes pour le 21eme siècle. Sinon des compétences nouvelles, certainement certaines compétences améliorées : le triage, la sélection, la lecture, l’évaluation et l’analyse de l’information.

Quel rapport entre l’élargissement et l’approfondissement – tous deux essentiels dans l’éducation ? Quel rapport entre le canon ; les connaissances spécialistes et le pluridisciplinaire ; la recherche et l’exploration personnelle ?

Tout en se demandant ce qu’il faudra changer il faut aussi bien se demander ce qu’il faudra ne pas changer.

En conclusion…

Hannah Arendt a dit:

L’éducation est le moment où nous décidons si nous aimons le monde assez pour en être responsables.”

En tant qu’éducateurs il nous faut accepter que nous sommes responsables. Si nous aimons le monde et que nous voulons sa continuité, sa survie et son progrès nous devons avant tout présenter et interpréter ce monde pour nos étudiants d’une façon éducative qui leur permettra de changer les choses pour le mieux. Et finalement il n’y a rien de plus important.

 Crédit Photo : Bus in London © rabbit75_fot

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