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Pratiques d’enseignement et d’animation : le numérique peut-il aider à la co-éducation ?

[info]Rappel de la Problématique :
Le numérique est entré dans l’école, parfois par la fenêtre, et fait partie des pratiques pédagogiques de nombreux enseignants – mais nombreux sont ceux qui n’y ont pas recours. Par ailleurs, s’il est entré dans le quotidien de nombreux enfants et adolescents, par le biais des ordinateurs familiaux, des téléphones portables et des tablettes, il semble que les animateurs ont des difficultés à le prendre en compte dans les activités péri-scolaires et de loisirs. Peut-on comparer les usages numériques respectifs de l’école et de l’éducation populaire ? Le numérique peut-il aider à développer les pratiques de co-éducation ?
Cette table ronde veut faire un premier état des lieux : numérique et co-éducation, quelles pratiques ? Quels échanges sont possibles entre animateurs  et enseignants autour du numérique à l’école, au collège, au lycée? Quelles pratiques favorisent la co-éducation, quelle place peut y prendre le numérique ?[/info]

Le numérique, catalyseur de co-éducation ?

Le numérique est entré dans l’école, et le numérique de travail (par opposition aux loisirs) entre par le biais des devoirs dans le domicile familial. Par ailleurs, les jeunes ont des pratiques numériques, qui sont parfois mal prises en compte par l’école et par le péri-scolaire. Pourtant monde de l’éducation, monde de la famille et monde de l’animation ont des choses à se dire. Le numérique permet-il de faire travailler ces mondes ensemble ?

Les invités de cette table-ronde sont soit des meneurs de projets de terrain, comme Jamel El Ayachi,, collège André Saint Paul du Mas d’Azil, et Salim Zein, game designer à l’initiative du projet Arcadémie, soit spécialistes de la médiation numérique, comme Nathalie Colombier. Cette dernière a dirigé l’équipe française de l’encyclopédie Encarta et créé Declickids, un site qui passe en revue les applications numériques pour la jeunesse. Stéphanie de Vanssay est à la croisée des deux mondes : professeure des écoles, ancienne éducatrice spécialisée et animatrice en centre de vacances, elle est aussi conseillère technique sur numérique et éducation au SE-UNSA, serial twitteuse et créatrice du TwittMOOC.

Le modérateur invite les participants à donner leur point de vue sur la place du numérique dans la co-animation, à partir des projets menés.

Le numérique comme support de projets communs

Le numérique est d’abord un objet autour duquel peuvent être montés des projets communs entre l’école et le périscolaire. Salim Zein décrit le projet Arcadémie qui vise à faire fabriquer un jeu vidéo par des jeunes de 6 à 20 ans.
Pendant le temps scolaire, il travaille la créativité en interdisciplinarité.
Pendant les activités périscolaires, les jeunes testent des jeux vidéo pour étudier le gameplay.

Le numérique pour créer du lien

IMG_0276Jamel El Hayachi est obligé de pratiquer la co-éducation dans son collège du Mas d’Azil dont les élèves viennent de 32 communes réparties sur 4 cantons ariégeois.

Un défaut sur l’un des trois pôles éducatifs (scolaire / périscolaire / famille) entraîne l’échec scolaire. Il tente donc d’utiliser des dispositifs numériques pour mettre en relation les différents acteurs.

Il a testé plusieurs solutions : l’ENT, les réseaux sociaux avec par exemple une chaîne Youtube par lesquels il valorise le travail des élèves et enseignants.

 

Il a aussi tenté de consulter les familles sur un sujet spécifique (l’assouplissement du règlement intérieur pour les élèves de 3ème), il a fait un mur collaboratif en ligne (Padlet) et a invité les parents, les élèves et les professeurs à s’y exprimer, mais cela n’a pas fonctionné.
Il n’abandonne pas l’idée pour autant qui sera relancée après une réunion qui lèvera, il l’espère, les réticences des uns et des autres à intervenir via un outil numérique collaboratif.

Le numérique pour se connaître et échanger

Stéphanie de Vanssay évoque la faible présence des animateurs et éducateurs sur les réseaux sociaux. C’est une frustration car les questions de fond sont les mêmes entre les différents professionnels de l’éducation, avec des approches différentes qui peuvent s’enrichir les unes des autres.

En effet les enseignants sont des pédagogues avec aussi un rôle éducatif et les animateurs sont des éducateurs devant néanmoins savoir faire usage de pédagogie.

Par ailleurs, les réseaux sociaux sont un vecteur de connaissance réciproque ; on râle moins quand on connaît la réalité du travail de l’autre ! D’où l’intérêt de fréquenter les mêmes réseaux sociaux, comme Twitter par exemple.

Pour l’instant, ce sont surtout les parents qui, par leur présence, enrichissent les échanges. Pas tous les parents évidemment, ce sont souvent les militants des associations qui animent ces discussions. Les parents d’élèves du collège du Mas d’Azil sont très différents, souvent en rupture avec la société, méfiants de l’institution et parfois peu utilisateurs des outils numériques.

Pour ceux-là, le dialogue doit se faire autrement, et il faut d’abord mettre en place des valeurs communes et faire un travail sur les valeurs de la république. Il passe par le CESC (comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté) et par un travail sur la mémoire pour parvenir à ses fins. Le conseil des parents est un autre outil.

Former tous les acteurs au numérique

Néanmoins Jamel El Hayachi essaye, par différentes actions, de former les élèves et leurs parents à un internet citoyen et responsable.

Il considère en effet que l’absence de compétence numérique est une autre forme d’illettrisme.

Pour cela, il faut gagner la confiance des parents. En France, le système éducatif très hiérarchisé infantilise les élèves, mais aussi les enseignants et les parents, alors qu’ailleurs, en Finlande par exemple, tout le système repose sur la confiance.

Cette formation au numérique et à ses usages devrait concerner aussi les jeunes adultes, animateurs et éducateurs. Lors d’une formation pour l’AFEV auprès de jeunes qui font de l’aide aux devoirs, Patrick Mpondo-Dicka a constaté que si les usages de l’internet de loisir sont maîtrisés, les usages professionnels en revanche sont encore balbutiants.

En effet, pour un animateur, le distanciel et l’activité “sur écran” restent difficiles à envisager à cause d’une survalorisation de la relation en face à face. Il ne faut pas non plus oublier de former les cadres qui sont souvent des freins alors qu’ils pourraient être des incitateurs de démarches éducatives avec/au numérique.

Le travail mené sur Déclickids, le site de Nathalie Colombier, est à décliner dans notre vision des outils du numériques. En effet, l’utilisateur, parent ou animateur ne peut se contenter d’un descriptif de type “dossier de presse” pour se faire une idée de la pertinence d’un logiciel ou d’une application. Il lui faut les tester, les explorer, les passer au filtre de la critique et évaluer leur potentiel après des adaptations ou détournements éventuels avant de les utiliser avec des jeunes. C’est ce que propose ce site qui recense et évalue les applications.

Les outils numériques ne sont ni sacrés ni magiques, cela doit aussi pouvoir être transmis aux enfants et aux jeunes. L’éducation critique aux médias et au numérique est plus que jamais essentielle pour lutter contre les risques d’endoctrinement et doit passer par des usages accompagnés à l’école, à la maison et dans les moments de loisirs.

Comment former ?

Salim Zein prône l’apprentissage du fonctionnement et de la fabrication des outils pour franchir la barrière numérique. Pour acquérir des savoirs il propose de passer par la manipulation des outils, en apprenant à fabriquer des applications, par exemple.

Cela permet également de mettre les élèves et les adultes en posture de créateur, ce qui leur donne les moyens de prendre un recul critique par rapport à ces outils et ces objets qui envahissent le quotidien. Cette démarche est essentielle pour donner lieu à une véritable appropriation.

Quant à la formation aux usages d’internet, Nathalie Colombier regrette qu’elle soit souvent déléguée à des associations “spécialisées” qui vendent des ateliers au titre effrayant, comme “les dangers d’internet”, ou se résume à la mention “interdiction d’utiliser internet pour faire ce devoir de recherche”.

Il vaut beaucoup mieux que l’école prenne ses responsabilités et anime un travail sur la formation aux usages d’internet. Patrick Mpondo-Dicka renchérit et propose de dédramatiser en passant par des exemples déjà intégrés dans les usages des adultes, comme Marmiton qui n’est rien d’autre qu’un réseau d’échanges sur une activité particulière, autrement dit un réseau social. Hélène Paumier, chargée de mission éducation et numérique aux CEMEA évoque des séjours non déconnectés pour adolescents durant lesquels sont organisés un accompagnement : des activités constructives et formatives utilisant les outils numériques (journal de bord etc…).

Passer de la classique restriction drastique des écrans à une utilisation accompagnée permet de vivre autrement ces moments de loisirs tout en éduquant aux usages raisonnés et réflexifs autour de la publication, l’identité numérique, le droit à l’image…

S’affranchir du numérique ?

Le lien social gagne parfois à s’affranchir du numérique. Salim Zein témoigne d’expériences où le contact direct est plus efficace pour faire communiquer les acteurs. Par ailleurs les PEDT (Projets Educatif de Territoire) qui dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires se généralisent et se formalisent davantage, sont des outils vraiment porteurs.

Réunir tous les éducateurs d’un territoire pour fixer des priorités, coordonner des actions, repérer des indicateurs pertinents pour une évaluation sérieuse des résultats obtenus, devrait permettre dans les années à venir des avancées intéressantes. S’écouter, s’organiser, se comprendre et se faire confiance entre éducateurs est essentiel et le numérique, sans être incontournable pour cela, peut fournir des outils et des espaces facilitants.

Un IEN chargé des PEDT en Ariège confirme qu’il y avait de l’existant avec un schéma départemental et des politiques éducatives concerté mais que la formalisation, le passage à l’écriture des projets, leur évaluation et leur suivi restent difficile. Le contexte actuel, qui contraint à présenter un PEDT pour obtenir des fonds de soutien de l’Etat, devrait permettre d’avancer sur ces points.

Et maintenant ?

Le dossier co-éducation et numérique, à peine entrouvert, mériterait d’être creusé, questionné, illustré par des exemples d’activités et de projets non nécessairement menés sur le temps scolaire. Gageons que les prochaines sessions de Ludovia permettront de continuer la réflexion qui s’engage.

Lien vers le Storify de la table ronde : https://storify.com/2vanssay/table-ronde-co-education-et-numerique

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