Malgré un cadre budgétaire, organisationnel et juridique qu’elles considèrent délicat (voir article du 5/02/2013, « Les collectivités encore dans l’expectative« ), les collectivités territoriales ont déployé, ces dernières années, un nombre croissant de projets TICE au sein des établissements scolaires. Mais la faiblesse des usages découragent peu à peu certaines bonnes volontés, ce qui nuit à la généralisation des équipements, qui devrait faire suite aux diverses expérimentations.
La question est donc aujourd’hui de savoir si les outils, ressources et formations annoncées dans le projet de loi seront suffisants pour créer un réel élan sur les usages auprès de la communauté éducative et pédagogique et inciter les collectivités à poursuivre leurs efforts.
Entre motivation des enseignants et gouvernances territoriales auprès des collectivités, qu’en est-il du rôle attendu par le ministère des services déconcentrés de l’Education Nationale, maillon essentiel et clé de voûte de la réussite de ce projet de loi ?
Un projet de loi inscrit dans la continuité
Quoiqu’il en soit, le projet de loi de Vincent Peillon est reconnu par les acteurs de l’éducation numérique qui œuvrent au sein de l’Education Nationale comme un texte pilier et fondateur, qui institutionnalise un volet essentiel de la pédagogie.
Comme Pascal Cotentin, directeur du CRDP et conseiller Tice de M. le Recteur de l’académie de Versailles le souligne, « le projet de loi sur la refondation de l’Ecole propose une dynamique et des mesures concrètes qui devraient encourager les usages du numérique à l’école ».
Jean-Michel Fourgous, maire d’Elancourt, et auteur de deux rapports sur l’école numérique sous le gouvernement Fillon, considère le volet numérique du projet de la loi pour la refondation de l’école comme « une bonne nouvelle », et salue la démarche de Vincent Peillon d’avoir tenu compte des préconisations des derniers rapports FOURGOUS, sur l’apport des outils numériques dans les apprentissages scolaires mais aussi sur la transformation de la pédagogie par le numérique.
Encourager les usages par la valorisation des enseignants
Mais nombreuses collectivités, qui ont déjà engagées des investissements et développer un projet d’école numérique, restent relativement réservées, exprimant une inquiétude au niveau de la motivation des enseignants, en raison d’un manque de reconnaissance vis-à-vis de leur hiérarchie sur l’utilisation des outils numériques.
C’est ce que nous confirme le chef de projet du déploiement numérique dans les écoles d’une des villes pionnière, en matière de TICE.
« Beaucoup trop d’enseignants en France ne prennent pas en compte le numérique en raison d’un manque de reconnaissance de leurs inspections de circonscription, qui considèrent le numérique comme un outil gadget, un artifice ludique au détriment du véritable contenu pédagogique ».
« C’est fortement pénalisant pour les usages », poursuit-il, « donc pour les services et les élus qui doivent justifier des investissements engagés par la ville. J’espère que la future loi créera peu à peu une réelle motivation au niveau des services déconcentrés de l’Education Nationale, et impactera sur les usages, sans quoi nous ne pourrons avancer ».
La valorisation hiérarchique des enseignants utilisateurs des TICE avait d’ailleurs fait l’objet, dans le rapport Fourgous d’une proposition, intitulée : « Réinventer le management des enseignants : incitation, reconnaissance, valorisation ».
Etablir une collaboration entre l’Inspection académique et la collectivité permet en effet aux enseignants de travailler dans un environnement constructif et de confiance, où les matériels sont mis à la disposition des enseignants, qui ont le droit à l’erreur.
C’est par exemple le principe du dispositif OPPIDUM* à Saint Maur-des-Fossés dans le Val de Marne, où l’inspection académique, partie prenante dans les objectifs d’usages, entreprend un suivi permanent des enseignants, utilisateurs des matériels, pour un réajustement continu des besoins en matériel, logiciel ou ressources numériques.
Quid de la gouvernance territoriale avec l’Education Nationale…. ?
Quoiqu’il en soit, tous les projets d’écoles numériques réussis nous enseignent aujourd’hui, que seuls de solides partenariats tripartites, entre collectivités territoriales, Education Nationale et établissements scolaires, permettent d’aboutir à des usages efficients grâce à une réflexion commune en amont sur le projet pédagogique, les équipements, et infrastructures à mettre en regard, sans oublier la formation, le suivi et l’analyse régulière des usages.
Citons en exemple parmi les plus connues, les actions menées dans les villes de Limoges, Elancourt, Saint Maur des Fossés avec le programme OPPIDUM*, dans les départements du Val d’Oise, de l’Ariège ou de la Corrèze, ou en encore en région PACA avec le CRDP de l’académie Aix-Marseille.
C’est la raison pour laquelle les associations d’élus territoriales ainsi que l’ANDEV avaient proposé à Ludovia 2012, que le projet de loi intègre des mesures de continuité éducative cohérentes (école, collège, lycée) par bassin d’éducation entre les collectivités et les instances locales de l’Education Nationale.
« Il est aujourd’hui contreproductif de séparer la réflexion sur les acquisitions des matériels, la gestion de la maintenance, et les objectifs d’usages de ces équipements. C’est dans le cadre d’une convention interterritoriale structurée numérique pluriannuelle, où serait clairement définie une politique d’usage pédagogique numérique par bassin d’éducation, que pourront être définis les meilleures conditions de maintenance, de renouvellement de matériels, de connexion, d’usages et de formation.
C’est cette nouvelle gouvernance qui pourrait déterminer les transferts de compétence les plus judicieux », souligne Jean-Pierre Quignaux de l’ADF.
Les associations représentantes des collectivités militent donc pour une co-élaboration cohérente des politiques éducatives numériques territoriales avec l’Education Nationale, pour des usages et des investissements efficients.
L’exemple de l’observatoire ObserTice 92 est en cela très instructif puisqu’au sein du département des Hauts de Seine, une large concertation se poursuit entre les représentants des communes et la DSDEN (direction académique). Tous s’efforcent de mener à bien une réflexion permanente entre les besoins et les contraintes des communes, l’identification d’indicateurs destinés à mesurer les effets d’une politique TIC concertée, les retours d’expérience des enseignants et les orientations pédagogiques de l’Education Nationale sur l’usage des équipements.
« Nous avons trouvé un format de collaboration efficace, confirme Elisabeth Hordequin, Conseillère Technique TICE du DASEN des Hauts-de-Seine, qui nous permet de diffuser et de mutualiser les démarches, ainsi que les retours des politiques d’équipement, en vue d’optimiser les investissements de chaque commune et dynamiser les usages des enseignants ».
Si ce travail de coordination est là rendu possible grâce à la faible étendue du 92, ne pourrait-on pas imaginer que ces actions soient également menées au sein des bassins d’éducation ?
MF. Bodiguian,
AMO-TICE
Dans le cadre des actions que les collectivités engageront sur le développement du numérique dans les établissements scolaires, Ludovia vous propose de poster à cette adresse mfb@amotice.com vos réflexions et questions, afin par la suite de vous donner la parole dans ces colonnes, et de vous apporter, si ce n’est des réponses, au moins un partage des réflexions et des expériences des autres collectivités.
OPPIDUM* : Observatoire des Pratiques Pédagogiques Innovantes et des Usages du Multimédia.
Dispositif initié et mis en place à Saint Maur des Fossés (94), associant dans un partenariat tripartite entre l’Education Nationale, l’Université René Descartes et le territoire, une réflexion mutualisable sur les dispositifs les plus performants tant sur les plans des réponses pédagogiques que sur ceux liés à l’utilisation réelle des investissements, à une recherche d’indicateurs pertinents de suivi, et un accompagnement de mise en œuvre.