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Appel à contributions Revue Tracés : Matières à jouer

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Les études consacrées au jeu se multiplient et étendent leur visibilité. Ce numéro de Tracés propose d’interroger ce thème, dans une perspective interdisciplinaire, sous l’angle de la matérialité. Il vise à penser les relations entre le jeu et le monde physique et sensible.

Malgré son importance dans toute expérience ludique, la matérialité a encore peu été explorée dans la littérature sur les jeux. En effet, le jeu a longtemps été pensé en dehors de son rapport aux matériaux, objets, interfaces et infrastructures techniques et à la corporéité – sans doute à la suite de travaux classiques mettant l’accent sur les questions normatives ou épistémologiques (Huizinga, 1938 ; Wittgenstein 1953 ; Henriot, 1989). Dans le champ spécifique des jeux vidéo, les qualificatifs de « virtuel » ou d’« immatériel » ont quant à eux longtemps relégué au second plan la dimension matérielle de ces jeux.

Le jeu peut être considéré comme une activité, un système de règles, un modèle de description de l’action ou des objets rattachés explicitement à une activité. Ce numéro est ouvert à l’étude de ces différentes acceptions du jeu dans leur rapport à la matérialité.

La matérialité est-elle nécessairement centrale pour penser le jeu ? Cette question générale peut s’appliquer à divers domaines où l’on retrouve des objets du jeu, aussi bien aux jeux traditionnels (ex. jeux de cartes), qu’aux jouets, aux jeux numériques, aux jeux de rôle, au sport, ainsi qu’à leurs éventuelles hybridations.

Les différentes investigations pourront étayer leurs conceptions du jeu en rapport aux méthodes de recherche mises en place. Nous proposons quatre axes de réflexion pour orienter ce questionnement.

1. Matérialité, activité et cadre de jeu

Cet axe interroge la construction d’un cadre pour l’activité de jeu qui peut avoir une dimension formelle, normative et/ou symbolique, mais parfois aussi matérielle. Les rapports entre les règles du jeu et les pratiques des joueurs sont aussi abordés, dans la mesure où ces dimensions s’appuient sur les éléments matériels du jeu.
Au niveau de l’interaction entre individu et collectif, le jeu se caractérise par l’engagement dans une action réglée mais aussi par une attitude, une disposition d’esprit particulière : les participants à un jeu se jugent mutuellement comme étant « en train de jouer ». Quels rôles joue la matérialité dans les formes d’engagement propres au jeu et la réflexivité qui peut en découler ?

D’un point de vue sociologique, on peut par exemple se pencher sur les coordinations sociales (Goffman, 1961) : comment les aspects matériels interviennent-ils dans la rencontre de jeu, le tracé des frontières de l’activité, les délibérations dont elles font l’objet en cas de désaccord ? Cela débouche-t-il sur une différenciation des joueurs suivant des hiérarchies, plus ou moins rattachées à la valorisation de certaines compétences ? Diverses intentionnalités marquent le jeu, de sa conception à sa prise en main par des joueurs.

Du point de vue d’un concepteur, comment suggère-t-on un usage à partir d’un matériel donné ? Quelles sont les réactions des joueurs et suscitent-elles des désaccords, voire des controverses ?

Certaines théorisations du jeu, dites formalistes, font des règles un préalable au jeu. D’autres comme la “théorie des jeux” en économie utilisent le jeu comme métaphore pour décrire diverses activités coordonnées. En quoi les notions de stratégie et d’équilibre, au fondement d’une modélisation du jeu fondée sur l’hypothèse de rationalité des acteurs, peuvent-elles être nourries d’une réflexion sur le rapport de ces acteurs aux cadres matériels de leurs actions ? Dans tous ces cas de figure, en quoi aborder la matérialité permet-il de repenser le rapport du jeu aux règles, voire de réexaminer certaines conceptions du jeu comme un modèle théorique ?

2. Matérialité et industries du jeu : implications politiques, économiques et juridiques

La matérialité joue un rôle dans l’organisation des industries culturelles, dans leurs dimensions historiques et politiques, mais aussi économiques et juridiques. En se focalisant sur les industries du jeu, on peut interroger le rôle pris par la matérialité dans la production, la distribution et la commercialisation des jeux, ainsi que dans le marketing et la publicité.

On pourra interroger les relations entre matérialité et production des objets du jeu, qu’elle soit industrielle, artisanale ou le fait de joueurs. On pourra également s’interroger sur le lien entre matérialité et caractère marchand des jeux. Les échecs qu’ont connus certains jeux pourraient être évoqués. À ces questions sont aussi liées celles de la privatisation et du droit d’auteur, comme dans le cas des « copyrighted subcultures » (Dayan, 1986) ou du brevetage du ludique.
D’un point de vue institutionnel, l’étude des modes de contrôles des jeux peut également être envisagée, dans une optique historique. Comment les pratiques de légalisation et d’illégalisation de certains jeux participent-elles de stratégies de contrôle social, éventuellement avec des visées politiques ? On peut penser au loto, aux tripots, ou encore au piratage de jeux vidéo… Quels liens existent entre la structuration d’une industrie du jeu et l’évolution des pratiques ludiques ? Ces questions posent aussi celles de la sanction des déviants et des contrefacteurs de jeux sous monopole d’une entreprise privée ou d’un État (Belmas, 2006).

Enfin, quelles nouvelles formes de matérialités sont impliquées dans l’industrie des jeux à l’ère numérique ? Dans quelle mesure passe-t-on par exemple, pour les jeux numériques, d’une économie de biens à une économie de services ? Cette interrogation amène à repenser la notion d’immatérialité et à redéfinir les conditions à partir desquelles on peut parler de matérialité pour ces objets.

3. Matérialité, représentations et images du jeu

Cet axe est dévolu aux aspects culturels, visuels et symboliques des jeux, dans leurs dimensions matérielles. Il aborde les dimensions visuelles et esthétiques des jeux, ainsi que les représentations sociales et culturelles dont ils peuvent être porteurs. Les relations entre la matérialité de ses composantes et les significations attachées au jeu peuvent être interrogées.

Ces relations peuvent être complexes : dans le cas, notamment, d’un jeu vidéo, la matérialité peut être associée à du « software » (logiciel de jeu, données informatiques sur l’activité du joueur) et du « hardware » (manette, clavier, processeur, disque dur, écran). Comment interroger la coupure qui existe dès lors entre les images interactives et les infrastructures matérielles qui les conditionnent ?

Certains objets peuvent également être représentés dans les jeux, notamment les “objets virtuels” dans les jeux vidéo, ou l’argent — des billets de Monopoly aux pièces d’or de Mario Bros ou de World of Warcraft : la portée de ces représentations pourrait faire l’objet d’approfondissements.

Dans une approche socioculturelle, Clifford Geertz avait initié une réflexion sur les représentations dans les jeux en étudiant le symbolique dans les combats de coqs et son rôle dans la société balinaise (1980). Les dimensions symboliques attachées aux activités de jeu peuvent ainsi être explorées. On peut également interroger le rôle des objets matériels aux “communautés de joueurs”, par exemple dans le sport, les jeux de rôle, les groupes de fans ou les « communautés virtuelles » (Reingold, 1993) associées aux jeux vidéo.

Enfin, l’usage du récit peut être questionné dans son rapport aux représentations, dans l’élaboration d’un monde fictionnel ou d’un récit pour le jeu : par exemple, dans les jeux traditionnels ou rituels, dans divers terrains ethnographiques, dans les jeux de rôle ou dans les jeux enfantins de “faire-semblant”, faisant appel aux narrations orales, mais aussi dans les jeux vidéo.

4. Matérialité et usage « non ludique » des jeux

Enfin, ce numéro veut aborder les situations où des finalités autres que l’amusement sont dévolues aux jeux, dans les pratiques rituelles, l’éducation, le monde de l’art ou l’entreprise, par exemple. Les valeurs ou les fonctions assignées au jeu peuvent varier d’un contexte à un autre, d’une société à une autre, en même temps que varie le degré de sérieux qui lui estattaché. Ce sont donc les limites et les définitions de cette activité qui peuvent être interrogées.
Dans le cas de l’archéologie, certaines traces matérielles ont pu donner lieu à des interprétations diverses des activités dont elles étaient le support, tour à tour ludiques, rituelles, topographiques ou autres… La démarche interprétative portant sur des pratiques de jeu à partir de données matérielles pourrait ainsi faire l’objet de contributions.

Dans les mondes de l’art, quelles relations existent entre les qualifications d’œuvre d’art et de jeu ? Quelles formes d’hybridité peuvent exister entre, par exemple, une installation d’art vidéo et un jeu vidéo ? Comment analyser la référence au jeu chez de nombreux artistes au fil de l’histoire ?

Ces questions rejoignent celle de la patrimonialisation et de l’organisation d’expositions (Davallon, 2000) sur les jeux. Qu’impliquent la collecte, puis la valorisation de jeux par des expositions dans un musée ? Quelles questions spécifiques pose, par exemple, la conservation patrimoniale des jeux vidéo et des jeux en ligne ?

On a aussi souvent pensé les usages « non ludiques » des jeux sous l’angle de l’éducation (Sutton-Smith, 1997) et aussi de la « gamification », c’est-à-dire d’utilisations de jeux comme moyen pour remplir une fonction utilitaire. C’est en particulier dans le monde de l’entreprise que l’on assiste à l’utilisation du jeu à des fins de marketing, de management ou comme un outil de formation et d’apprentissage, phénomènes qui peuvent aussi être interrogés à l’aune de leurs dimensions matérielles.

Bibliographie
Cette bibliographie reprend les ouvrages cités dans l’appel à contributions et n’est donc nullement limitative.
Belmas É., 2006, Jouer autrefois: essai sur le jeu dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle). Champ Vallon, Paris.
Dayan D., 1986, « Review essay: Copyrighted subcultures ». The American Journal of Sociology, n°91, p. 1219-1228.
Davallon, J., 2000, L’exposition à l’œuvre: stratégies de communication et médiation symbolique. L’Harmattan, Paris.
Geertz C., 1980, « Jeu d’enfer. Notes sur le combat de coqs balinais ». Débat (Le): Histoire, Politique, Société, n°7, p. 86-146.
Goffman E., 1961, Encounters: two studies in the sociology of interaction. Bob Merril, Indianapolis.
Henriot J., 1989, Sous couleur de jouer : La métaphore ludique. José Corti, Paris. Huizinga J., 1951 [1938], Homo ludens : essai sur la fonction sociale du jeu. Gallimard,
Paris. Reingold H., 1993, The virtual community. Addison-Wesley, New-York. Sutton-Smith B., 1997, The ambiguity of play. Harvard University Press, Cambridge. Wittgenstein L., 2004 [1953], Recherches philosophiques. Gallimard, Paris.

Modalités de soumission
L’appel à contribution a valeur de cadrage et permet la sélection des contributions en fonction de leur pertinence par rapport au thème et aux enjeux du numéro. Il a, en outre, vocation à suggérer aux rédacteurs potentiels quelques pistes générales de réflexion, et à leur rappeler que la revue Tracés attend un propos analytique et argumenté.

Articles
Les articles représentent des contributions originales à la recherche, qui suivent les normes habituelles de la production scientifique. Ils doivent tous se positionner par rapport à l’appel à contributions.
Différents types d’approches sont possibles, permettant de diversifier la manière d’aborder la thématique : nous accueillons tant des articles à vocation essentiellement théorique, que des contributions fondées sur des recherches empiriques, où les enjeux méthodologiques seront précisés et discutés.
Tracés étant une revue interdisciplinaire, les articles doivent pouvoir être envisagés cette perspective: ils doivent être compréhensibles et pertinents pour des lecteurs non spécialistes ; ils peuvent également faire appel à des méthodes et des références de plusieurs disciplines, ou interroger les présupposés ou les outils empiriques et théoriques d’une discipline à partir du point de vue d’une autre discipline.
Les articles soumis ne peuvent excéder 45 000 signes (espaces, notes, et bibliographie incluses).

Notes

Nous publions des notes critiques qui présentent un ensemble de travaux (éventuellement un ouvrage en particulier), une controverse scientifique, ou l’état d’une question actuelle. Elles doivent dans tous les cas se rattacher explicitement à la thématique du numéro et permettre d’éclairer des orientations de recherche ou des débats inhérents à cette dernière, notamment pour des lecteurs non spécialistes des disciplines concernées.
Les notes soumises ne peuvent excéder 30 000 signes (espaces, notes, et bibliographie incluses).
Entretiens
Des entretiens avec des chercheurs ou d’autres experts des questions étudiées sont également publiés dans chaque numéro. Les contributeurs qui souhaiteraient en réaliser sont invités à prendre contact directement avec le comité de rédaction (redactraces (a) ens-lyon.fr).

Traductions
Les traductions sont l’occasion de mettre à la disposition du public des textes peu ou pas connus en France et qui constituent un apport capital à la question traitée. Il doit s’agir d’une
traduction originale. Le choix du texte devra se faire en accord avec le comité de rédaction et les questions de droits devront être réglées en amont de la publication.
Il est donc demandé aux contributeurs de bien préciser pour quelle rubrique l’article est proposé.

Procédure
Les rédacteurs devront envoyer leur contribution à l’adresse suivante : redactraces@ens- lyon.fr avant le 15 juin 2014.
Les rédacteurs doivent informer préalablement le comité de rédaction de Tracés (redactraces@ens-lyon.fr) de leur projet par courrier électronique en indiquant le titre de leur contribution, la rubrique dans laquelle ils le proposent, ainsi qu’un bref résumé du propos.
Chaque article est lu est par un membre du comité de rédaction et par deux évaluateurs extérieurs. Nous maintenons l’anonymat des lecteurs et des auteurs. A l’aide de ces rapports de lecture, les coordinateurs du numéro rendent un avis sur la publication et décident des modifications à demander aux auteurs afin de pouvoir publier l’article.
Dans le cas de propositions trop éloignées de l’appel à contribution ou des exigences scientifiques de la revue, les coordinateurs se réservent le droit, en accord avec le comité de rédaction, de rendre un avis négatif sur la publication sans faire appel à une évaluation extérieure. Hormis ces exceptions, une réponse motivée et argumentée est transmise aux auteurs suite à la délibération du comité de lecture.

Nous demandons aux contributeurs de tenir compte des recommandations en matière de présentation indiquées sur la page suivante de notre site : http://traces.revues.org/index103.html

Les articles envoyés à la revue Tracés doivent être des articles originaux. L’auteur s’engage à réserver l’exclusivité de sa proposition à Tracés jusqu’à ce que l’avis du comité de lecture soit rendu. Il s’engage également à ne pas retirer son article une fois que la publication a été acceptée et que l’article a été retravaillé en fonction des commentaires des lecteurs.
NB : L’insertion d’images et de supports iconographiques est possible dans un nombre limité (Précisez-le dans votre déclaration d’intention).

Coordination
Natalia La Valle : natalialavalle@gmail.com, Barbara Turquier : b.turquier@gmail.com et Bruno Vétel : vetel@telecom-paristech.fr

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