[callout]Cette communication propose d’aborder l’évolution des mécaniques de conception et de réception des objets vidéoludiques au travers du prisme de la participation et de l’appropriation grandissantes chez le joueur contemporain.[/callout]
Que ce soit par la mise à disposition d’éditeurs de niveaux (StarCraft), de certaines parties du code source voire d’outils dédiés au modding (Quake, Half-Life, The Elder Scrolls, Unreal Tournament), les éditeurs de jeux vidéo ont depuis les années 1990 pleinement intégré le potentiel commercial de ces outils d’appropriation destinés aux communautés de joueurs.
En permettant la transformation et l’adaptation des objets vidéoludiques par le joueur, c’est un fort ancrage créatif et du nouveau contenu potentiel, prolongeant la durée de vie de leurs licences, que les éditeurs ont favorisé, et parfois même l’émergence de jeux nés du succès de certains mods, comme Counter Strike, Team Fortress ou plus récemment Dota 2 ou DayZ, autour de nouveaux principes de jeu orientés vers le multijoueur.
Cependant, c’est aussi une mutation des processus de conception des jeux qui prend ainsi forme, les game designers et studios de développement jouant avec l’opacité des étapes d’élaboration autrefois réservées à la communication interne, qui sont mises en scène au sein de dev. diaries, de fils de publication sur Twitter et de stratégies de marketing globales où les communautés de joueurs trouvent une légitimité de commentateurs voire de game designers en puissance.
Avec ces stratégies de communication et d’échange sur le Web, c’est un premier aspect participatif qui permet aux joueurs de s’impliquer dans le développement de jeux autour d’un principe d’adhésion.
Cette adhésion peut également se traduire par une contribution financière de la part du joueur au sein de campagnes de financement participatif qui contribuent grandement à la réalisation de jeux d’envergure variable (depuis un Hyperlight Drifter développé par une seule personne à la renaissance de franchises comme Elite : Dangerous qui mobilise des équipes entières).
Une forme récente qui synthétise ces éléments réside dans la logique du early access, l’accès anticipé, proposant au joueur d’acquérir un jeu en développement, et de participer à celui-ci au travers des étapes de déboggage et d’ajout de contenus et des prises de décision qui y sont liées. Les forums Web sont ainsi le lieu de débats et suggestions entre joueurs et développeurs.
Plus qu’une adhésion à un jeu, c’est un processus d’appropriation partielle qui est ici à l’oeuvre pour le joueur qui intègre une communauté spécifique, qui se situe à un niveau intermédiaire, accédant à ce qui peut figurer comme un privilège, et qui vient renforcer la cohésion communautaire que l’on trouvait déjà au sein des groupes de mod-makers et des joueurs les entourant.
C’est également ainsi que la logique financière de l’industrie vidéoludique se déplace vers des projets conduits par de petites équipes et des développeurs dont les projets sont validés par la communauté des joueurs (sur les plateformes de crowdfunding ou bien au travers de systèmes de vote comme Steam Greenlight), accompagnant l’ouverture de moteur de programmation au grand public comme Unreal Engine ou Unity qui ont récemment changé de modèle économique pour favoriser la gratuité.
C’est au travers d’un exemple récent de ces processus de game design participatif que je propose d’aborder les notions d’appropriation et de modularité : DayZ, initialement un mod développé par un programmeur seul à partir du jeu Arma II, a évolué au travers de différentes déclinaisons de mods conduits par des équipes différentes à mesure que son succès a relancé les ventes d’un jeu daté, pour finalement être investi dans un processus de développement financé chez l’éditeur Bohemia Interactive avec un accès anticipé. Cet exemple permettra d’aborder l’évolution d’un mod, dont différentes incarnations coexistent encore et qui est devenu stand alone ; un mod autour duquel s’est construite une communauté dense, où des stratégies de développement et leur mise en scène dans différents supports médiatiques hébergés sur le Web ont dénoté d’une nouvelle manière de concevoir les objets vidéoludiques et les éléments de communication qui les accompagnent.
Positionnement scientifique
Chercheur associé en Centre de recherche en arts et esthétique de l’Université de Picardie Jules Verne, qualifié en section 18.
Bibliographie sélective
Bogacs, Hannes, Game Mods: A Survey of Modifications, Appropriation and Videogame Art. Vienna University of Technology, 2008.
- Crawford Chris, The Art of Computer Game Design, McGraw-Hill, Berkeley , 1984.
- Stalker, Phillipa Jane, Gaming In Art: A Case Study Of Two Examples Of The Artistic Appropriation Of Computer Games And The Mapping Of Historical Trajectories Of ‘Art Games’ Versus Mainstream Computer Games. University of the Witwatersrand, 2005.
- Schell Jesse, The art of game design, a book of lenses, M. Kaufmann, 2008.
- Triclot Mathieu, Philosophie des jeux vidéo, éd. Zones, Paris, 2011.
Web :
- www.dayzmod.com
- http://forums.dayzgame.com
- https://dayz.com
- https://twitter.com/rocket2guns
- https://twitter.com/dayzdevteam
- http://dayzdev.tumblr.com/
Plus d’infos sur la programme du colloque scientifique sur www.ludovia.org/2015/colloque-scientifique
A propos de l’auteur Grzegorz Pawlak