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Arts numériques et Médias praticables : le public à l’œuvre

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Depuis les années soixante, les arts plastiques n’ont eu de cesse de sortir de l’objet d’art pour développer des situations d’expérience esthétique : installation, “in situ”, environnement, et, aujourd’hui, “dispositif”. L’implication du spectateur dans l’œuvre a d’abord été une question de “co-présence” (Art Minimal), puis s’est développée avec la mise en œuvre de l’image même du spectateur (installation vidéo en circuit fermé). À ces principes s’ajoute aujourd’hui, par l’interactivité, l’intégration des mouvements et des gestes des spectateurs. Par la mise en scène de médias praticables, les arts numériques déploient ainsi des cadres de sociabilités et d’actions renouvelés. Une expérience doublement perceptive et manipulatoire des œuvres s’y trouve engagée et implique, pour les médias et l’image, la nécessité d’un équivalent de ce qu’est en musique l’interprétation : entendue au sens de « pratique ». L’interactivité et la jouabilité y composent deux nouveaux régimes sociotechniques d’interprétation des œuvres, qui se doublent d’un renforcement de l’activité d’écriture (du concept, du scénario) et qui génèrent un allongement des consignes et modes d’emploi  préalables ainsi qu’une une multitude de traces interprétatives. En questionnant les théories de la réception, au croisement de l’anthropologie des techniques, de la sociologie de l’art et des sciences de la communication, ma conférence mettra au jour ces inter-activités médiatiques et leurs incidences sur la désignation et circulation d’une œuvre d’art qui se développe selon des cours d’action et des économies spécifiques.

Le régime du numérique place en effet l’œuvre d’art au cœur d’une négociation entre artistes, informaticiens, dispositifs techniques et publics enrôlés. Je tacherai de montrer comment :

  • d’une part, l’attention du public ne se borne plus au seul objet présumé de la visite (l’œuvre), mais doit également porter sur les conditions techniques de sa réception. Il en résulte une gamme élargie d’externalités : les couches de programmes, les scripts d’emplois, les interfaces utilisateurs, les images à acter dont les statuts et usages sont redéfinis ;
  • d’autre part, l’expérience des médias y est moins strictement distribuée entre une émission et une réception conçues comme deux événements successifs d’un message fixe et immuable. Là où l’œuvre matérialise désormais un univers des possibles, l’expérimentation reprend le dessus sur la logique traditionnellement rigide de la transmission des contenus informationnels.

Les modalités de l’implication et les pratiques du public seront approchées de différentes manières : par l’observation, en amont de la participation, de stratégies artistiques de captation et de fidélisation du public (contrats de réception et aménagement de prises sur l’œuvre) ; par l’examen des conditions potentielles de la participation du visiteur mises en scène dans des dispositifs informatiques (figures de l’interactivité) ; par l’étude de la participation effective, des interactions et de l’implication sociale du public (modes d’interaction entre l’artiste, l’œuvre et son public).

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Voir le programme complet du colloque scientifique Ludovia#11
voir la bio de Jean-Paul Fourmentraux sur Ludovia 2014

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