Le livre numérique fait l’objet de nombreuses études, dont l’accroissement se trouve paradoxalement confronté aux conclusions selon lesquelles, le livre numérique est d’un marché « naissant ».
L’intérêt des commanditaires paraît alors plutôt concerner l’évaluation des risques et la prise de décision prospective. Au sein des professions livre, les résistances qui s’expriment à l’encontre des objets numériques semblent reposer sur des craintes économiques : craintes du plagiat chez les auteurs qui menace la rémunération des auteurs ; craintes du renforcement des intérêts financiers des industriels chez les éditeurs ; craintes de la disparition des libraires etc.
Mais qu’en est-il de l’accès ou de la transmission du savoir ? Le renforcement des dispositions législatives sur la protection du plagiat alors que des dispositifs « open access » se mettent en place, favorisant l’accès à la connaissance. L’émergence de tensions entre droit de l’auteur et droit du lecteur, porte à rappeler le constat de Roger Chartier selon lequel la nécessaire redéfinition du livre qui s’est posée au tournant numérique a été un préalable à la mise en place d’un accès payant aux productions numériques.
Les discours alarmistes des professions du livre visant également la qualité des œuvres produites sont renforcés par les discours récurrents sur la baisse de la lecture. Ces derniers étant le produit d’un lot de confusions à réévaluer sur la définition des objets de lecture (lecture = lecture de livre, lecture de livres = lectures de textes littéraires = de romans) ; mais aussi des manières de lire (légitimant d’une part les lectures esthètes – rares- au détriment des pratiques d’évasion – répandues et d’autre part les lectures désintéressées au détriment des lectures utilitaires (pour apprendre ou se parfaire).
Ces considérations coexistent avec une conception de la lecture comme pratique socialisée. Ainsi favoriser le prêt l’échange ou le don en assouplissant les DRM et en permettant l’interopérabilité des supports, est une solution envisagée pour recentrer la fonction de conseil et de formation à la lecture que remplissent les médiateurs traditionnels du livre, dont la présence est d’autant plus centrale qu’elle concerne les jeunes lecteurs : libraire, bibliothécaire, prescripteur et enseignant, face aux industriels de la lecture dont les conseils sont le fait d’algorithmes.
Le secteur spécifique de la jeunesse pose des questions d’ordre idéologique qui reposent sur des conceptions différentes des lecteurs : un public fragile à protéger par des lois de censure vs des individus dotés de capacité d’action et de réflexivité. Par ailleurs, la forte production numérique pour la jeunesse alors que cette littérature a gagné en légitimité dans les dernières décennies en fait aussi un lieu d’innovations. Ainsi, l’accès à la lecture pour tous porte à analyser à la fois les obstacles à la mise à disposition des textes, la diversité des publics (en marge des profils-types que dressent les études de marché), enfin le rapport entre manières de lire (goût et intérêt perçu) et compétences de lecture (illettrisme).
Les liens entre générations d’une part, entre grand public et spécialiste d’autre part, pourrait bien constituer un défi à relever. Par conséquent, interroger la transmission des savoirs « pour tous » invite à se pencher sur plusieurs éléments :
- l’offre en direction des publics empêchés, relativement faible pour des questions juridiques et mal repérable pour des raisons de diffusion.
- Sur le plan des compétences, la lecture numérique requiert, en plus des savoir-faire liés à la lecture analytique ou d’étude, l’acquisition de compétences documentaires (compréhension du contexte d’édition, lecture rapide et sélective) dans un environnement propice à la surcharge cognitive.
- L’état de la transmission du savoir scientifique pointu aux jeunes publics pourrait également s’éclairer par la formation majoritairement littéraire et SHS des créateurs et des médiateurs et la faible proportion d’experts scientifiques.
- Les analyses de genre offrent quant à elles des éclairages quant à la place des femmes dans la formation au goût et la conscience des bénéfices de la lecture. Leur proportion dans les métiers du livre (écriture, édition, librairie, bibliothèque), dans l’enseignement de la lecture, la proportion des lectrices, et au sein de la vie familiale la place des femmes dans les fonctions de transmission du désir de culture ou encore dans la prise en charge des lectures du soir.
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Voir la bio de Fanny Mazzone sur Ludovia 2014