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Mieux comprendre les enjeux de la Smart City avec l’EPITA

Le mardi 31 janvier 2017, l’EPITA organisait une grande conférence sur la thématique de la Smart City. Animée par le journaliste Cédric Ingrand elle réunissait plusieurs personnalités intéressées par ce concept de la ville nouvelle : Eric Charreyron, directeur de la prospective chez Keolis, Jérôme Coutant, responsable numérique au sein de la direction de la valorisation du patrimoine de la Société du Grand Paris, Jean-Luc Estienne, directeur de STMicroelectronics Montrouge, Carlos Moreno, scientifique humaniste, expert international sur le sujet et envoyé spécial de la Maire de Paris sur la question de la Smart City ainsi qu’Emmanuel Schneider, Country Digitization Acceleration Director à Cisco.

En préambule à une table-ronde réalisée en compagnie des différents invités, la parole a été donnée à Carlos Moreno.

Très heureux d’être présent à l’EPITA, école où il a pu donner des cours par le passé et recruter des collaborateurs pour son ancienne activité entrepreneuriale, ce penseur de la Smart City en a profité pour rappeler les enjeux d’un tel projet de vi(ll)e.

« Ma vision de la problématique urbaine est simple : il n’y a pas de modèle défini. En effet, chaque ville possède son propre contexte. D’ailleurs, les villes sont vivantes : chacune se développe avec son propre métabolisme urbain. Or, on a du mal à connaître ces métabolismes. Pour les comprendre, il faut se plonger dans les villes, leur histoire, leur évolution, leurs besoins. Surtout, il faut bien avoir en tête qu’on est dans la ville pour vivre et avant tout partager. C’est l’essentiel. Améliorer une ville, en la faisant devenir intelligente, c’est donc mettre l’humain et ceux qui partagent ce territoire au centre des préoccupations. Ce sont des projets politiques, sociétaux, culturels : on façonne une ville en fonction de ce que nous voulons donner à ses habitants. »

L’ère des mégalopoles

Pour l’expert, le sujet de la Smart City coïncide aussi avec une prise de conscience sur l’environnement (« Ces derniers mois, nous avons tout de même vécu l’accord de la COP 21, la COP22 à Marrakech et la tenue de la conférence Sustainable Developpement Goals avec un accord mondial sur le développement durable »), mais surtout la nouvelle place occupée par les métropoles au 21e siècle.

« Le monde a changé. En 70 ans, nous sommes passés de 2 à 6 milliards d’habitants. Des villes comme Tokyo, Mexico, Bali et Jakarta possèdent chacune environ 30 millions d’habitants. D’autres, comme Canton et Shanghai sont plus proches des 50 millions d’habitants. Désormais, une région mégalopolitaine équivaut à un pays : le PIB d’une ville pouvant même être supérieur à celui de l’État. Si le 20e siècle était le siècle des nations et qu’avant, c’était le temps des empires, le 21e siècle sera celui des villes et métropoles. Ces dernières deviennent des points de repère, des remparts, et rentrent désormais dans une course d’attractivité entre elles. »

Évidemment, Carlos Moreno n’oublie pas non plus l’évolution technologique, avec en premier lieu l’hyper connectivité, renforcé par l’essor de l’Internet of Things, qui bouleverse les habitudes.

« Les gens n’ont plus besoin de se déplacer pour acquérir des connaissances. Cela change la donne en matière d’innovation et de développement. »

« Ce phénomène ubiquitaire, associé au phénomène urbain, amène une nouvelle dimension : certaines villes du Sud n’ont plus à envier d’autres villes du Nord. Cela change aussi le rapport entre gouvernants et gouvernés. Les règles du jeu de la vie urbaine ont changé. »

Vers la Happy City

La Smart City qui arrive devra donc savoir relever de nombreux défis, pas seulement technologique (mise en œuvre des solutions, choix des outils), écologique (augmentation des émissions de CO2 et qualité de l’air, stress hydrique…) et sanitaire (nouvelles maladies urbaines, gestion des canicules).

« Il faut une convergence de cohésion sociale, pour mieux vivre ensemble. Cela passe également par la réinvention des infrastructures urbaines : suppression du diesel, créations de parcs, d’espaces verts, d’espaces publics et penser les nouveaux paradigmes de la mobilité. Pour passer de la Smart City à la Happy City, il faut garantir la sécurité, la santé, l’accessibilité, la prospérité, la sociabilité connectée, une vie culturelle à la hauteur… »

Un bon exemple selon Carlos Moreno ? Le concept de ville nouvelle imaginé par Rob Adams et Boyd Cohen (voir ci-dessous).

Électronique et données au cœur du processus

Organisée à la suite de l’intervention du scientifique, la table-ronde a permis d’entendre d’autres points de vue sur ces villes d’un autre genre.

Pour Jean-Luc Estienne, l’aspect technologique de la Smart City s’associe à d’autres approches intelligentes destinées à transformer l’environnement, comme le smart driving, le smart grid ou les smart industries. Fort de l’implication de STMicroelectronics sur ces questions, l’invité a estimé que ces avancées ne pouvaient se faire sans l’apport de l’électronique et ses quatre piliers fondateurs : le calcul des données, le traitement de l’énergie, le développement des capteurs et l’inter-connectivité.

« Pour donner lieu à la Smart City, il faut être pragmatique, rester très agile et ne pas se freiner car, en France, on est très fort pour trouver des raisons pour ne pas agir, précisait-il. Surtout, il faut qu’on applique ces solutions chez nous afin de pouvoir ensuite les proposer à l’international. Si la France les utilise elle-même, cela représente un gain de crédibilité, un gage de sérieux. »

Selon Emmanuel Schneider, la clé réside dans la capacité à exploiter les données récoltées au sein de la métropole.
« Pour traiter ces données, il faut aussi tout repenser. Désormais, on imagine de pouvoir les traiter de partout, directement depuis nos vélos, nos voitures… Un autre aspect important est celui de la sécurité informatique. C’est un enjeu capital. »

Pour le représentant de Cisco, les mégalopoles ne sont pas les seules concernées par cette tendance de la cité augmentée. « Comme on commence à atteindre un niveau de maturité sur les solutions, notamment en matière de cloud, cela devient également abordable pour les villes plus petites souhaitant se lancer dans cette aventure. »

Enfin, cette révolution ne pourra pas se faire sans l’accord et la volonté des habitants qui, faut-il le rappeler, en seront les acteurs et les premiers bénéficiaires.
« La technologie peut aider l’aménagement urbain. Prochainement sera lancée une expérimentation sur une grande place de Paris, la place de la Nation, pour justement voir comment les habitants, riverains et travailleurs s’approprient un lieu, l’utilisent. De toute façon, nous avons besoin d’idées : nous passons d’un monde très « technopush » – on a une solution à vos problèmes – à une participation active des citoyens afin de créer de nouvelles solutions. »

Une évolution à visage humaine

L’intégration du riverain-utilisateur et de ses habitudes est au cœur même de la réflexion menée par la Société du Grand Paris et les services de Jérôme Coutant.
« Le simple fait de créer un réseau de transport pour rallier une banlieue à une autre banlieue de Paris, c’est déjà une innovation qui va contre la construction radiale longtemps pratiquée en France, estimait l’intervenant. Le mot « transport » fait désormais place au mot « mobilité » : on ne prend plus un seul transport, mais plusieurs. »

Quant à la place du numérique dans un projet tel que celui du Grand Paris, elle doit être pensée « dès la construction du réseau, comme avec, par exemple, l’implémentation de la fibre optique ou imaginer l’insertion de capteurs de toute sorte. Il faut rendre possible la révolution numérique, qui ne cessera pas d’accélérer, de manière collaborative avec des opérateurs télécom, des industriels, des acteurs du transport, de grands acteurs de la ville, de l’énergie, etc. »
Enfin, pour Eric Charreyron, la construction de la Smart City ne doit pas se faire en se focalisant uniquement sur certaines pratiques.
« Il y a le côté technique et le côté réflexion globale. Par exemple, on ne parle jamais de la marche à pied, sous-estimée, alors que c’est le moyen de déplacement le plus « démocratique », dans le sens où c’est celui du plus grand nombre. Ainsi, 40 % des déplacements sur la région parisienne se font sur moins d’1 km ! »

Le risque principal serait surtout d’oublier plusieurs pans de la population.
« Oui à la Happy City, doit mais pour tout le monde et pas que les habitants des grandes villes ! Aujourd’hui, on gère les villes comme des flux. Pourtant, il y a des personnes derrières ces flux et on ne les voit pas ! Il faut donner du sens aux données et éclairer les collectivités pour permettre aussi d’individualiser les raisonnements. Sans cela, impossible de renforcer l’inclusion sociale, d’intégrer les gens. Il faut enfin s’imprégner de la diversité des citoyens, des vécus. Il connaître les gens. Tous n’ont pas tous la même appétence pour la technologie. En France, 20 % de gens sont encore offline en 2017. D’autres ne possèdent pas de smartphone ou en ont un usage très limité. Il faut arriver à penser cette différence et permettre à ces gens de s’exprimer, pour répondre à des attentes très diverses. Si j’ai bien un conseil à donner aux futurs ingénieurs qui travailleront sur la Smart City, c’est celui-ci : n’oubliez pas l’invisible ! »

 

Source : EPITA

Légende photo :
De gauche à droite : Emmanuel Schneider, Jean-Luc Estienne, Carlos Moreno, Jérôme Coutant et Eric Charreyron

 

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