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  • Du mod à l’accès anticipé : logiques appropriatives et modulaires du game design

    Du mod à l’accès anticipé : logiques appropriatives et modulaires du game design

    [callout]Cette communication propose d’aborder l’évolution des mécaniques de conception et de réception des objets vidéoludiques au travers du prisme de la participation et de l’appropriation grandissantes chez le joueur contemporain.[/callout]

    Que ce soit par la mise à disposition d’éditeurs de niveaux (StarCraft), de certaines parties du code source voire d’outils dédiés au modding (Quake, Half-Life, The Elder Scrolls, Unreal Tournament), les éditeurs de jeux vidéo ont depuis les années 1990 pleinement  intégré le potentiel commercial de ces outils d’appropriation destinés aux communautés de joueurs.

    En permettant la transformation et l’adaptation des objets vidéoludiques par le joueur, c’est un fort ancrage créatif et du nouveau contenu potentiel, prolongeant la durée de vie de leurs licences, que les éditeurs ont favorisé, et parfois même l’émergence de jeux nés du succès de certains mods, comme Counter Strike, Team Fortress ou plus récemment Dota 2 ou DayZ, autour de nouveaux principes de jeu orientés vers le multijoueur.

    Cependant, c’est aussi une mutation des processus de conception des jeux qui prend ainsi forme, les game designers et studios de développement jouant avec l’opacité des étapes d’élaboration autrefois réservées à la communication interne, qui sont mises en scène au sein de dev. diaries, de fils de publication sur Twitter et de stratégies de marketing globales où les communautés de joueurs trouvent une légitimité de commentateurs voire de game designers en puissance.

    Avec ces stratégies de communication et d’échange sur le Web, c’est un premier aspect participatif qui permet aux joueurs de s’impliquer dans le développement de jeux autour d’un principe d’adhésion.

    Cette adhésion peut également se traduire par une contribution financière de la part du joueur au sein de campagnes de financement participatif qui contribuent grandement à la réalisation de jeux d’envergure variable (depuis un Hyperlight Drifter développé par une seule personne à la renaissance de franchises comme Elite : Dangerous qui mobilise des équipes entières).

    Une forme récente qui synthétise ces éléments réside dans la logique du early access, l’accès anticipé, proposant au joueur d’acquérir un jeu en développement, et de participer à celui-ci au travers des étapes de déboggage et d’ajout de contenus et des prises de décision qui y sont liées. Les forums Web sont ainsi le lieu de débats et suggestions entre joueurs et développeurs.

    Plus qu’une adhésion à un jeu, c’est un processus d’appropriation partielle qui est ici à l’oeuvre pour le joueur qui intègre une communauté spécifique, qui se situe à un niveau intermédiaire, accédant à ce qui peut figurer comme un privilège, et qui vient renforcer la cohésion communautaire que l’on trouvait déjà au sein des groupes de mod-makers et des joueurs les entourant.

    C’est également ainsi que la logique financière de l’industrie vidéoludique se déplace vers des projets conduits par de petites équipes et des développeurs dont les projets sont validés par la communauté des joueurs (sur les plateformes de crowdfunding ou bien au travers de systèmes de vote comme Steam Greenlight), accompagnant l’ouverture de moteur de programmation au grand public comme Unreal Engine ou Unity qui ont récemment changé de modèle économique pour favoriser la gratuité.

    C’est au travers d’un exemple récent de ces processus de game design participatif que je propose d’aborder les notions d’appropriation et de modularité : DayZ, initialement un mod développé par un programmeur seul à partir du jeu Arma II, a évolué au travers de différentes déclinaisons de mods conduits par des équipes différentes à mesure que son succès a relancé les ventes d’un jeu daté, pour finalement être investi dans un processus de développement financé chez l’éditeur Bohemia Interactive avec un accès anticipé. Cet  exemple permettra d’aborder l’évolution d’un mod, dont différentes incarnations coexistent encore et qui est devenu stand alone ; un mod autour duquel s’est construite une communauté dense, où des stratégies de développement et leur mise en scène dans différents supports médiatiques hébergés sur le Web ont dénoté d’une nouvelle manière de concevoir les objets vidéoludiques et les éléments de communication qui les accompagnent.

    Positionnement scientifique

    Chercheur associé en Centre de recherche en arts et esthétique de l’Université de Picardie Jules Verne, qualifié en section 18.

    Bibliographie sélective

    Bogacs, Hannes,  Game Mods: A Survey of Modifications, Appropriation and Videogame Art. Vienna University of Technology, 2008.

    • Crawford Chris, The Art of Computer Game Design, McGraw-Hill, Berkeley , 1984.
    • Stalker, Phillipa Jane, Gaming In Art: A Case Study Of Two Examples Of The Artistic Appropriation Of Computer Games And The Mapping Of Historical Trajectories Of ‘Art Games’ Versus Mainstream Computer GamesUniversity of the Witwatersrand, 2005.
    • Schell Jesse, The art of game design, a book of lenses, M. Kaufmann, 2008.
    • Triclot Mathieu, Philosophie des jeux vidéo, éd. Zones, Paris, 2011.

    Web :

    Plus d’infos sur la programme du colloque scientifique sur www.ludovia.org/2015/colloque-scientifique

    A propos de l’auteur Grzegorz Pawlak

  • Ductilité des espaces créatifs dans le domaine des jeux vidéo

    L’ACTEUR ET LA MISE EN PLACE DE PROJETS CREATIFS

    1.1    L’acteur et ses projets de création dans le domaine du jeu vidéo

    Donner des compétences à l’acteur, lui faciliter l’accès et l’usage dans l’accomplissement d’actes créatifs au sein des dispositifs numériques, s’avèrent deux projets en phase avec le futur du développement et de la production ludique. Toutefois cet angle de vue informatique ne permet pas de partir de la projection de l’usager. En tant que chercheurs en communication, nous allons tenter de partir de l’acteur afin de voir comment il met en place des projets créatifs, par rapport aux outils existants. Nous nous demanderons :
    Comment l’acteur choisit-il des logiciels, pour quel usage, pour quel projet, pour quelle intention créative ?

    1.2    Un corpus composé d’usagers de forums de création amateur et d’étudiants.
    Notre corpus d’acteurs interviewés est essentiellement constitué d’usagers de forums de création amateur et d’étudiants suivant un cursus en formation « jeu vidéo » et utilisant ces outils de création de jeu.
    Nous analyserons les données recueillies à deux niveaux :
    – Au niveau de l’acteur, afin de trianguler  ses projets, ses logiques d’actions créatives et les potentialités proposées par les logiciels.
    – Au niveau de la créativité afin d’identifier, le domaine qui constitue un ensemble de règles et de procédures symboliques, le milieu constitué de personnes décidant d’inclure, ou non, une nouvelle idée dans le domaine et les différents processus de créativité.

    Au final, en comprenant les acteurs, leurs projets et dans quels contextes ils peuvent développer des actes créatifs numériques, on arrivera à mieux cerner ce que nous appelons un « champ propice »  soit: l’ensemble des états du monde qui autorise le passage et l’émergence de sens. Notre positionnement théorique présuppose que l’on doit sortir d’une représentation qui revendique que dès qu’il y a conception d’un dispositif, il y a réception des informations et actualisation par l’utilisateur. En effet, une émission peut rester vide de transmission de sens s’il n’y a pas de public apte à saisir le sens, à cause d’une carence de code commun (langue, terminologie…) ou d’une carence de capacité cognitive adaptée (niveau d’expertise exigé trop fort, dispositif trop complexe…). Ce champ dit propice  représente une complémentarité et une pertinence optimales entre le champ de l’expérience (champ des possibles projeté par l’acteur) et le champ de l’inter-action (champ de l’action créative numérique).

    2.    IDENTIFICATION DES PROFILS ET DES PROJETS D’ACTEURS DANS LE CHAMP DES POSSIBLES.

    2.1    Présentation des techniques de recueil de récits d’usagers
    Nous avons visité nombre de forums dédiés à cette activité, certains libres et brouillons d’autres organisés en association, fédérant autour d’un type de jeu, d’une technologie, d’outils. Nous avons organisé, comme dit précédemment, le recueil de données à partir de questions larges afin de laisser l’usager nous exposer sa vision des choses. Parfois nous y avons partagé intérêts et préoccupations pour mieux appréhender la posture. Enfin, intervenants dans le cadre d’une formation au design de jeux vidéo, l’observation du groupe étudiant au cours de l’année aura enrichi l’expérience. De ces investigations, de ces expériences vécues, nous présentons un constat que nous tenterons d’analyser un peu plus loin.

    2.2    Deux profils pour deux champs des possibles : la place de l’outil

    Qui sont ces candidats à la création vidéo ludique amateur et quelles sont leurs motivations ? Qu’espèrent-ils des outils qu’ils sollicitent et quelles potentialités ceux-ci leur proposent-ils ?
    Le profil du candidat créateur de jeu vidéo amateur n’est pas aisé à définir, mais deux types d’aspirations semblent présentes : Le joueur et l’inventeur.
    Le joueur : Il a pour ambition de faire mieux, plus, autrement, en prenant pour référence les jeux qu’il affectionne qui sont à la fois le terreau et l’horizon de ses projets.
    L’inventeur : Il se positionne en innovateur, constructeur de structures, de systèmes qui feront la démonstration de son talent créatif ou de sa maîtrise technologique et de son savoir faire à la manière d’un compagnon avec son chef d’œuvre.

    Alors bien sûr, ces types sont des caricatures à nuancer et en particulier par la nature et la biographie des acteurs. Sans grande surprise, l’âge du public correspond assez aux deux types d’acteurs,  décrivant des joueurs plus jeunes et des inventeurs plus âgés. La maîtrise d’un registre de compétences et souvent d’une expérience liée module, elle aussi, le type et l’orientation.
    Les artistes s’affichent peu sur les forums dédiés aux jeux vidéo, peut-être parce que leurs compétences peuvent s’épanouir dans d’autres champs artistiques, l’art numérique, le film d’animation, la B.D. Aussi quand on peut observer leur savoir faire c’est souvent parce qu’ils sont venu rejoindre un projet conséquent, organisé et déjà avancé. Les programmeurs, dont les réalisations sont avant tout fonctionnelles quand ils veulent s’émanciper, trouvent dans les jeux vidéo un support idéal d’évasion.

    En matière d’offre logicielle, si nous reprenons nos deux aspirations du départ, le créateur du type joueur et le créateur du type inventeur, les approches sont différentes.
    Les créateurs joueurs, rencontrent deux propositions, le « modding »  de jeux phares et l’utilisation des « factory’s »
    Le « modding », est un fantastique outil pour mobiliser des communautés en prolongeant le terme des jeux d’une durée impensable sans ce processus. Le moteur de jeu est fourni avec une version identique ou quasi identique de l’outil de level design  qui a été utilisé pour réaliser le jeu. L’utilisateur va ainsi pouvoir modifier, voire remplacer l’ensemble des graphismes du jeu, dessiner de nouvelles maps . Il pourra également intervenir sur les scripts de haut niveau pour modifier les comportements des entités entre elles ou avec le joueur. La pratique du mod attire beaucoup de monde, valorisante puisque permettant une sortie de qualité professionnelle, elle séduit graphistes musiciens et architectes de niveaux de jeux. Elle n’en est pas moins exigeante et ,quand un mod est remarqué et remarquable, c’est le résultat d’un investissement en temps et en compétence important.

    Les « factory’s », sont un peu le contre point du modding. Ici pas de jeu support, mais une usine à jeu, où à partir d’éléments préfabriqués, il devient possible de donner naissance à un jeu en quelques jours voire quelques heures pour une première version jouable. Une banque de ressources, des comportements types, une gestion d’événements et quelques idées de gameplay et le tour est joué. C’est l’outil type du hobbyiste, facile à prendre en main, mais limité. Limité par les contraintes du modèle, le type de jeu cible, les formats acceptés. L’essentiel des réalisations mime les productions 2D des années 80/90.
    La démarche est assez semblable pour les deux types. Une architecture 3D orientée FPS , une interface plus simple, qui invite à la création de jeux typés casual, arcade ou RPG.
    Deux constantes, pas ou peu de programmation, et la possibilité de réutiliser des ressources graphiques ou sonores existantes.
    Les créateurs inventeurs, selon qu’ils sont compétents en matière de programmation ou pas, se voient également offrir deux propositions. La première consiste à utiliser une palette d’outils, spécifiques ou packagés en AGL, organisés autour d’un langage de programmation.

    La seconde consistant à s’approprier à minima les compétences suffisantes pour trouver la première proposition satisfaisante. Pas d’espoir pour les « sans codes », et si l’on parle de « développement » de jeux vidéo, ce n’est pas anodin. Un jeu vidéo c’est avant tout un programme, un arrangement de bit, une affaire d’informaticien et l’essentiel de l’offre est pensé par et pour des informaticiens. Alors, pas d’espoir pour les créatifs ?

    Pour être objectif, le pur créatif n’y trouvera pas son compte sans changer un peu, sans oser s’aventurer hors de son espace. S’il campe sur ces positions, ses compétences resteront utiles voire indispensables dans un projet participatif, mais il ne peut envisager y aller tout seul. Le pur programmeur sera à son aise devant cet établi ou tous les outils lui seront familiers. Langages, compilateurs, API, bibliothèques, moteurs, et des potentialités presque sans freins. Encore faut-il voir pour quel projet.

    3.    COMPREHENSION DES ACTIONS D’ACTEURS DANS LE CHAMP DE L’INTER-ACTION 

    3.1    Le faire soi-même et l’usine à jeux
    Le bricoleur en matière de jeu vidéo n’est pas à rapprocher du vannier ou de l’amateur de macramé, du maçon du dimanche ou de l’apprenti électricien, ni même de l’architecte en herbe présentant fièrement à sa famille médusée la visite interactive de la demeure fantasmée. Il tiendrait plutôt de l’homme orchestre, celui, pour qui, construire intégralement une maison comme une voiture paraît somme toute envisageable. Enfin, c’est en tout cas le profil que l’on peut attendre de ceux qui  ambitionnent de se lancer dans une telle aventure. Ambitieux donc, le projet de celui qui veut faire soi-même un jeu vidéo ? Certainement et à plusieurs titres.

    Tout d’abord techniquement, parce qu’il ne s’agit pas d’approcher le geste, la connaissance ou la compétence de l’artisan, du seul spécialiste, mais bien de s’approprier un processus industriel en terme d’organisation, de méthodologie et de maîtrise des multiples compétences spécifiques dans toute leur complexité. Un jeu vidéo est une production numérique, donc bien évidemment du code et en ce sens, une affaire d’informaticien. Ensuite, un jeu vidéo c’est également une atmosphère, que soutient un graphisme, une ambiance sonore, une histoire, une interactivité. Autant d’axes de création et de compétences associées. Mais un jeu vidéo, c’est aussi et avant tout une invitation faite à l’usager d’évoluer dans un univers qui lui est dédié, univers dont les règles sont le fait de celui qui fait la proposition, le créateur, le concepteur.

    Ce jeu vidéo dont on parle, finalement qu’est-ce que c’est ? Quelle est la genèse d’un tel projet ? Et que veut dire pour un acteur, soit il amateur, créer un jeu vidéo ?
    Un jeu vidéo est une œuvre (d’art ou pas, le débat reste ouvert) multimédia numérique qui propose à son usager une interaction à visée de divertissement ludique par l’intermédiaire d’un écran et d’une interface. Qu’implique cette définition ? D’abord, qu’il est question de technologie et que cette technologie avant de servir de véhicule de médiation au joueur doit être maîtrisée par le concepteur. Ensuite, que cette technologie doit être au service du concepteur pour véhiculer les contenus et les constructions qui feront sens pour l’utilisateur à qui s’adresse l’œuvre.

    Dans l’industrie des jeux vidéo, une sectorisation s’est opérée et, bien que comme ailleurs coexistent des modes organisationnels différents, la spécialisation voire l’hyper spécialisation est la norme. Pour reprendre les termes de Rolling et Morris, l’organisation en « usine de développement » suivrait la division suivante :

    3     Conception et management
    4     Programmation
    5     Artistique graphique
    6     Musique et divers
    7     Support et assurance qualité.

    Ces secteurs recouvrent des rôles divers qui seront endossés par une ou plusieurs personnes selon les objectifs et l’ambition du projet. Un studio moyen de jeux vidéo mobilise sur un projet, selon les phases du développement, de dix personnes en phase de conception à cent personnes en phase de production. Pourtant, construire un jeu vidéo, c’est toujours le même schéma créatif, celui qu’utilisaient également les pionniers du genre. C’est cette image, celle de l’inventeur, qui attire encore dans ce processus créatif au risque de l’utopie.

    3.2    Un monde cruel
    Les projets sont innombrables, mais rares sont ceux qui dépassent le temps d’une présentation, de quelques messages échangés sur un fil de discussion ouvert à grand fracas de superlatifs. Le discours et l’effervescence démontrent la vivacité sans cesse renouvelée du public vers son sujet.

    Numéro un des messages écrits sur ces forums, l’invitation à participer au projet du siècle.
    Elle émane de l’un des deux profils cités, qui conscients de la complexité de leurs projets cherche le plus souvent sans succès à s’entourer. Mais régulièrement, ce sont des autoproclamés game designer qui sans complexes et sans compétences aucunes non plus, viennent rabattre les troupes propres à constituer la main d’œuvre de leur génial projet. Flop là aussi à l’arrivée, et malheureusement, consommateur de motivation pour ceux qui s’y seront laissés prendre.

    C’est aussi dans ce registre des projets collectifs, que l’on assiste heureusement à la naissance de belles aventures, technologiques, artistiques et humaines, structurés et ouverts à la fois ils sont moteurs et formateurs.

    Si aussi peu de projets aboutissent, les outils sont-ils responsables ?
    Les logiciels, promettent souvent tout, à la fois des possibilités informatiques ductiles et une prise en main directive pour ceux qui le désirent. Nous pouvons prendre la métaphore de la palette de peinture pour illustrer notre propos : Une palette de peinture permet de faire de l’abstrait, du représentatif, du monochrome ou du polychrome. On peut donc annoncer qu’elle a les potentialités pour faire tout cela. Mais c’est ensuite le peintre qui va, par son expérience, ses attentes et ses projections dans l’outil, créer et concevoir, voire inventer un style. Il en est de même avec les logiciels de création en jeux vidéo. Souvent, la palette des potentialités des logiciels s’avère supérieure aux compétences de l’acteur. Pourtant ce dernier va mettre en doute la performance de l’outil, puisque ce dernier n’arrive pas à réaliser ce qu’il a dans la tête. L’acteur projette ses attentes dans l’outil. Alors que c’est dans ses propres potentialités créatrices que se trouve la clé, comme illustré par l’exemple de la palette de peinture.
    Quels sont ces processus de la créativité et que peut-on appeler  « acte de création » en matière de jeux vidéo ?

    4.    PENSER UN CHAMP PROPICE POUR LE DO IT YOURSELF DANS LES JEUX VIDEO. 

    4.1    Sortir de la technique et entrer dans les compétences interactionnelles. 
    Finalement, nous pouvons considérer, eu égard à tout ce que nous venons de mettre en évidence, que l’avancée du Do it yourself se fera davantage dans le domaine de la créativité que véritablement dans le domaine informatique. La plupart des projets n’aboutissent pas car les auteurs manquent d’inspiration et d’esprit innovant quant aux scénarii et à la mise en scène des idées. L’image virtuelle se réapproprie et potentialise l’objet communicant, à la fois dans les registres ludique, imaginaire et complexifiant. Cette complexité ne se révèle pas dans la performance technique, mais, nous semble-t-il, davantage dans la performance communicationnelle. Nous constatons que les outils qui sont proposés omettent le travail de conception en amont qui servirait à construire une véritable matrice interactionnelle. C’est dans et à travers ladite matrice interactionnelle que les acteurs pourront s’identifier, s’exprimer, que ce soit par la performance, l’originalité ou le détournement.

    « Le jeu vidéo est basé en grande partie sur la notion d’interaction qui peut être perçue à plusieurs niveaux. Du point de vue du concepteur, l’interaction est avant tout régie par l’ensemble des règles du système à travers lequel il va pouvoir s’exprimer. (…) Aujourd’hui, force est de constater que les jeux sont rarement exclusivement basés sur un nombre élevé, cohérent et autosuffisant de règles interactives, alors que la puissance des machines disponibles pourrait théoriquement le permettre. En effet, la définition d’un tel système de règles pose deux problèmes. Tout d’abord, la complexité pour modéliser un monde cohérent croît avec le nombre de règles le décrivant, il en résulte alors une vraie difficulté d’interprétation et de prévision de l’interaction dans ce monde. Ensuite, le concepteur a pour rôle de régler un ensemble de « méta-paramètres » influant globalement sur l’intérêt du jeu, le rythme, la gestion du conflit et la création d’enjeux.»

    4.2    Passer à une modularité des possibilités

    4.2.1    Les processus de l’acte créatif comme modularité.
    D. Cage  souligne l’intérêt de laisser de la liberté aux joueurs, tout en gardant « un pilote à la voiture»: «l’histoire est comme un élastique que l’utilisateur peut déformer à sa guise, plus ou moins long, court, ou déformé. » Ce n’est pas différent pour l’usager créateur.

    Nous considérons que pour qu’il y ait acte créatif, il faut que soit rassemblé un ensemble de capacités intellectuelles que T. Lubart  a défini en sept grandes catégories. Nous allons nous baser sur cette grille pour penser des modularités. L’idée est de partir des capacités inhérentes à l’acte créatif pour proposer à l’usager, quelque soit son profil, de trouver dans un module une solution à son problème ou, du moins, une aide concernant une lacune ou une carence. Ainsi nous devrions pouvoir être au plus près de notre recherche d’un champ propice, chaque usager (quel que soit son projet, son expérience et ses compétences), pouvant aller puiser dans l’éventail des modules proposés. Les capacités répertoriées par T. Lubart seront, dès lors, pour notre propos, des processus à mettre en œuvre pour produire l’acte créatif. Ces processus sont à projeter comme structure constituante d’un outil 2.0 d’aide à la création comme nous le sollicitons.

    Nous reformulerons ces capacités de la manière suivante :
    Capacité de l’acte créatif (Lubart)    Processus à intégrer sous forme de module
    Identification, définition et redéfinition le problème    Recadrage
    Encodage sélectif : sélectionner les informations pertinentes    Sélection facilitante
    Comparaison sélective : capacité à observer des analogies entre des domaines différents qui éclairent un problème    Corrélation analogique
    Combinaison sélective : capacité à regrouper des éléments divers d’information, qui réunis, vont former une nouvelle idée (combinaison sélective)    Combinatoire constructive
    Pensée divergente : capacité à générer plusieurs possibilités, de manière pluridirectionnelle.    Kaléidoscopique
    Evaluation des idées : auto-évaluer sa progression vers la solution    Discernement
    Flexibilité : capacité à se dégager d’une idée initiale pour explorer de nouvelles pistes. Aptitude à appréhender une seule idée sous des angles différents.    Ductilité

    4.2.2    Processus de recadrage.
    Le module devra montrer comment pour un même problème, un changement d’angle peut permettre de trouver d’autres solutions plus abordables. Ainsi, il faudra transmettre le fait qu’il n’est, par exemple, pas obligatoire de se jeter à corps perdu dans la technique pour réaliser un effet, la même idée pouvant être communiquée d’une autre manière. La 3D par exemple devrait pouvoir être recherchée en réponse et non en principe.

    4.2.3    Processus de sélection facilitante 
    Chacun doit pouvoir trouver, suivant sa sensibilité créatrice et son niveau d’expertise, des informations qui lui correspondent et à travers desquelles il peut se projeter. Le but sera ici de trouver les bibliothèques et/ou les outils lui permettant d’accéder à une version « réalisable » de son projet. Ce qui implique deux choses, une adaptativité du dispositif et une ontologie large.

    4.2.4    Processus de corrélation analogique

    La métaphore est au cœur de la pensée créative. Il est donc important que l’acteur puisse s’inspirer de métaphores, d’analogies, surfer au cœur du symbolique, pour trouver le sens et l’esprit qu’il veut laisser transparaître dans son jeu vidéo. Banques de données, mind mapping, dictionnaires. Chaque idée doit pouvoir ouvrir sur un champ référentiel multiple.

    4.2.5    Processus de combinatoire constructive 
    L’idée est ici celle que nous retrouvons plus généralement dans l’idée d’intelligence collective : Soit la mise en commun de plusieurs idées construit une nouvelle idée. L’originalité de l’idée ne peut venir que de la richesse de la combinatoire. La co-construction de jeux grâce à des dispositifs collaboratifs (en réseau ou non) offre un gisement intéressant permettant de dépasser l’imagination individuelle des acteurs. Le brainstorming 2.0.

    4.2.6    Processus kaléidoscopique
    A partir d’un point de départ, ce processus va créer un grand nombre de possibilités, d’ouvertures différentes. Effets transformants et divergents d’une vision permettant d’avoir des pistes pluridirectionnelles. Une possibilité de déconstruction-reconstruction élémentaire qui permet à de nouveaux arrangements d’émerger.

    4.2.7    Processus de discernement
    Dans la continuité du processus kaléidoscopique, le processus de discernement va tenter de choisir, de trier les possibilités, pour n’en garder que les meilleures ; meilleures en terme de faisabilité et d’harmonie. Du chaos des éléments doivent émerger les formes d’arrangements qui répondent au choix de l’acteur.

    4.2.8    Processus de ductilité
    Ce concept de ductilité renvoie à l’idée de quelque chose de malléable. Le processus créatif ,pour véritablement émerger, doit pouvoir être flexible, adaptatif au point de créer des espaces novateurs, il doit ouvrir à la remise en question sans rompre. Le bouton d’annulation doit être multi directionnel, dimensionnel, contextuel, temporel. L’erreur n’existe pas : elle ne doit être que déformation ponctuelle.

    4.2.9    Inciter l’acte créatif, l’émergence du champ propice
    En référence à CSIKSYZENTMIHALYI, l’émergence d’un champ propice trouve écho dans la théorie du flow. Entre le défi que se lance l’acteur et les compétences qui feront réellement sens dans sa communication avec l’outil, un espace du plaisir de faire peut naître, un espace fixant les limites du champ propice.
    Ces limites sont étroites et l’acte créatif rare, l’exercice est difficile, il s’agit d’inciter sans guider pour qu’émerge le champ propice.

    4.3    L’acte de création dans le jeu vidéo

    Qu’est-ce que c’est, avoir une idée ? Qu’est-ce que c’est avoir une idée au cinéma ?
    C’est ainsi que Gilles Deleuze ouvrait sa conférence à la FEMIS en 1987.
    Nous pourrions reprendre mot par mot ses réflexions et les appliquer au cas du jeu vidéo. « Avoir une idée, ce n’est pas courant, c’est un événement (…) avoir une idée, ce n’est pas quelque chose de général, on n’a pas une idée en général, une idée est déjà voué, comme celui qui a une idée est déjà voué à un domaine (…) avoir une idée c’est tantôt une idée en roman, une idée en philosophie, une idée en science, une idée en art, et ce n’est pas le même qui a toutes ces idées. »

    Avoir une idée en jeu vidéo, ce n’est donc pas avoir une idée en général, je ne peux avoir une idée que sur ce que je connais, et pour avoir une idée en jeu vidéo, il me faut le connaître, le pratiquer, le réaliser, ou peut-être même simplement l’aimer, mais le connaître.

    « Le philosophe invente des concepts, le cinéma des blocs de mouvement / durée, et chacun raconte des histoire avec (…) le peintre invente des blocs de ligne / couleur, la musique des blocs d’un autre type, la science n’est pas moins créatrice elle invente des fonctions (…)  pas d’opposition entre art, science et philosophie »

    Qu’invente le créateur de jeux vidéo ? Nous proposerons, des blocs de situation / action. L’observation du contenu de jeux vidéo fait apparaître comme l’ont montré de nombreuses études qu’au-delà des typologies habituelles, existent à un niveau plus fin ce que l’on peut qualifier d’arrangements ludiques. Une situation et une proposition d’action. L’auteur et le joueur partagent une culture de ces arrangements, et conservatisme et tentative d’innovation s’y confrontent aussi fréquemment que dans les autres champs de créativité.

    Une mise en situation du joueur dans un univers pensé et réglé par le concepteur. 
    L’exercice implique le travail sur l’idée, qui ne jaillit pas toujours d’un éclair de génie, puis sur l’écriture, parce qu’un jeu vidéo c’est parfois une histoire qui est raconté,  mais toujours celle que le joueur va écrire. L’auteur, nous pouvons l’appeler ainsi, va habiller ensuite son univers de ces blocs de situation /action qu’il va puiser dans sa culture vidéoludique, comme le philosophe puise dans les concepts et le savant dans ses fonctions. Parfois, parce qu’il a besoin d’autre chose ou  parce qu’il n’arrive pas à exprimer, peut être parce qu,e comme disait Deleuze, «le créateur ne crée que par nécessité », alors il invente un nouveau bloc situation / action. L’acte est rare et précieux. Quand on veut avoir des idées en jeu vidéo, c’est l’ambition qui doit nous nourrir. Pour que ces blocs de situation / action arrivent jusqu’à l’usage, les fonctions du savant, l’informaticien dans notre cas,  seront indispensables, et si percepts et affects se manifestent c’est que l’art n’est pas très loin. Dans l’acte de création il y invention, mais celle-ci ne se fera innovation que si le succès la légitime.

    «  La personne créative devient ainsi : celui ou celle dont la pensée ou les actions font évoluer un domaine ou en créent un nouveau. Il convient toutefois de ne pas oublier qu’un domaine ne peut-être modifié sans le consentement implicite ou explicite du milieu concerné. »

    Conclusion
    En conclusion, le créateur joueur semble y trouver son compte et la production amateur témoigne qu’outils techniques et créativité semblent ne pas trop mal s’associer au service de ce profil d’usager. Le créateur inventeur, par contre, s’il veut se lancer seul, se devra d’être ou de devenir multicompétent pour envisager de donner forme à sa créativité. Le wysiwyg  du jeu vidéo n’est pas encore là, est-ce nécessaire dirons les uns, la masse de candidats pour le peu d’élus répond en écho que la question vaut d’être examinée.

    Dans la majorité des cas, entre les projections de l’acteur et sa confrontation à l’acte de création l’espace à combler ressemble à un abîme. L’offre logicielle tout autant que l’acteur négligent les phases de conception et les réalisations avortent faute de consistance. L’appropriation du modèle fonctionnel de l’industrie est difficile pour l’acteur seul et la fierté de faire son propre jeu est au prix d’un investissement sans failles.
    Il faut penser les outils du créateur en prenant du recul, élargir le champ pour que de la palette on passe à l’établi et qu’apparaissent marteau burin ou glaise. Il faut aussi laisser du champ, faire apparaître les tiroirs cachés quand ils sont nécessaires. L’idée doit pouvoir faire son chemin, se construire, pendant qu’outils et mode d’emploi ne lui seraient, que contextuellement proposés.
    Le do it yourself 2.0 en matière d’outil créatif multimédia, comme son éponyme web ne peut se suffire de cette dimension dynamique, il doit engager l’étape sémantique pour rejoindre les projets de l’acteur.
    « Rien de ce qui est construit, s’il fait sens, ne peut être entièrement pré-spécifié ; car anticiper ce n’est pas seulement déterminer le futur à partir du présent, c’est aussi relancer l’ouverture constitutive, ajuster indéfiniment dans l’expérience ce qui doit rester vague, à raison même de l’ouverture constitutive de cette expérience. Construire est toujours en même temps reconstruire en réinventant. »

    Communication Scientifique Colloque Ludovia 2008 (Extraits)
    Claire NOY
    Université Paul Valéry
    Montpellier III
    n° 71
    claire.noy@univ-montp3.fr
    Thierry SERDANE
    Université Paul Valéry
    Montpellier III
    n° 71
    thierry.serdane@serendiconcept.fr