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Ludifier pour encourager des interactions épistémiques

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Une vision brousseauiste de l’éducation conduit à considérer que l’apprentissage résulte des interactions qui se nouent entre un apprenant et un milieu didactique (Brousseau, 1998). Ce milieu didactique comprend des éléments matériels, symboliques et humains. Ainsi l’élève apprend en interagissant avec des artefacts, avec l’enseignant et avec ses pairs. Cette interactivité n’est pas une propriété intrinsèque aux artefacts mais la propriété émergente d’un dispositif socio-technique (Dumas, 2010).

Ainsi, les situations à visée d’apprentissage sont des dispositifs socio-techniques et, pour un enseignant, élaborer de tels dispositifs implique d’identifier les éléments à prendre en compte pour que des interactions épistémiques émergent. Une façon de le faire consiste à considérer comme centrale la question du plaisir ressenti en ludifiant la situation d’apprentissage. Cette ludification aura des effets positifs sur la dévolution du problème, l’engagement des élèves dans sa résolution, l’estime de soi et, par là même, sur la genèse d’interactions au sein de la situation. Cette ludification conduit à élaborer des jeux que nous qualifions de jeux épistémiques numériques (Sanchez & Jouneau-Sion, forthcoming) en raison d’une part de leurs visées éducatives et, d’autre part, du rôle important que jouent les technologies numériques pour leur réalisation.

Le projet JPAEL est un projet de recherche financé par le Conseil Supérieur de la Recherche Humaine du Canada. Il vise à caractériser les interactions qui se nouent dans le cadre d’un jeu multijoueurs en ligne. Ce jeu de rôle consiste, pour des élèves français et québécois qui interagissent à distance via une plateforme, à élaborer la solution énergétique durable qui sera sélectionnée pour équiper leur territoire. Ainsi, des « entreprises » collaborent avec leurs homologues outre-Atlantique et concourent pour remporter « l’appel d’offre » lancé par des « élus locaux ». Le processus se déroule sous l’œil vigilant de « citoyens » qui s’assurent que les solutions proposées sont innovantes et acceptables d’un point de vue technique et humain. La situation constitue une situation-problème non déterministe, authentique et complexe impliquant une approche interdisciplinaire et l’élaboration collaborative de solutions négociées.

La première phase du projet de recherche a permis de faire le point sur les éléments à prendre en compte pour que se mettent en place des interactions épistémiques. Ces éléments renvoient à différentes dimensions qui constituent autant de facettes d’un plaisir ressenti : plaisir de se sentir compétent et en mesure de réussir, plaisir d’être autonome et libre de ses choix, plaisir d’établir des relations sociales et plaisir de faire des découvertes.
Notre communication nous permettra de présenter le projet de recherche du point de vue des cadres théoriques qui sont convoqués, de la problématique, de la méthodologie mise en œuvre et des résultats qui concernent les questions de conception.

Note de positionnement scientifique.
Section CNU : 70ème section
La méthodologie du projet de recherche articule deux approches. L’une relève d’un travail collaboratif avec les enseignants (de type Design-Based Research), l’autre conduit à exploiter les traces numériques laissées par les élèves sur la plateforme (traçage numériques des apprenants).

– Pour analyser les choix de conception des équipes pédagogiques et afin d’évaluer l’impact de ces choix sur le processus d’apprentissage, nous adoptons une méthodologie de type Design-Based Research (Wang & Hannafin, 2005) selon laquelle le dispositif expérimental évolue en fonction des résultats de recherche obtenus. Il s’agit de mesurer les écarts observés entre les tâches prescrites par l’enseignant et l’activité des élèves afin de faire évoluer les situations. Nous pilotons ainsi deux séries d’expérimentations conduites par deux équipes d’enseignants (E) au cours des deux années successives du projet. Chaque équipe est constituée de 4 enseignants du secondaire (8 au total) faisant interagir deux classes d’élèves (4 au total dont 2 au Québec et 2 en France). Les enseignants français et québécois sont jumelés pour élaborer une situation de jeu en ligne. La conception des situations est réalisée en utilisant une plateforme numérique. Ce prototype évolue en fonction des besoins des équipes pédagogiques. Le choix de conduire le projet avec deux équipes pédagogiques est motivé par le souci d’avoir une approche comparative et d’identifier des éléments communs en faisant abstraction, autant que possible, des éléments contextuels (choix de la thématique, composition de l’équipe pédagogique, élèves impliqués…).

Les données recueillies sont issues des échanges qui ont eu lieu lors des rencontres des membres de l’équipe (enseignants et chercheurs). Chercheurs et enseignants concertent quant aux choix pour la conception des situations de jeu. Ces choix de conception sont consignés lors des rencontres. Chaque année, pour chaque série d’expérimentations, un premier focus groupe impliquant les deux équipes pédagogiques permet de comparer les approches retenues et de discuter des impacts de ces choix. Les notes prises lors de ces rendez-vous permettent ainsi de lister les éléments de conception qui ont paru pertinents aux deux équipes. Un second focus groupe, après expérimentation, est un moment aux cours duquel les matériaux recueillis (traces numériques d’interaction sur la plateforme, productions des élèves, enregistrements vidéo) et les premières analyses qui ont été effectuées sont discutés afin d’en évaluer la pertinence. Les éléments recueillis lors des focus groupes, au terme de la première année d’expérimentation, viennent nourrir le processus de conception de la seconde série d’expérimentations.

– Pour modéliser les interactions qui se développent dans le cadre de jeux multijoueurs en ligne, nous recueillons des traces numériques d’apprentissage. Par trace numérique d’apprentissage, nous entendons « l’association d’une collection d’observés temporellement situés structurée par leurs relations et d’un modèle explicite de cette collection » (Laflaquière, Prié, & Mille, 2008). Il s’agit de rendre compte de l’histoire interactionnelle de l’activité et donc de l’aspect dynamique de l’apprentissage. Ce recueil est facilité par le fait que l’ensemble des interactions des joueurs-apprenants physiquement distants, passe par la plateforme numérique. Le prototype que nous avons développé pour un projet en cours permet déjà le recueil automatique de ces traces. Nous définissons un modèle explicite de recueil et d’analyse basé sur celui de Perry (Perry, 1970) et de Belenky et al. (Belenky, Clinchy, Goldberger, & Tarule, 1986) qui décrivent différents niveaux de développement de la posture intellectuelle. Ceci nous permet de définir les indicateurs de l’analyse de notre corpus. Ce recueil des traces numériques d’apprentissage vise ainsi à établir un modèle comportemental des élèves, à déterminer les stratégies qu’ils adoptent, à décrire leurs activités dans le cadre du jeu auquel ils participent. Il s’agit également d’accéder à la modélisation épistémique des élèves (Wenger, 1987), et de rendre compte du processus de construction des connaissances.
Les données issues des traces numériques d’apprentissage sont complétées à l’aide d’enregistrements vidéo réalisés en classe.

Source : Eric Sanchez, EducTice-S2HEP EA 4148/IFE/Ecole Nationale Supérieure de Lyon, France

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