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Comment coproduisons-nous notre environnement numérique marchand ?

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Avec le développement du web sémantique, de l’internet des objets et de l’intelligence ambiante, les utilisateurs des Technologies Numériques de l’Information et de la Communication (TNIC) sont conduits à produire une grande quantité de traces numériques (Mille, 2013) durant leurs activités de consommation. Ces traces constituent autant de données permettant de renseigner les pratiques, les désirs et les centres d’attention des consommateurs (Kessous, 2012). Aussi, les marchands qualifient généralement ces traces de big data.

Les big data jouent un rôle important dans le système de communication médiatisée que compose le marché (Barthes, 1964 ; Callon et Muniesa, 2005 ; Cochoy, 2004). Du côté de l’offre, elles permettent d’alimenter des systèmes d’information plus ou moins sophistiqués de façon à soumettre automatiquement aux consommateurs des informations dites pertinentes. Par effet ricochet, du côté de la demande, elles doivent alors faciliter les activités de recherche et/ou de découverte d’information marchande.

Les big data ont donc pour finalité d’instaurer et/ou d’améliorer la coproduction d’une partie des services proposés par les e-commerçants. C’est pourquoi, dans cette communication, nous souhaitons mettre au jour la façon dont se font ces processus de co-création : à travers les big data, comment les consommateurs d’aujourd’hui participent-ils à produire leurs environnements numériques marchands ?

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Pour répondre à ce questionnement, nous commençons par définir la notion de « big data ». Pour ce faire, nous nous appuyons sur l’analyse des archives du New-York Times. Nous montrons alors que, du point de vue des acteurs engagés dans le développement des big data, la notion « big data » désigne ce mouvement qui consiste à intégrer les technologies de télécommunications, celles de l’intelligence artificielle et celles de stockage et de traitement des données (Vayre, 2014). Le/les big data renvoie(nt) ainsi à un système d’information (cf. schéma 1) et à un processus de documentation (cf. schéma 2).

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Schéma 1 : Le système d’information big data

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Schéma 2 : Le processus de documentation big data

Ensuite, nous exposons comment le système d’information big data permet de redéfinir les modalités d’interaction entre les offreurs et les demandeurs. Ce système instaure en effet de nouvelles passerelles informationnelles qui modifient le travail d’enquête que les offreurs déploient pour communiquer et/ou innover (Mallard, 2011 ; Vayre, 2013). À partir de données de première et de seconde main, nous pointons alors comment ces derniers distribuent les activités cognitives (Hutchins, 1995 ; Suchman, 1993) nécessaires à l’organisation de la personnalisation des environnements numériques marchands. Ce faisant, nous soulignons le rôle des technologies d’apprentissage artificiel dans le processus de documentation big data.

Pour finir, afin de bien comprendre comment les consommateurs contribuent à créer leurs propres environnements numériques marchands, nous dégageons les principes fondamentaux de l’apprentissage artificiel (Cornuéjols et Miclet, 2013). Nous présentons alors les principales techniques qui permettent aux machines d’inférer, de façon plus ou moins supervisée, une règle d’action optimale (e.g. : pousser ou non tel produit ou tel message) dans une situation donnée (e.g. : tel consommateur, qui a fait telles actions, est en train de regarder tel produit). Nous verrons ainsi que ces systèmes apprenants sont des sortes d’extensions formatées et intégrées des cognitions individuelles des consommateurs (Brangier et al., 2009) et que ce sont à travers elles que ces derniers coproduisent leurs environnements numériques marchands.

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En conclusion, nous montrons que les big data doivent permettre aux marchands d’articuler les principes de massification et de personnalisation. Du point de vue de l’organisation du marché, le système d’information big data a en effet pour principal fonction d’associer deux logiques souvent distinctes : celle d’exploitation et celle d’exploration (Duncan, 1996 ; March, 1991 ; Mothe et Brion, 2008). Tout l’enjeu de la coproduction des interfaces numériques marchandes est alors de considérer les capacités de créativité des consommateurs (i.e. : stratégie d’exploration ; Akrich, 1998 ; Certeau, 1990 ; Mallard, 2011 ; Voirol, 2011) afin de mieux les capter (i.e. : stratégie d’exploitation ; Cochoy, 2004).

En d’autres termes, à travers les technologies d’apprentissage artificiel, le processus de documentation big data est avant tout un moyen d’automatiser, soit d’exploiter efficacement, de nouvelles stratégies d’exploration des marchés.

Références

  •  Akrich M. (1998). Les utilisateurs, acteurs de l’innovation. Éducation permanente, (134), 79-89.
  • Barthes R. (1964). Rhétorique de l’image. Communications, 4 (4), 40-51.
  • Brangier E., Dufresne A. et Hammes-Adelé S. (2009). Approche symbiotique de la relation humain-technologie : perspectives pour l’ergonomie informatique. Le travail humain, 72 (4), 333-353.
  • Callon M. and Muniesa F. (2005). Economic markets as calculative collective devices. Organization Studies, 26 (8), 1229-1250.
  • Certeau (de) M. (1990). L’invention du quotidien. Arts de faire. Paris : Gallimard.
  • Cochoy F. (2004). La captation des publics : « c’est pour mieux te séduire mon client… ». Toulouse : Presses Universitaires du Mirail.
  • Cornuéjols A. et Miclet L., (2013). Apprentissage artificiel. Concepts et algorithmes. Paris : Eyrolles.
  • Hutchins E. (1995). Cognition in the Wild. Cambridge: MIT Press.
  • Kessous E. (2012). L’attention au monde. Sociologie des données personnelles à l’ère numérique. Paris : Armand Colin.
  • Mallard A. (2011). Explorer les usages : un enjeu renouvelé pour l’innovation des TIC, in Denouël J. et Granjou F. (éds). Communiquer à l’ère numérique. Regards croisés sur la sociologie des usages. Paris : Presses des Mines, 253-282.
  • March J.G. (1991). Exploration and Exploitation in Organizational Learning. Organization Science, 2 (1), 71-87.
  • Mille A. (2013). De la trace à la connaissance à l’ère du Web. Introduction au dossier. Intellectica, 1 (59), 7-28.
  • Mothe C. et Brion S., (2008). Innovation : exploiter ou explorer ? Revue Française de Gestion, (187), 101-108.
  • Suchman L. (1993). Plan and situated actions : the problem of human-machine communication. Cambridge: Cambridge University Press.
  • Voirol O. (2011). L’intersubjectivation technique : de l’usage à l’adresse. Pour une théorie critique de la culture numérique, in Denouël J. et Granjou F. (éds). Communiquer à l’ère numérique. Regards croisés sur la sociologie des usages. Paris : Presses des Mines, 127-158.
  • Vayre J.-S. (2013). Le big data et la relation client. Quand les traces numériques organisent l’échange marchand. 12e Journées Normandes de Recherche sur la Consommation : Société et consommation.
  • Vayre J.-S. (2014). Manipuler les données. Documenter le marché. Les implications organisationnelles du mouvement big data. Les Cahiers du Numérique, 9 (1), xx-xx.

Positionnement scientifique

[callout]Section scientifique de rattachement

  • Section 19 – sociologie, démographie.

Méthodes appliquées

  • analyse documentaire (qualitative et quantitative) ;
  • entretien semi-directif et analyse thématique ;
  • observation in-situ et observation participante.

Terrains d’enquêtes

  • Données de seconde main :

1 ouvrage de référence en apprentissage artificiel (Cornuéjols et Miclet, 2013) ;
147 documents d’archives du New York Times ;
28 articles de journaux écrits par des professionnels du big data ;
18 courts entretiens diffusés sur Internet et réalisés auprès de professionnels du big data.

  • Données de première main :

10 entretiens semi-directifs réalisés auprès de directeurs scientifiques ou de fondateurs de start-up proposant des solutions marchandes big data ;
2 observations in-situ réalisées lors de 2 journées évènementielles organisées par 2 entreprises proposant des solutions marchandes big data.
3 observations participantes conduites dans le cadre de 3 partenariats réalisés avec 3 start-up toulousaines proposant des solutions marchandes big data.[/callout]

Voir le programme complet du colloque scientifique Ludovia#11

Voir le profil de  Jean-Sébastien Vayre sur Ludovia 2014

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