L’univers foisonnant, riche mais aussi complexe et divers des hackers et plus précisément des cyber-hacktivistes manque à l’heure actuelle d’études, de réflexions et d’hypothèses généralistes à son sujet. Cette communication se propose d’être l’une d’entre elles et nous l’espérons permettra d’ouvrir la réflexion à ce sujet.
Notre proposition est celle d’une analyse par le prisme de la morale individualiste, voire même d’une conception politique du monde sur ce fondement.
Notre hypothèse fait suite à une étude réalisée dans le cadre d’un stage à l’État-major des armées et visant à une meilleure compréhension de ce milieu.
Les cyber-hacktivistes se définissent principalement par leur action, leur pratique. Le cyber-hacktiviste est celui qui utilise les nouvelles technologies et en fait son sujet de militance.
Après différents entretiens d’acteurs du mouvement, recueils d’informations et participations à des rencontres, nous avons choisi de nous concentrer particulièrement sur la culture de cet univers et plus précisément sur les valeurs et les pratiques qui en découlent. Il faut ici prendre le sens de culture comme ce qui est commun à un groupe d’individus et « comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances.[1] »
Cette culture nous est apparue multiple, éclatée voire éparse. Néanmoins nous avons pu postuler un double facteur d’analyse.
Celui d’un individualisme égocentré et d’une des-institutionnalisation des acteurs au moins envers les autorités classiques, que sont par exemple l’État, les partis politiques, les syndicats, les religions,… Avec comme conséquence ce que nous avons alors appelé le basculement d’une morale vers une l’éthique. Nous retrouvons ainsi une subjectivité exacerbée et un recentrage sur l’individu et ses valeurs personnelles. Dans cette appréciation, la morale est comprise comme généralement rattachée à une tradition historique et extérieure à l’individu. Alors que l’éthique serait personnelle et parfois matérialiste visant la recherche d’un bonheur pour tous.
Mais il nous apparaît désormais que nous avons plus affaire à un basculement d’une morale holiste ou sociale vers une morale individualiste et donc recentrée sur l’individu. Les fondements de cette pensée, que nous retrouvons dans « l’éthique Hacker » de Steven Levy ou le « Manifeste crypto-anarchiste » de Timothy C. May, mettent en avant les capacités personnelles de l’individu. La culture du do-it est clairement une culture méritocratique et entrepreneuriale (au sens de créer quelque chose). En basculant sur l’individu, toute cette culture renforce par ailleurs la subjectivité et le relativisme.
Dans de nombreux discours, se retrouvent à la fois une promotion de la liberté de l’individu et une conception politique du monde à travers son propre regard. C’est ce que nous avons appelé un universalisme du moi. L’individu est au centre de tout. Par ailleurs il doit agir avec raison tout en mettant au centre de ses préoccupations l’outil technologie, passion partagée par toute la communauté cyber-hacktiviste. Il s’agit d’une combinaison étonnante entre un cartésianisme et un hédonisme technophile.
Nous rapprocherions clairement plus l’éthique Hacker, telle qu’elle se définit dans cet espace, du mouvement libertarien plutôt qu’anarchiste. Il n’y a par exemple aucun rejet de la propriété privée ou de l’État en soi.
Cette perception est bien celle de leur cadre cognitif, leur façon de concevoir le monde tel qu’il devrait être. Cette hypothèse permet alors de comprendre beaucoup plus aisément les passerelles éventuelles avec l’univers marchand et les combats menés, notamment en Égypte ou en Syrie récemment via l’opération OpSyria de Telecomix.
De même cela n’empêche pas l’existence de solidarité ou de relations sociales mais définit sur quel fondement elles sont alors basées.
L’hypothèse de travail que nous avons développée permet donc d’opérer un parallèle entre deux mouvements, celui des cyber-hacktivistes et celui des libertariens. Ils conjuguent en effet cette morale individualiste que nous évoquions. Ce parallèle culturel au sens gramscien cette fois est donc à questionner. Nous espérons donc avoir l’opportunité de pouvoir l’approfondir dans de plus amples enquêtes empiriques et une vérification de certains postulats.
Section scientifique de rattachement : Science Politique
Il s’agit d’une hypothèse issue d’une enquête effectuée entre Mai 2012 et Juillet 2012. Par le biais d’observations, d’une série de cinq entretiens et d’une utilisation des informations publiées par les cyber-hacktivistes eux-mêmes comprenant des vidéos de conférence, des textes et des enregistrements audios. J’avais effectué une enquête pour tenter de décrire et comprendre l’univers du cyber-hacktivisme. L’objectif était à la fois de comprendre ses évolutions futures mais aussi ses principes fondateurs notamment culturellement, c’est-à-dire les valeurs et philosophies structurant cet univers. L’hypothèse survenue après cette étude se fonde sur une réflexion théorique comparant le mouvement libertarien et le mouvement hacker et analysant ce dernier par le prisme du premier. Il apparaît en effet de profondes similitudes entre les courants de pensée.
l CARÉ Sébastien, La pensée libertarienne : Genèse, fondements et horizons d’une utopie libérale, 2009, PUF
l C. MAY Timothy, Manifeste Crypto-Anarchiste, http://www.activism.net/cypherpunk/crypto-anarchy.html
l COLEMAN E. Gabriella, Coding Freedom: The Ethics and Aesthetics of Hacking, 2013, Princeton University Press
l HIMANEN Pekka, L’Ethique Hacker et l’Esprit de l’ère de l’information, 2001, Exils
l LAURENT Alain et VALENTIN Vincent, Les penseurs libéraux, 2012, Belles Lettres
l LEVY Steven, Hackers: Heroes of the Computer Revolution, 2002, Penguin, réédition, première édition 1984
l STALLMAN Richard, « On hacking », 2002, http://stallman.org/articles/on-hacking.html
[1] Définition de l’UNESCO de la culture, Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet – 6 août 1982.