POINT DE VUE

L’école face à la révolution numérique: le discours de la méthode.

Au nom de leurs visions respectives sur l’école, les nombreux ministres de l’Education Nationale n’ont eux-mêmes cessé, depuis 30 ans, de secouer l’Education Nationale.

Pour l’un, la clé est dans l’apprentissage de la lecture. Pour l’autre, c’est le soutien individualisé. Pour un troisième, il s’agit de la motivation des professeurs, du nombre d’élèves par classe, du rythme scolaire ou bien encore de la quantité de graisse disponible sur le mammouth.

Tout y passe, donc. Mais quel est le point commun entre ces différentes « visions » ? C’est que vraies ou fausses, elles ne sont pas fondées. Elles ne s’appuient pas sur des faits scientifiquement prouvés mais sur des a priori, des préventions, selon le terme employé par Descartes.

« Considérant combien il peut y avoir de diverses opinions touchant une même matière, qui soient soutenues par des gens doctes, sans qu’il y en puisse avoir jamais plus d’une seule qui soit vraie, je réputais presque pour faux tout ce qui n’était que vraisemblable ».

« C’est pourquoi, dit Descartes, s’adressant à nos ministres avec presque 400 ans d’avance, je ne saurais aucunement approuver ces humeurs brouillonnes et inquiètes, qui, n’étant appelées ni par leur naissance ni par leur fortune au maniement des affaires publiques, ne laissent pas d’y faire toujours en idée quelque nouvelle réformation ».

La méthode expérimentale qu’invente Descartes dans le Discours de la méthode n’est pas une théorie scientifique, mais bien une façon de trancher entre les théories (par l’expérience) et d’avancer dans la découverte scientifique (en divisant un problème d’apparence complexe en plusieurs problèmes plus simples).

A partir de Descartes, le progrès scientifique est continu quel que soit le rythme des découvertes. Même la reconnaissance qu’une idée est fausse constitue souvent un progrès utile. Ainsi, si je prends le cas de l’équipement numérique des écoles, aucune étude sérieuse n’existe sur le bénéfice que les élèves peuvent retirer de cet équipement. Soit, donc, cet équipement est inutile, auquel cas des budgets peuvent être dégagés pour d’autres investissements plus intéressants, soit il est utile et il importe alors de dire en quoi il est utile, de dégager son cadre d’utilisation, les usages optimaux, les matières où il doit être utilisé, etc.

Jusqu’à aujourd’hui, la méthode décrite par Descartes est restée quasiment inapplicable dans l’enseignement pour deux raisons principales :

La complexité de la validation de la théorie : à l’opposé des sciences exactes où des expériences ont souvent pu rapidement déterminer la validité d’une théorie, valider une théorie portant sur la pédagogie nécessitait jusqu’à présent des évaluations lourdes, coûteuses, longues et complexes. En conséquence, ces évaluations ne pouvaient être réalisées qu’en petit nombre et ne pouvaient réellement influencer la politique des états, la durée de l’évaluation étant en général nettement supérieure à la longévité du Ministre.

Le flou des critères : là où, dans les sciences exactes, les critères sont mesurables et le plus souvent accessibles à l’expérience, les données à observer sont complexes à définir dans le cas de l’enseignement. Comment juger avec certitude le niveau d’un élève ? la qualité d’un professeur ? D’une méthode ? Ces termes mêmes ont-ils un sens ? Et si on peut apporter un début de réponse – ou une réponse imparfaite – aux questions précédentes, comment observer de façon quantitative que « l’enfant est bien dans sa peau à l’école », ce qui lui permet « d’exprimer sa créativité », comme le préconisent certains courants ?
Or, il se trouve que deux développements scientifiques récents vont permettre d’appliquer la méthode expérimentale à l’école.

Bien qu’intimement liés à la révolution numérique en cours, ils n’ont jamais, à ma connaissance, été mis en relation. Les progrès qu’ils permettent d’envisager sont immenses. La pédagogie scolaire, presque figée depuis le temps d’Aristote qui a inventé simultanément le cours magistral, les petites classes et la ressource documentaire, va pouvoir suivre un chemin d’amélioration permanent, continu et observable, comparable à celui que la science a suivi  depuis l’écriture du Discours de la méthode.

Le premier est la méthode d’évaluation aléatoires mise au point par une chercheuse français, Ester Duflo.

Le second est l’avènement des « big data » autrement dit la possibilité d’utiliser des masses de données d’information récoltées sur les élèves. Ces données sont aujourd’hui exclusivement utilisées pour des besoins publicitaires par des sociétés telles que Facebook ou Google. Or elles peuvent aussi être utilisées de façon décisive pour améliorer l’enseignement.

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