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Les étudiants ne sont pas des mutants !

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Cela vaut aussi pour les étudiants qui ne sont pas les mutants numériques que l’on se laisse aller à imaginer parfois, lorsqu’on les assimile à des « agents » d’une révolution sociétale à l’œuvre.

Cela semble évident… Et pourtant, nous sommes imprégnés depuis une dizaine d’années maintenant des discours sur la faillite du système scolaire qui échouerait à intégrer les technologies numériques et sur l’écart grandissant entre la société et l’école, qui contribuerait à expliquer le décrochage dans le secondaire et l’échec en premier cycle… !

Au fondement de ces discours, on retrouve toutes les analyses sur cette génération d’abord dite Y (parce qu’elle succédait à la génération X, qui elle même suivait la génération W), maintenant couramment nommée C parce qu’elle Crée, Communique et Collabore.

Les premiers travaux sont américains et remontent à la fin des années 1990. Certains ont connu – et connaissent encore – une fortune réelle, bien au-delà des frontières imposées par l’Atlantique ; ceux de Mark Prensky en particulier avec son incontournable formule opposant digital natives (les natifs du numérique) et digital immigrants (les migrants du numérique).

Tous ces travaux s’appuient sur une argumentation binaire distinguant les pratiques (naturelles) de ceux nés dans les années 1980 et après, des pratiques adoptées (ou non) par ceux plus âgés qui n’ont pas été exposés aux technologies numériques dès leur naissance.

Peu questionnée de prime abord, cette argumentation générationnelle est aujourd’hui soumise à l’examen de nombreuses études empiriques, dont nous allons tenter de rendre compte ici brièvement.

Les étudiants sont-ils techno-compétents parce qu’ils utilisent beaucoup les TIC ?

La réponse est facile, c’est non.
Plusieurs éléments d’explication sont avancés. D’abord, les usages développés par les jeunes sont essentiellement de nature récréative : ils utilisent les TIC pour communiquer avec leurs proches (familles et pairs) et plus occasionnellement pour approfondir leurs centres d’intérêt ; les garçons jouent en ligne, les filles investissent davantage les réseaux sociaux.

D’autres facteurs que le genre battent en brèche ces représentations d’une génération homogène : l’âge bien évidemment, car les lycéens, les néo-étudiants et les étudiants de 3e cycle ont des pratiques de loisirs différenciées, et aussi l’environnement culturel, car les jeunes Québécois sont de faibles consommateurs de SMS comparés aux Américains, tandis que les Français sont plus amateurs de blog que leurs homologues européens.

Ces usages récréatifs sont quantitativement plus importants que les usages académiques et augmentent plus vite, grâce notamment à l’essor des équipements mobiles et à la convergence entre téléphonie et réseaux sociaux.

Mais ces usages sont ceux du temps libre et nombre de lycéens et d’étudiants ne souscrivent pas à l’idée que l’institution doit les solliciter dans ces espaces « extimes » qui sont les leurs.

Quoi qu’il en soit, la quantité ne fait pas non plus la qualité. L’observation met au jour des pratiques souvent peu spectaculaires. Une minorité d’étudiants développe des usages avancés et se montre pro-active dans l’adoption de nouvelles technologies ; elle joue finalement un rôle de prescripteur en œuvrant à la régénération des normes sociales. Mais la majorité reste silencieuse : il y a plus de followers que de leaders

La plupart des typologies montre qu’un étudiant sur deux a des usages vraiment basiques, qui relèvent essentiellement de la réception : dans sa boîte à outils, on trouve Google, Facebook, YouTube et Wikipedia, point final ! Les usages impliquant une production, même mineure, sont rares ; les routines sont parfois profondément ancrées et s’apparentent plus à un appauvrissement du social qu’à une augmentation des possibilités humaines ; Jean-Michel Besnier parle d’« homme simplifié ».

Autrement dit, les potentiels d’usage accentuent les inégalités : ce n’est pas tant l’existence de telle ou telle technologie qui impacte les valeurs et les attitudes que ces dernières qui influencent son usage.

La différence se fait moins sur le fait d’être équipé ou pas : les étudiants sont de plus en plus nombreux à posséder un ordinateur portable par exemple. La fracture numérique s’est donc déplacée, elle n’a pas disparu.
Les inégalités résident désormais davantage dans la nature et la qualité des équipements et dans l’amplitude et l’intensité des usages. On ne naît donc pas agile avec les technologies, on peut le devenir… ou pas.

Les étudiants sont-ils critiques vis-à-vis des enseignants qui utilisent peu les TIC dans leurs cours ?

La question paraît d’emblée moins évidente, mais là encore, il convient de répondre par la négative. Toutes les recherches empiriques montrent une préférence constante des étudiants pour un usage modéré des technologies numériques. Ils sont généralement satisfaits des fonctionnalités de communication et d’accès aux ressources fournies par les plateformes pédagogiques, et plébiscitent sans ambiguïté le côté « pratique ».

Mais une technologie n’est pas identifiée comme un besoin pour les études et il n’y a pas de demande naturelle des étudiants pour plus de web 2.0, plus de blog, plus de wiki, plus de mondes virtuels, etc. En fait, ils imaginent difficilement des configurations différentes de celles qu’ils ont toujours connues, surtout au début de leurs études supérieures.

Ainsi, ils ne souhaitent pas que les cours à distance, perçus comme adaptés aux apprentissages solitaires, remplacent les cours en présence, ni que les cours magistraux soient supprimés. Ils sont en revanche demandeurs de ressources à utiliser en autonomie et de méthodes pour être plus efficaces dans leur travail. Ils sont critiques, non pas quand les enseignants n’utilisent pas les TIC, mais quand ils les utilisent mal… et trouvent que ces derniers ont souvent une vision trop partielle des dispositifs numériques.

En définitive, la technologie ne garantit pas la qualité d’un cours à leurs yeux, son adoption doit être évidente ou ne pas être… La qualité est donc ailleurs : dans la cohérence du cours (et des cours) et dans l’expérience vécue en cours, en particulier dans la communication avec les enseignants et entre pairs.

Bien qu’ils tendent (et que nous tendions aussi) à surestimer leurs compétences, cette « présomption de compétences » évoquée par Michel Serres doit être relativisée. Les difficultés se cristallisent souvent autour de deux points : on observe des lacunes importantes pour tout ce qui concerne l’évaluation de l’information (effet « vu dans Google ») et une appréhension superficielle des questions de plagiat, de droit d’auteur et d’identité numérique.

Mais les pratiques d’études n’ont pas évolué radicalement ces dernières années : le temps consacré aux études en dehors des cours reste faible, même si les technologies induisent un investissement plus chronophage.

Les étudiants prennent par ailleurs assez peu d’initiatives : ils étudient comme on leur dit qu’il convient d’étudier : la dépendance à la consigne est démontrée dans plusieurs travaux et il est désormais tout-à-fait prouvé qu’ils ne savent pas spontanément tirer profit des opportunités en termes de flexibilité (temps) et de mobilité (espace).

Autrement dit, les pratiques d’études sont largement conditionnées par les exigences académiques. La question du poids de la discipline mériterait sans doute d’être creusée.

Parallèlement, aucune recherche ne met de façon probante en évidence l’apparition de nouveaux styles d’apprentissage. Les processus cognitifs ne semblent pas encore profondément impactés, même si les stimulations extérieures modifient effectivement l’activité des zones du cerveau.

Les travaux sur la mémoire montrent que les étudiants se souviennent désormais plus aisément du « où et quand » ils ont accédé à telle information, plutôt que de l’information elle-même. Mais leur mémoire de travail reste limitée : le multitâche est opérant quand les tâches ne sont pas réellement en concurrence, c’est-à-dire dans une configuration où des tâches mineures sont juxtaposées à une tâche majeure.

On observe également un affaiblissement de l’intelligence verbale au profit de formes d’intelligence plus visuo-spatiale. Mais les cerveaux de nos étudiants n’ont pas muté dans les dix dernières années… Il suffit, pour s’en convaincre, d’analyser les pratiques numériques de lecture et d’écriture. La prise de notes reste une difficulté majeure en première année et peu d’étudiants utilisent leur ordinateur portable.

De même, la lecture sur écran, plus exigeante car elle oblige à être sélectif, à choisir son chemin via les hypertextes, à exercer son esprit critique, n’est pas innée. La littératie numérique n’est pas un prérequis : c’est un objectif à atteindre.

Quels enseignements tirer de ces travaux ?

Remettre en cause l’existence de cette génération internet, c’est réintroduire de la complexité là où on se contentait jusqu’alors de réifier les pratiques numériques et d’opposer celles des étudiants à celles des enseignants. Mais ces décalages de représentations ne sont pas irréversibles, ils sont d’ailleurs beaucoup moins marqués dans les pays d’Europe du Nord et en Allemagne, que dans les pays du Sud de l’Europe.

Et les étudiants ne sont pas fermés au changement, comme l’a montré une enquête récente de la CRÉPUQ : ils réagissent positivement quand le cours offre des défis intellectuels intéressants, quand les exposés magistraux sont utilisés à bon escient, quand les ressources proposées sont pertinentes, quand l’évaluation fait sens par rapport aux savoirs et aux compétences sollicités pendant le cours, etc.

Pour faire évoluer sa pratique pédagogique, il ne s’agit pas de s’interroger sur comment utiliser telle ou telle technologie, il s’agit bien de faire bouger ses représentations : cesser de raisonner en termes de déficit et s’affranchir des discours communs sur la génération internet qui, s’ils peuvent permettre de penser l’avenir (en fait on n’en sait rien), sont inopérants pour nous aider à comprendre et à agir dans le présent.

Non, les étudiants ne sont pas naturellement agiles avec les technologies numériques !

Oui, les enseignants peuvent (re)prendre le contrôle en misant sur la pédagogie.

Il n’y a pas d’urgence à changer radicalement de pédagogie ; mais l’institution se doit de fournir aux enseignants un cadre structurant propice pour qu’ils renforcent leurs capacités (empowerment) individuellement et collectivement. Et les enseignants se doivent, non pas de transmettre un savoir, car d’un certaine façon, avec l’internet, il est déjà transmis, comme le dit si bien Michel Serres ; il leur revient en revanche de créer les conditions favorables à l’apprentissage et d’orchestrer ces opportunités.

Source : Par Laure Endrizzi, Chargée d’étude et de recherche au service Veille et Analyses, Institut français de l’Éducation (ENS de Lyon)

Lien article : www.unisciel.fr/les-etudiants-ne-sont-pas-des-mutants/

 

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