Cet usage pédagogique a eu pour cadre des groupes de TD de Dut Informatique en cours de communication. Dans ce contexte, le programme prévoit l’analyse d’images fixes. L’utilisation d’Instagram a permis une approche différente et une compréhension plus fine de cet outil.
Instagram : un outil simple
Instagram créé en 2010 et disponible au début uniquement sur Ios (Iphone) s’est ensuite diffusé au monde Android. Racheté par Facebook en décembre 2012 (ce qui a provoqué des débat houleux sur les droits d’auteur des photographies publiées sur ce réseau), il compterait actuellement 200 millions d’abonnés dans le monde selon Instagram (Twitter : 240 millions mais beaucoup moins encore que Facebook avec ses 1, 2 milliards d’abonnés).
Le principe est de poster sur le réseau des photographies (ou depuis peu de courtes vidéos de 15 secondes) en les « taggant« . Le succès de la photo dépend du nombre de « likes« . Vous pouvez vous abonner et réciproquement accepter des abonnés.
Les photos les plus populaires ont jusqu’à 10 000 « likes » tandis que d’autres plafonnent à moins de 10.
Exemple :
Des usages multiples
Instagram peut servir à différents usages :
– Partage d’instants de vie pour la plupart des photos,
– Organisation de concours photographiques,
– Offices de tourismes et dérivés,
– Vitrine pour des photographes professionnels,
– Galerie artistique virtuelle,
– Espace publicitaire pour certaines marques…
L’usage personnel est le plus répandu et les types de photographie les plus répandues sont :
– Les selfies : sont apparus des selfies lors de funérailles, des selfies dits « aftersex »… Le selfie porte aussi une culture et il n’est pas réalisé de la même façon à Rodez, New York ou Tokyo.
Un site étonnant classe les selfies selon des critères tels que : le pays, le sexe, l’inclinaison de la tête… pour mettre en évidence notamment des logiques culturelles locales : http://selfiecity.net/selfiexploratory/
– Les pieds sur la plage : de façon générale, les photographies de pieds sont fréquentes et certains se sont spécialisés dans ce type de clin d’œil.
– Les chats (ou tout autre animal considéré comme « mignon »).
– Les paysages avec une prime au coucher de soleil.
– Les photographies de nourriture (très à la mode à tel point que certains restaurateurs ont décidé de l’interdire pour favoriser la concentration des clients et limiter la fuite des innovations culinaires…)
– Les photographies de « mode » : habits, chaussures…
– Les photographies de textes bibliques ou philosophiques ou humoristiques (rarement les trois à la fois…).
– Les photographies d’objets symboles : voitures, outils technologiques, tickets…
– Les pages écrans : Facebook, smartphone…
– Les publicités sur Instagram pour avoir plus de followers.
– Les photographies de ‘people’
…
Les catégories peuvent se mixer : une photographie d’une personne célèbre sur fond de coucher de soleil avec un petit chat dans les bras aura beaucoup de succès… Certains instagramers ont aussi des thèmes de prédilection : abstraction, personnes endormies dans le métro, paysages, portraits, couleurs…
Un site permet de visualiser la publication en temps réel des photographies publiés sur Instagram et géolocalisées : http://instantpeeping.dareville.com/paris
La répétition des types est marquante ce qui conduit à exposer les limites de cet outil.
La face cachée d’Instagram
Un certain nombre de critiques ont été faites à l’encontre d’Instagram :
– Les droits : le rachat par Facebook a fait craindre aux utilisateurs une commercialisation des photographies partagées sur Instagram. Comme la modification des règles sur Youtube, ce type d’épisode montre un équilibre instable entre des internautes qui partagent et des propriétaires qui utilisent ou en sont soupçonnés. Le débat et les conflits semblent inhérents à cette organisation asymétrique.
– L’esthétique : Instagram permet d’utiliser (mais ce n’est plus obligatoire) des filtres dont les plus populaires sont dits « vintage » comme Lomo ou encore 1977… Ils permettent d’obtenir des couleurs symbolisant d’anciennes photos. Et comme les photographes célèbres sont souvent anciens, Instagram fait revivre l’équation : filtre=ancien=qualité=esthétique. Mais bien sûr, la réalité est plus complexe et certains critiques mettent plutôt en avant une standardisation de l’esthétique.
– La normalisation : il est frappant de constater à quel point chaque instagramer souhaite partager une identité qui se noie dans la similarité des photographies. Le mécanisme psychologique, plutôt que l’affirmation d’une singularité, serait-il une forme de réassurance ?
– La popularité : une photographie est populaire si elle reçoit des likes principalement. Les commentaires sont rarement négatifs en général moins nombreux que les likes. Cet univers dominé par les perceptions positives rappelle Facebook mais pose la question de l’évaluation par les internautes d’une qualité photographique. Les photographies populaires sont-elles les plus esthétiques ou les plus proches de la norme partagée de la beauté à un instant donné ? Par ailleurs, les « likes » peuvent être achetés.
Certains sites proposent ce service et comme des instagramers sont professionnels, cette popularité ‘marchandisée’ cache des objectifs commerciaux. Enfin, la popularité dépend aussi, comme pour un moteur de recherche, des mots clefs attachés à la photographie. Des sites fournissent des listes des mots clefs les plus populaires voire un classement par sous-thèmes (nature, paysage…). La popularité mesurée par les « likes » est ainsi plus complexe qu’il n’y parait a priori et il est prudent de prendre un recul certain par rapport au classement Instagram
– La morale : tout peut être publié sur Instagram y compris les dernières photographies d’une jeune chinoise avant son suicide… La vie privée est-elle entièrement publiable ?
Pour aller plus loin sur la compréhension d’Instagram :
• Etude sur plus de 2 millions de photographies publiées sur Instagram et analyse sur 200 000 clichés pris à Tel Aviv qui mettent en évidence les aspects sociaux et politiques portés par ces photographies à lire ici (en anglais)
• Analyse de photographies publiés dont Instagram, voir ici
L’expérience pédagogique
Les étudiants devaient par groupe de 3 réaliser une photographie sur l’Iut et la mettre sur Instagram. Ils avaient comme ressources un cours sur l’image fixe et les éléments fournis précédemment dans cet article. Spécialisés en informatique, ils n’ont eu aucun mal à intégrer l’outil… du moins au niveau de l’utilisation technique.
Un jury de plusieurs professeurs et professionnels a pu être mis en place. Il a récompensé les meilleures photographies en distinguant volontairement l’évaluation Instagram (nombre de likes) et l’évaluation du jury qui a remis des prix selon des catégories : communication, humour, concept, esthétique.
Le règlement du concours
Voici le règlement du concours donné aux étudiants.
Thème
C’est beau un Iut ! Parce que cet Iut est un lieu de travail mais aussi d’échanges, de relations humaines… il mérite des souvenirs pour que la mémoire de ce lieu particulier puisse vivre. En proposant votre vision de cet établissement d’enseignement supérieur à travers une œuvre photographique, vous contribuerez à cette culture commune. La participation est gratuite et ouverte à tous les étudiants de Dut Informatique, première année.
Modalités du concours
Vous devez réaliser une image au format .jpg de l’Iut de Rodez.
Cette image sera transférée sur Instagram avec un compte qui peut être anonyme mais obligatoirement avec au moins le mot clef suivant :
#iutrodez2014concoursphoto
Si vous faites une erreur de saisie dans ce mot clef, vous ne pourrez pas être classés.
Cette image sera placée sur le serveur commun avec le nom de fichier suivant : nomsetudiants_concoursphoto2014.jpg ou .jpeg.
Vous accompagnerez ce fichier d’un texte d’analyse de l’image qui présentera, comme les exemples fournis en cours (voir suite application 1 sur l’analyse structurée p. 9 et 10). Le texte sera au format .docx, de 100 à 200 mots, aura un titre plein et intégrera l’image proposée par le groupe.
Vous devrez respecter les contraintes suivantes pour vos images :
– pas de personnes identifiables,
– prise de vue dans l’IUT et de l’IUT.
Le classement au concours se fera selon :
– le nombre de vues sur Instagram (relevé début semaine 22),
– l’évaluation de la photographie et de votre analyse par un jury.
Avertissements
Les auteurs sont seuls responsables de tous droits relatifs aux images qu’ils présentent. L’IUT se réserve le droit de reproduire gratuitement à des fins non commerciales de communication et de documentation les travaux des étudiants. Toute participation au concours implique l’acceptation totale du règlement du concours.
Eléments pédagogiques
Groupes de 3 étudiants. Une note sera attribuée au dossier d’analyse pour le semestre 2 en communication.
Organisation
Distribution des règles du concours et du cours : semaine 17
Début du concours : semaine 20
Prises de vue et texte : semaines 20 et 21
Jury : à partir de la semaine 22
Publication du classement : le classement sera transmis par mail sur la liste de diffusion interne.
Analyse pédagogique
Cette séquence a présenté un certain nombre de points positifs :
– les étudiants étaient motivés et impliqués. La pédagogie de projet mis en œuvre est un des facteurs explicatifs. L’usage d’un outil actuel peut aussi expliquer la situation mais cet argument est à nuancer ;
– le résultat du concours a mis en évidence les différences entre un réseau social et une évaluation de professionnels. En effet, l’image qui a eu le plus de « likes » répond à la culture du réseau et à celle de la promotion de ces étudiants. Le jury avait d’autres référents culturels… La réputation sur un réseau social répond à des règles sociales qu’il est utile d’expliciter pour permettre aux étudiants ou élèves de prendre du recul. L’écart entre l’évaluation Instagram et jury a concrétisé cet écart et pu permettre une prise de conscience ;
– les étudiants n’étaient pas tous enchantés d’utiliser Instagram, outil pourtant… à la mode. En effet, cette caractéristique avait plutôt tendance à en repousser certains. L’expérience a favorisé une analyse plus rationnelle, moins émotionnelle de l’outil ;
– la publication des photographies a contribué à la présence de l’Iut sur cet outil avec une approche positive. En laissant les réseaux sociaux au seul soin des étudiants, il peut arriver parfois de mauvaises surprises pour l’e-réputation d’un établissement…
– cette expérience aurait pu être réalisée sans Instagram. Mais cette ouverture de la classe valorise la publication au-delà des frontières institutionnelles. Par ailleurs, les étudiants ont pu aborder différemment un réseau social en remettant en cause certaines représentations ;
– la remise de prix met en exergue des critères d’appréciations de l’image fixe selon des objectifs. Ceci est conforme au cours donné et démontre la contingence de l’évaluation de ce type de documents.
Par contre, cet usage pose un certain nombre de questions et de critiques :
– l’usage des mots clefs a été en général décevant ce qui est étonnant pour des étudiants en informatique. Ceci peut être du à un manque de connaissance dans la logique de référencement ou un désintérêt ;
– les étudiants ont utilisé leur propre matériel (Byod). Il était prévu d’utiliser leur smartphone mais certains ont utilisé des appareils numériques sophistiqués ce qui a créé des inégalités entre les groupes ;
– il est parfois difficile d’échanger sur l’évaluation de ce réseau social sans tomber dans un débat passionnel ;
– les étudiants ont du parfois choisir entre les critères Instagram et les éléments donnés en cours qui n’étaient pas toujours compatibles. Les différents types de prix du jury ont limité les effets des choix réalisés ;
– les évaluations du réseau social vs jury n’étaient pas suffisamment analysées dans le cours et dans le travail demandé aux étudiants.
L’intérêt de cette expérience était surtout de mettre en évidence la logique d’évaluation d’une réputation sur un réseau social. La confrontation entre évaluation du jury et réseau a concrétisé cette logique. Au-delà, il était aussi porteur de mettre les étudiants en situation d’analyse rationnelle d’un outil. Mais, les représentations liées aux outils numériques sont profondes en particulier pour la génération dites Y car elles se fondent sur des pratiques et des échanges.
Fermer l’éducation à ces outils sous prétexte de sécurité ou de risque de dérive ne peut pas permettre une « confrontation accompagnée » des élèves ou étudiants à une évolution permanente de la culture numérique de notre société.
Auteur : Daniel Pelissier
Trois photographies récompensées
Prix de la communication, Auteurs : Alexis Férat, Gaël Girodon
Prix esthétique, Auteurs : Marine Vallée, AntoinePellieux, Rémi Plantade
Prix Instagram, Auteurs : Valentin Bataille, Thomas Benetti, Tanguy Carne