Une approche sociocritique du numérique en éducation : appel à propositions
Le numérique en éducation constitue un domaine de recherche dans lequel les disciplines s’articulent plus ou moins étroitement les unes aux autres depuis la conception d’environnements numériques d’apprentissage jusqu’à l’étude des usages numériques éducatifs (Baron, 2014). Ce colloque international de l’Université de Sherbrooke les 15 et 16 mai s’inscrit dans cette dernière thématique et souhaite donner un aperçu de l’intérêt d’une approche sociocritique à cet égard.
Thématique
À l’origine de cette approche se trouve le constat que l’étude des usages numériques éducatifs s’est principalement articulée autour de l’enseignement et de l’apprentissage en contexte institutionnel (Bayne, 2014; Erstad et Arnseth, 2013; Ito et al., 2013), notamment en vue d’en mesurer l’impact (Eynon, 2012). Sans remettre en cause la pertinence de ces études, un nombre croissant de chercheurs appelle à appréhender le numérique dans sa relation dynamique aux acteurs éducatifs au sein des contextes sociaux et culturels dans lesquels cette relation prend place.
Il s’agit donc d’un effort de contextualisation du numérique en éducation.
Par l’élargissement des tenants et des aboutissants du numérique en éducation, une approche sociocritique permet de couvrir des enjeux connexes à l’enseignement et à l’apprentissage per se. Elle n’en est pas moins essentielle pour contribuer à une compréhension systémique du numérique en éducation et orienter ses développements pédagogiques et didactiques, en tenant compte de toute la complexité à l’œuvre. Ainsi, cette approche est susceptible de fournir un niveau d’analyse supplémentaire, qui dépasse le point focal habituel des études centrées sur l’enseignement et l’apprentissage, afin d’apporter un éclairage complémentaire.
L’approche sociocritique, bien qu’elle ait de multiples origines (De Munck, 2011) et qu’elle ne soit pas uniforme et homogène (George, 2014), a été largement développée dans les disciplines s’intéressant aux relations entre la technique et la société. Elle apparait également, de manière parfois implicite et toujours hétérogène, dans les travaux de plusieurs chercheurs oeuvrant dans le domaine du numérique en éducation (voir, p. ex., Albero, 2009; Beynon et al., 1989; Bruillard, 2011; Bulfin et al., 2015; Chaptal, 2003; Collin, Guichon et Ntebutse, 2015; Cuban, 1993; Dieuzeide, 1982; Jacquinot, 1981; Moeglin, 1993; Selwyn, 2010), sans qu’on puisse parler d’une tradition pour autant. Dans le but de poursuivre la réflexion, un collectif interdisciplinaire de chercheurs francophones (voir Collin et al., 2016) s’est constitué récemment et travaille à structurer une approche sociocritique dans le domaine du numérique en éducation.
Quatre axes
Ce colloque international s’inscrit pleinement dans cette perspective. Il souhaite réunir des chercheurs adoptant une approche sociocritique dans leur étude du numérique en éducation. Plus précisément, il accueille à la fois des communications théoriques, qui réfléchissent aux tenants et aboutissants d’une approche sociocritique pour l’étude du numérique en éducation, et des communications empiriques, qui adoptent une approche sociocritique dans leur étude du numérique en éducation. Dans tous les cas, il est attendu que les communications problématisent le numérique en éducation et le contextualisent dans un ou plusieurs des axes suivants:
- Contextualisation du numérique dans le quotidien des acteurs éducatifs et para-éducatifs, en tant qu’individus sociaux liés par des relations, des rôles et des normes variables suivant les interlocuteurs, les lieux, les classes sociales et les appartenances ethnoculturelles (voir, p. ex., Collin et Karsenti, 2013; Furlong et Davies, 2012);
->Questionnements: comment le numérique contribue à reconfigurer ou à maintenir les rôles éducatifs, la forme scolaire, le rapport au savoir ainsi que les temps et les lieux d’enseignement et d’apprentissage? Dans quelle mesure les usages numériques en contexte institutionnel sont-ils en continuité ou en rupture avec les usages numériques non institutionnels des acteurs éducatifs?
- Contextualisation du numérique dans les logiques économiques, politiques, idéologiques qui privilégient certaines valeurs et certaines finalités plutôt que d’autres, et qui s’avèrent plus ou moins compatibles avec les missions de l’École (voir, p. ex., Chaptal, 2003; Moeglin, 2015);
->Questionnements: quels sont les motivations et les intérêts sous-jacents à l’intégration du numérique en éducation? Dans quelle mesure sont-ils convergents avec les finalités éducatives?
- Contextualisation du numérique dans la filiation historique des objets techniques qui ont pénétré l’éducation (voir, p. ex., Jacquinot, 1981);
->Questionnement: dans quelle mesure situer le numérique dans la longue histoire des objets techniques en éducation?
- Enfin, sur le plan scientifique, contextualisation du numérique en lien avec les disciplines s’intéressant aux relations entre la technique et la société, tout en spécifiant les enjeux éducatifs qui sont propres à ce domaine d’étude (voir, p. ex., Albero, 2009; Selwyn, 2014).
->Questionnement: quelles sont les contributions interdisciplinaires à la compréhension du rapport entre les objectifs techniques et l’éducation?
Dans le cadre de ce colloque, seront privilégiées les communications qui se situent dans un ou plusieurs des axes ci-dessus et qui indiquent de manière explicite comment elles s’inscrivent dans la thématique du colloque.
Références
Albero, B (2009). Pratique sociale et recherche dans le champ de l’autoformation. In J-M. Barbier, E. Bourgeois, G. Chapelle, J-C. Ruano-Borbalan. Encyclopédie de la formation (pp. 659-685). Paris: Presses Universitaires de France.
Baron, G.-L. (2014). Élèves, apprentissages et « numérique » : regard rétrospectif et perspectives. Recherches en Éducation, Vol. 18, n° 2, p. 91-103.
Bayne, S. (2014). What’s the matter with ‘technology-enhanced learning’? Learning, Media and Technology.
Beynon, J., Mackay, H. (1989). Information Technology into Education: Towards a Critical Perspective. Education Policy, 4(3), 245-257.
Bruillard, É. (2011). Discours généraux sur les TIC en éducation: beaucoup de slogans peu étayés, en quête de débats. Association Enseignement Public et Informatique. Consulté le 23 août 2016 à http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1110e.htm
Bulfin, S., Johnson, N. et Bigum, C. (Eds.) (2015). Critical perspectives on technology and education. New York, NY: Palgrave Macmillan.
Chaptal, A. (2003) L’efficacité des technologies éducatives dans l’enseignement scolaire. Analyse critique des approches française et américaine. Paris: Éditions L’Harmattan.
Collin S. et Karsenti, T. (2013). Usages des technologies en éducation: analyse des enjeux socioculturels. Éducation et francophonie, 16(1), 192-210.
Collin, S., Guichon, N. et Ntebutse, J-G. (2015). Une approche sociocritique des usages numériques en éducation. STICEF, 22, 89-117.
Cuban, L. (1993) Computers Meet Classrooms: Classrooms Wins. Teachers College Record, 95, 185-210.
De Munck, J. (2011). Les trois dimensions de la sociologie critique. SociologieS, http://sociologies.revues.org/3576
Dieuzeide, H. (1982, Novembre) Marchands et prophètes en technologie de l’éducation. Actes de colloque Les formes médiatisées de la communication educative (pp. 78-82). École normale supérieure de Saint-Cloud, France. Consulté le 23 août à https://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00000772/document
Erstad O., Arnseth H. C. (2013). Learning Lives Connected: Digital Youth across School and Community Spaces. Comunicar, Vol. 40, p. 89-98.
Eynon, R. (2012). The challenges and possibilities of the impact agenda. Learning, Media and Technology, 37(1), 1-3.
Furlong J., Davies C. (2012). Young people, new technologies and learning at home: Taking context seriously. Oxford Review of Education, Vol. 38, n° 1, p. 45-62.
George, É. (2014). Quelles perspectives critiques pour aborder les TIC? tic&société, 8(1-2), 9-29.
Ito, M., Gutierrez, K., Livingstone, S., Penuel, B., Rhodes, J., Salen, K. et al. (2013). Connected Learning: An agenda for research and design. Irvine, CA: Digital Media and Learning Research Hub. Consulté le 23 août 2016 à http://dmlhub.net/sites/default/files/ ConnectedLearning_report.pdf.
Jacquinot, G. (1981). On demande toujours des inventeurs. Communications, 33(1), 5-23.
Moeglin, P. (2015). Quand éduquer devient une industrie. Projet, 345(2), 62-71.
Selwyn, N. (2010). Looking beyond learning: Notes towards the critical study of educational technology. Journal of Computer Assisted Learning, 26(1), 65-73.
Selwyn, N. (2014). Making the most of the ‘micro’: revisiting the social shaping of micro-computing in UK schools. Oxford Review of Education, DOI: 10.1080/03054985.2014.889601