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L’imaginaire du rapport à l’information dans un parcours numérique de ville

L’offre de parcours urbain permettant de visiter une ville à partir de son intérêt patrimonial et culturel est affectée par l’introduction du numérique. Alors que l’on avait plutôt affaire à des parcours expographiques (tel un circuit jalonné d’outils d’interprétation du patrimoine articulé par une signalétique) ordonnancés et fixés par les concepteurs, apparaissent aujourd’hui des parcours faisant appel à des outils numériques qui laissent place à une programmation du parcours par l’usager. La mise en contexte de l’usager dans la ville était anticipée à la fois comme une fonction de guidage dans l’espace et comme un composant même de l’information. Les scénarisations actuelles laissent à penser que l’on pourrait ne pas traiter la relation du contexte à l’usager, c’est-à-dire la manière dont celui-ci va interagir avec le contexte de la documentation pour y accéder et en prendre connaissance.

Dans le cas d’un milieu ouvert tel que la ville et de dispositifs dont l’enjeu (du point de vue de l’architecture urbaine) est de se fondre en toute discrétion dans le mobilier urbain, comment l’usager pourra produire du sens à partir de rien ? C’est-à-dire sans se reporter à une mise en contexte qui le mette au moins dans un état de vigilance par rapport à l’apparaître d’un dispositif d’information dans la ville. La question que nous posons est celle de la possibilité pour l’usager de produire du sens avec de l’aléatoire.

L’analyse porte sur cet imaginaire d’un rapport aléatoire à l’information à partir de l’exemple des Sentiers Numériques de la ville d’Arles[1]. Nous proposons de montrer la façon dont cet imaginaire s’articule à une représentation de la ville comme un ensemble qui se définirait selon trois points de vue :

– Un imaginaire de la ville comme espace documentaire. Ce mode d’orientation et d’information dans la ville remplace l’organisation expographique du circuit patrimonial par l’imaginaire d’une base de données distribuée spatialement au sein de la ville. La ville apparaît telle une unité close remplie de documents à consulter par une navigation aléatoire, celle de n’importe quel usager dans n’importe quelle situation de circulation.

Un imaginaire de la ville vue d’en haut. Alors que l’expographie de la ville raisonne à partir de l’accompagnement du déplacement du corps humain en train de marcher selon une orientation donnée, cette scénographie documentaire renvoie à un imaginaire de la ville vue d’en haut. Car le point de vue panoramique apparaît comme le seul moyen de donner la logique d’organisation qui n’est pas donnée depuis le sol.

Un imaginaire de la ville vue de nuit. La tombée du jour est le moment idéal pour faire les Sentiers numériques : leur luminosité les signale, attire l’usager vers une borne, puis vers l’autre. Dans cette mise en contexte créée par la tombée du jour, les bornes deviennent un dispositif signifiant à plusieurs titres, en tant qu’outils d’interprétation de la ville (le texte surgit du mur), de signalétique par la force de la luminosité, de scénographie de l’architecture et du mobilier urbain.

La discussion porte sur les conditions dans lesquelles cet imaginaire d’une prise d’informations aléatoire en milieu urbain pourrait fonctionner. La concrétisation d’un contexte d’usage de jour et depuis le sol pour les Sentiers numériques nécessite que l’usager attribue un sens au balisage qui dépasse celui d’outils à faire fonctionner pour les vivre plus symboliquement comme des marqueurs de l’identité d’une ville et d’un quartier. Ce processus de requalification des outils en marques (Jeanneret, 2012) pourrait venir compenser par l’imaginaire une visibilité et une reconnaissance sociales déficientes.

 

Note de positionnement scientifique

– Section scientifique de rattachement des deux auteurs : 71ème section, sciences de l’information et de la communication.

– Méthode d’analyse :

L’analyse de l’émergence de l’imaginaire d’un rapport aléatoire à l’information touristique en ville avec l’introduction du numérique s’inscrit dans la continuité de recherches effectuées antérieurement sur le fonctionnement de sites web dans le domaine du tourisme. L’analyse montrait le processus de représentation par les dispositifs de communautés sociales imaginaires et son pouvoir d’enrôlement des internautes dans la production de l’information sur les sites (Tardy, Davallon, 2012). On constate qu’en passant de sites web dans le tourisme qui reporte la production de l’information vers les usagers à un type de parcours urbain faisant appel au numérique, la logique de l’aléatoire dans la prise d’informations est un processus qui se développe. Cependant, les formes de dispositifs permettant ce fonctionnement aléatoire restent à trouver. En s’éloignant d’une structuration des composants documentaires figée par le concepteur, il reste à savoir comment concevoir des structures de surface programmable par l’usager (Leleu-Merviel, 2005), dès lors que les objets culturels ne sont pas articulés à la réalité contextuelle de l’usager, à sa manière d’accéder puis d’interagir avec les composants informationnels. Par rapport aux recherches antérieures, nous proposons d’explorer la dimension aléatoire de la prise d’informations dès lors que l’on n’a plus affaire à une unité fonctionnelle délimitée matériellement telle que l’ordinateur mais à une situation urbaine piétonne pour laquelle la « navigation » aléatoire pose des problèmes d’une autre ampleur.

Le cas des Sentiers Numériques d’Arles a été abordé dans le cadre d’une étude d’usages insérée dans le processus de la conception du dispositif, financée par le Programme PACALabs (soutenir l’innovation numérique en Provence-Alpes-Côte d’Azur). Même si cette étude nourrie notre réflexion, la communication proposée ne porte pas sur celle-ci. D’une part, elle prend le cas du premier Sentier Numérique entièrement réalisé – et non son expérimentation partielle –, d’autre part, elle s’engage dans une analyse plus large de ce qui fonde l’imaginaire de la conception de tels objets culturels.

La communication proposée s’appuie sur l’analyse socio-sémiotique de ce dispositif de parcours urbain afin de comprendre précisément les modalités de prises d’information pensées pour l’usager, les impasses qu’elles semblent contenir par rapport aux parcours traditionnels, et du coup l’imaginaire du rapport à l’information et de la ville « numérique » qui les supportent. Nous intégrons également  l’analyse du discours d’accompagnement par les concepteurs (discours écrit des concepteurs eux-mêmes et discours des concepteurs médiatisés par la presse) pour discuter de l’imposition d’une logique de marque et non d’outils, dans la revendication, pour ce dispositif, de l’incarnation d’une ville plutôt qu’une découverte opérationnelle.

Terrain d’étude :

Le projet des Sentiers Numériques est lancé en février 2013 dans la ville d’Arles après une phase d’expérimentation. Pour les concepteurs, il s’agit d’un parcours « Patrimoines & Culture », qui se veut être en relation avec un traitement innovant de la thématique patrimoniale, en faisant référence à la fois à l’histoire plus intime du quartier, à l’actualité culturelle, au jeu, à la tribune libre, au sens pratique. Ce dispositif se caractérise par l’implantation de bornes lumineuses totalement intégrées dans les murs de la ville (usage des boîtiers électriques) sur lesquelles s’affichent un texte accompagné d’une image et une invitation à télécharger avec son Iphone une information plus approfondie. Les concepteurs revendiquent un positionnement des Sentiers Numériques auprès des touristes comme des habitants.

– Références bibliographiques :

Davallon, J. 2012. « Du numérique pour la culture à la culture numérique ? », Actes de la 2ème Journée scientifique internationale du Réseau MUSSI, Rio de Janeiro, 24, 25 et 26 octobre 2012, p. 21-36.

Davallon, J. (dir.). 2012. L’économie des écritures sur le web. Vol. 1 Traces d’usage dans un corpus de sites de tourisme. Paris : Hermès Sciences-Lavoisier. (Coll. « Ingénierie représentationnelle et construction de sens ».)

Gentès, A., Jutant, C. 2011. « Expérimentation technique et création : l’implication des utilisateurs dans l’invention des médias », Communication et langages, 168, p. 97-111.

Harris, R. 1994. Sémiologie de l’écriture. Paris : CNRS Éditions.

Jacobi, D. 2006. « La signalétique conceptuelle entre topologie et schématisation : le cas des parcours d’interprétation du patrimoine », p. 37.48, in Indice, index, indexation, sous la direction de Kovacs & Timini. ADBS.

Jeanneret, Y. 2012. « Analyser les réseaux sociaux en tant que dispositifs info-communicationnels : une problématique », Actes de la 2ème Journée scientifique internationale du Réseau MUSSI, Rio de Janeiro, 24, 25 et 26 octobre 2012, p. 39-61.

Lakel, A., Massit-Folléa, F., Robert, P. (dir.). 2009. Imaginaire(s) des technologies d’information et de communication. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de la maison des sciences de l’homme. Disponible sur internet : http://books.openedition.org/editionsmsh/72

Leleu-Merviel, S. 2005. « Structurer la conception des documents numériques grâce à la scénistique », p. 151-181, in Création numérique : écritures-expériences interactives, sous la direction de Leleu-Merviel, S. Paris : Éditions Hermès, Lavoisier.

Marin, L. 1994. « La ville dans sa carte et son portrait », p. 204-218, in De la représentation. Paris : Gallimard / Le Seuil.

Tardy, C., Davallon, J. 2012. « La constitution de corpus d’identités entre calcul et témoignage », p. 153-188, in L’économie des écritures sur le web. Vol. 1 Traces d’usage dans un corpus de sites de tourisme, sous la direction de Davallon, J. Paris : Hermès Sciences-Lavoisier. (Coll. « Ingénierie représentationnelle et construction de sens ».)

Topalian, R., Le Marec, J. 2008. «Visite + : innover dans l’interactivité », La Lettre de l’OCIM, n°118, juillet-août, p. 22-31.



[1] Voir la présentation du terrain d’étude dans la note de positionnement scientifique.

Plus d’infos sur le programme du colloque scientifique LUDOVIA 2013 ici

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