Avec une position reconnue d’enseignant, de membre d’une équipe de développement, chargé de mission au sein du réseau CANOPÉ ; mais aussi proche de la DANE de part mes fonctions au sein d’un GEP (groupe d’expérimentation pédagogique), et enfin avec la fonction particulière de IAN EPS (interlocuteur académique numérique EPS), j’ai été amené, à plusieurs reprises, à rencontrer les différents acteurs du numérique et converser avec eux en adoptant une posture toujours différente.
Un jeu de rôle des plus intéressants où, à chaque argument, devait s’accoler une vraie compétence pour ne pas être « démasqué ».
C’est une histoire qui commence il y a longtemps, seul dans ma classe, avec mes élèves, à la recherche de stratégies pédagogiques pouvant s’appuyer sur des outils d’un nouveau genre. De l’ordinateur portable à la tablette numérique, de nombreuses années se sont écoulées.
C’est un peu cette histoire, qui me concerne moi et bien d’autres, qu’il est essentiel de développer aujourd’hui.
Une sorte de journal du numérique, vécu de l’intérieur, allant d’enthousiasme en fin de non recevoir, mais appelant toujours une forme de persistance pour écrire aujourd’hui ces lignes dans … Ludomag !
Pourquoi cet article ? En quoi peut-il faire avancer les choses ?
J’ai le sentiment profond que nous arrivons à un virage du développement du numérique pédagogique ; un virage dicté par les influences diverses, enchantées ou dénonciatrices, qui interrogent sur la valeur de ce que nous entreprenons chaque jour dans le champ des usages pédagogiques qu’accompagnent les outils numériques.
Il existe toujours trois acteurs majeurs et omniprésents au gré de ces avancées rectilignes et de ces virages. Des acteurs qui laissent penser qu’ils se parlent et s’écoutent … enseignants, industriels, institutionnels.
Mais ne manque-t-il pas le principal ? L’élève !
En parfait adéquation avec mes convictions présentes, je placerai le point de vue de l’enseignant face à ces interlocuteurs. Car au final, face aux problèmes de fonds et de formes, c’est bien à lui qu’incombe l’ensemble des responsabilités pédagogiques, d’assumer les choix politiques, de répondre aux impératifs dictés par l’institution…
L’enseignant vu par l’enseignant…
C’est le point de passage obligatoire de tout acte pédagogique ; la confrontation à ses pairs. Elle commence à son bureau et finit dans le domaine des équipes pédagogiques. Un baptême du feu où s’imposent les influences les plus diverses. Le coeur de la réflexion est et restera, l’élève. Comment l’aider dans ses apprentissages et l’amener à l’optimal de sa formation et éducation.
L’introduction du numérique, pour celui qui voudra convaincre ses collègues demeure un état de science-fiction. L’approche est lente, parfois difficile laissant souvent la place à des réticences plus techniques et de coûts, que réellement pédagogiques.
Un des facteurs d’accélération est l’acquisition d’un matériel. A ce moment, les choses se décantent, se discutent et évoluent vers ensuite des échanges, voir des demandes.
Le second niveau de ce rapport est celui des initiés. Le numérique se partage, s’épie entre enseignants depuis bien longtemps. De fait, des dispositifs d’échanges, allant du local au national existent, rassemblement privilégiés de conseillers et autres interlocuteurs. Au sein de ces structures, ce sont des courants d’influence qui émergent.
Et à ce jeu, il existe une petite concurrence sur la production où, sans parler de dénigrement, rares sont les incitations à orienter les formations vers des produits externes à son domaine de compétence. Car à ce niveau, se pose déjà cette question bien en place à Ludovia cette année : appropriation … et de fait, détournement !
Car l’âme de l’enseignant artisan (J.P. Moiraud) n’est pas celle de l’enseignant pragmatique qui ne peut s’accommoder d’à priori et bricolages, apanage des innovants ou tombés dedans par curiosité.
De cette difficulté à « matérialiser » des process efficients, couplés à des carences matérielles et logicielles et auxquelles se sont ajoutées des réflexions très larges sur « l’entrée du numérique à l’école », sont entrés dans ce jeu les industriels, autrement appelés éditeurs au gré des changements de langages.
Toujours présents auprès de l’Education, avec on ne l’oublie pas, l’édition papier, le numérique a développé une branche non négligeable à ce propos : le support. Et comme le support doit induire des changements de méthodes, un trust formidable s’est constitué, de la technologie aux contenus.
L’angle d’attaque demeure partout le même. La garantie d’avoir 10, 100, 1000 enseignants comme garants de la valeur du catalogue.
Avec cette cohorte de prestataires et fournisseurs, se trouve les collectivités, donneurs d’ordres et surtout finançant les projets avec plus ou moins d’efficacité quant aux réalités avérées du terrain. De fait, il m’est souvent apparu que les enseignants qui ne s’engageaient pas dans la démarche de changement numériques par souci matériel, se retrouvaient devant le fait accompli, une fois ce dernier présent dans les établissements.
Et de reprendre en coeur : « oui, bien sûr, mais on équipe l’établissement (les élèves), et moi ? ». Et que dire des rapports projets / validations ?
Il n’en demeure pas moins qu’équipés ou non, les enseignants demeurent un public privilégié de ce groupe. Car au travers de leurs expérimentations de terrain, un terme qui permet d’oublier temporairement le fait qu’il faudra en sortir un jour de l’expérimentation, ils valorisent par bricolage personnel ou usage des dotations, les projets en cours.
Mieux que cela, ils valident ponctuellement les investissements faits par la démonstration d’usages.
C’est ainsi qu’on les retrouve en différents lieux, sur des stands, suscitant l’intérêt du moment au travers d’actes valorisants mettant en scène des élèves ou tout simplement expliquant leurs démarches à qui voudra bien leur accorder quelques … secondes d’attention. Un acte valorisant l’espace d’une ou deux journées, et qui se poursuivent, on l’oublie trop souvent sur l’ensemble de toutes les autres de l’année au sein des classes. Alors, amusants ou intéressants les enseignants ?
Garants de l’efficacité des projets d’investissements, les enseignants doivent aussi passer l’épreuve suprême des institutions. Et il y en a beaucoup. Inspection pédagogique, DANE, CANOPÉ. Pour certains, ce sera l’épreuve de la pédagogie, pour d’autres celle de la mise en oeuvre, et d’autres encore les deux.
Un savoureux mélange qui met l’enseignant tantôt sur un piédestal, tantôt clairement en danger, parfois on ne sait pas trop, ça dépend des personnes que l’on a en face de soi.
J’ai toujours accordé une place importante à la perception des faits par l’institution. En tant qu’enseignant, c’est la structure vers laquelle on se tourne pour chaque étape d’une petite avancée. Elle commence au sein de l’établissement avec un dialogue avec son administration, qui elle-même dialogue avec l’inspection.
C’est ensuite un jeu de réseaux qui vont répondre au travers de groupes de travail aux demandes, en exprimant leurs avis d’experts avant de vous absorber dans leurs dispositifs en tant que novateur et compétent. (Mais à la vitesse des évolutions, compétent, c’est combien de temps ?)
Il s’avère que les choses sont bien plus complexes. Car au sein de cette structure des lignes sont tracées. Des lignes prudentes, orientées, et donc influencées. Elles se tracent en parallèle des décisions prises « plus haut« ; Alors se pose la question de : je sais où se situe le très haut, mais c’est qui plus haut ? … tout simplement parce que moi, enseignant, j’aimerais discuter avec « plus haut » pour mieux comprendre, mieux savoir, mieux agir, et surtout que l’on me dise de manière assurée si je dois continuer ainsi ou si ce que je fais n’apporte au final … rien.
Il n’en demeure pas moins que tout enseignant avisé demeure prudent vis à vis de son institution. Car très souvent, une innovation pédagogique demeure une désobéissance qui a réussi. Et de fait, il faut avancer avec prudence pour ne pas heurter les sensibilités. C’est ainsi que l’on constate que lors d’inspections, pendant de nombreuses années, malgré les réussites en classe, le numérique n’apparaissait que comme outil-support de présentation avant d’être support de réalisation.
Il y a tant de choses à dire, et je me rends compte que cet article s’étire. Alors, avant de me (vous) perdre,
petite conclusion sur l’enseignant dans l’ère du numérique.
Il est de loin, celui qui développe le plus de compétences dans cette intégration lente et progressive. Il est le seul au contact des élèves. Le seul et l’unique quoique s’en défendront les autres. Trop souvent accessoire dans la validation des projets.
Je pointerai dans un prochain article un cas d’école des difficultés auxquelles doivent faire face aujourd’hui encore les enseignants dans le rapport volonté-efficacité qui oppose encore leurs compétences avérées aux moyens qui lui sont donnés d’opérer cette transition.
Sachez que la prise en compte des valeurs du numérique n’a pas tenu au gadget du moment, phénomène de mode et outil de communication politique, mais bien à la prise en compte des plus-values pédagogiques accompagnant l’intégration des outils numériques.
Dans les choix à venir, et les orientations qui seront prises, interrogez les enseignants sur ce qui leur semble essentiel et
vous verrez que le numérique n’a en réalité que réinventé la roue, mais en lui apportant des spécificités techniques considérables.
Alors cessons d’imaginer et soyons à l’écoute des acteurs de terrain, des vrais, et mettons tout en oeuvre pour leur faciliter la tâche.