N’est-il pas désormais un concept dépassé ? Il a été utile, nécessaire et indispensable pour passer du 1.0 au 2.0, le pionnier a eu une fonction sociale mais la modernité s’est installée, instillée, développée.
L’innovant s’est épuisé, il lui arrive même de se démobiliser, de douter.
Peut-on aujourd’hui se contenter de n’avoir que des enseignants innovants, isolés, atomisés, sympathiques curiosités du monde enseignant ? Ce serait vrai si le système éducatif se réduisait au seul monde enseignant ; or nous savons tous que le système est complexe. Il est difficile de parler d’éducation, d’enseignement et d’apprentissage sans évoquer les apprenants, les chefs d’établissement, les corps d’inspections, les administrations, la recherche, les syndicats, les parents d’élèves, j’en oublie certainement.
L’enseignant innovant est un concept dépassé. Il nous faut maintenant penser l’innovation comme un instrument global. C’est ici que se justifie mon titre car mettre la focale sur l’enseignement innovant permet, à bien des égards de conserver le système en l’état. En détournant le regard sur un « objet » que j’ose qualifier d’anecdotique (que mes collègues innovants m’excusent par avance de la violence voulue du terme anecdotique). Seul, l’enseignant innovant s’épuise, il se coupe petit à petit de son milieu, se marginalise car il avance au sein d’un système qui stagne.
Comme dans toute greffe il faut que le corps accepte la greffon faute de quoi c’est le rejet qui s’impose.
En glorifiant l’enseignant innovant on lui rend un mauvais service et on rend un mauvais service à l’institution. Nous nous trompons depuis des années, nous focalisons notre attention sur quelques individus quand c’est le système qu’il faut analyser. L’enseignant innovant est mort, que vive la structure innovante.
Si l’on veut innover, alors regardons où sont les équipes innovantes, celles qui savent collaborer, travailler de concert, savent intégrer l’interdisciplinarité comme vecteur de la réussite. Ne plus regarder son voisin de classe, son pair d’amphithéâtre comme un étrange étranger mais comme un allié précieux.
Si l’on veut innover, alors regardons où sont les chefs d’établissements innovants, ceux qui acceptent de prendre le risque de modifier les habitudes, les usages confortablement acceptés pour être tranquilles ; le chef d’établissement global, expérimentateur qui ose le dialogue horizontal en complément du nécessaire hiérarchique.
Si l’on veut innover alors regardons où sont les IEN / IPR innovants, ceux qui osent valoriser le savoir académique comme la compétence acquise et développée ; savoir encourager l’innovation sans qu’elle se fasse au prix d’un renoncement salarial.
Si l’on veut innover, regardons quelles sont les positions syndicales qui permettraient d’avancer dans le sens de l’innovation sociale.
Si l’on veut être innovant regardons du côté des collectivités locales qui engagent des politiques innovantes en osant imaginer des établissements adaptés aux modes collaboratifs et coopératifs.
Savoir intégrer la technologie pédagogique au-delà de l’acte d’investissement simple dans le registre du dialogue ordonnateur / comptable.
Si l’on veut être innovant regardons du côté des modifications structurelles qui pourraient être envisagées.
L’innovation pourrait tangenter vers la reconnaissance d’un temps numérique effectif dans les services, vers la reconnaissance d’un espace recomposé qui reconnaîtrait, à côté des espaces réels, les espaces numériques ; vers la reconnaissance des efforts engagés et des compétences acquises par les acteurs éducatifs.
Si l’on veut innover faisons en sorte que le continuum lycée université soit aussi une réalité pour les enseignants.
Osons donc penser l’innovation comme la préoccupation de chacun, à tout instant ; l’innovation oui mais pas seulement pour les enseignants.
Et si on en discutait plus avant ?
Plus d’infos : retrouvez tous les billets de JP Moiraud dans notre rubrique « Entre ingénieur et bricoleur, un espace à investir chez les enseignants » et sur son blog