Outil de dessin et de conception, l’usage de l’informatique est largement répandu chez les concepteurs et aménageurs de la ville. Cependant avec la combinaison de l’informatique et du numérique d’autres pratiques semblent émerger depuis peu en Île-de-France. Autour de pôles de compétitivités et impulsés par différentes institutions se développent des poches et réseaux de petites et moyennes entreprises qui, ensembles, sont assimilées à un « écosystème de l’innovation » par les acteurs qui les composent et les fédèrent. Alors que ce terreau singulier dépasse largement la question de l’aménagement urbain, en son sein, différents dispositifs tentent de mobiliser le numérique afin de permettre aux habitants de territoires définis par les emprises de projets d’interagir avec leur milieu. (Berque, 2000)
« L’urbanisme collaboratif » est une mouvance portée par Ufo, fondée sur les premières utopies du Web et un certain idéal de l’Internet (Cardon, 2005) qu’il s’agirait de mettre à l’œuvre dans les processus de conception de la ville. Cette jeune start-up issue du monde de l’architecture et labellisée par CapDigital est le lieu d’une observation de type ethnographique en cours depuis 2010. Elle commence a être reconnue pour sa conception d’interfaces qui agissent comme des véhicules vers un futur co-conçu en proposant des expériences qualitatives scénarisées adressées à des quantités relativement importantes d’usagers.
Partant d’une vision initiale du partage des savoirs et de l’enthousiasme de la constitution d’une intelligence collective, lors de la manipulation les dispositifs permettent aux utilisateurs de faire varier des curseurs d’intensités de thématiques urbaines prédéfinies pour voir les supports graphiques se modifier en temps réel et configurer l’option préférée de chaque participant. Les combinaisons de chacun sont ensuite rassemblées dans une base de données statistiques, via une plateforme de type réseau social. Ce principe de fonctionnement par choix quali/quantitatif est présent entre autres dans les projets « Villes sans limite » et « Evolving Cities » portés par ufo et qui seront les études de cas privilégiés pour mettre en relief les valeurs sociétales du Web transposée à la ville.
Entre gamification et serious game, la scénarisation du contenu est un enjeu fondamental dans la conception d’applications logicielles qui permettraient la mise en partage de la conception urbaine. En ce sens, observer la logique manipulatoire proposée à l’utilisateur de l’interface permettra de renseigner la façon dont celui-ci est perçu en tant que « co-concepteur » avec un jeu de compétences mobilisables en tant qu’habitant ou comme expert du territoire.
Ainsi en ouvrant sur d’autres exemples, cette communication se propose d’observer comment se construisent les figures des différents types d’acteurs qui façonnent la ville dans l’imaginaire des concepteurs de dispositifs numériques : concepteur, décideur, usager individuel et les géométries variables de groupes qui se font et se défont selon les protocoles d’usages de différents exemples d’interfaces. Conglomérat d’individus ou polis, la constitution d’un public (Dewey, 2003) bien que prétendument facilitée par ces outils semble en fait avoir gagné en complexité par le truchement des degrés d’implication possibles des usagers : informer, permettre d’informer, mettre la conception en partage…
Autant de modes participatifs (Zask, 2011) qui combinent et recombinent les relations et les rôles. Selon quelles modalités est-ce que la réalité des pratiques du numérique permet la mise en dialogue des différents acteurs qui composent la ville ? De l’intention sociétale initiale à l’expérience individuelle puis à la construction d’un discours collectif, comment ces dispositifs recomposent-ils les paroles récoltées et ainsi le « faire communauté » qui était à l’origine même de leur émergence ? (Agamben, 1999) Alors que certains auteurs décrivent une crise multiple de la représentation comme légitimité des modalités de la constitution d’un public autour d’un objet d’attention ainsi que comme processus par lequel est rendu visible l’objet d’attention à l’assemblée concernée (Latour, 2005) par quels moyens ces dispositifs permettent-ils la mise en place de processus de démocraties participatives et/ou directes à travers les filtres de leurs protocoles d’usage et de la nécessaire mise en représentation des récits récoltés ?
### Biographie
Bibliographie indicative
– BRETON, Philippe. Le culte de l’internet. Une menace pour le lien social?. Paris : La Découverte, 2000
– CARDON, Dominique. La démocratie Internet, promesses et limites. Paris : Seuil, 2010, pp.102
– CASILLI, Antonio A. Les liaisons numériques : Vers une nouvelle sociabilité ? Paris : Le Seuil, 2010, 331 pp. Coll. La couleur des idées.
– DEWEY, John, Le public et ses problèmes, traduction et introduction J. Zask, Pau : Farrago / Léo Scheer, 2003
– HOUDART Sophie et MINATO Chihiro, Kuma Kengo, une monographie décalée, Paris, éditions Donner Lieu, 2009
– HOUDART Sophie (2006), « Des multiples manières d’être réel. Les représentations en perspective dans le projet d’architecture », Terrain, n°46 pp.107-122
– LATOUR Bruno, La science en action, Paris, La Découverte, 1989
– LATOUR Bruno et WOOLGAR Steve, La vie de laboratoire – la production des faits scientifiques, Paris, La découverte, 1993
– LATOUR, Bruno, et WIEBEL, Peter, Making things public :Atmospheres of Democraty, Cambridge : The MIT Press, 2005
– WOLTON, Dominique. Internet, et après ? Une théorie critique des nouveaux médias. Paris : Flammarion Poche, Collection Champs, 2010.
– YANEVA Albena, The making of a building, a pragamatist approach to architecture, Peter Lang Editor, 2009
– ZASK, Joëlle. Participez. Essai sur les formes démocratiques de la participation. Paris : Le Bord de l’eau, 2011
Plus d’infos sur le programme du colloque scientifique LUDOVIA 2013 ici