La science-fiction, qu’il s’agisse de la littérature ou du cinéma, est une bonne façon d’entrer dans les imaginaires numériques contemporains. Il est intéressant de se demander comment la science-fiction se saisit d’une problématique majeure des technologies numériques, celle des interfaces. Comment imagine-t-on demain notre connexion avec les machines, et plus largement avec l’infosphère, à laquelle ces machines nous donnent accès ?
La question des interfaces numériques mobilise aujourd’hui les ingénieurs, qui tentent d’aller vers des solutions toujours plus « conviviales » (efficaces, simples, intuitives) pour faire communiquer l’homme la machine ; mais depuis longtemps les auteurs de SF se sont également saisis de cet enjeu de l’interface, qui apparaît en effet comme un nœud essentiel de la relation homme-machine. De la nature de ces interfaces dépendra pour une large part la nature de cette interaction.
Cette communication se propose d’explorer les imaginaires de science-fiction autour des possibles évolutions de ces interfaces, dont découlent des configurations de rapports homme-machines bien différentes. A travers divers exemples d’oeuvres de SF, nous souhaitons développer deux idées-forces :
- L’intégration biologique croissante des interfaces. Sans aller jusqu’au cyborg, mi-homme mi-machine (bien incarné au cinéma par le Robocop de Paul Verhoeven), la SF a un faible pour l’interpénétration de l’organique et de l’électronique : il peut s’agir d’implants électroniques permettant à l’homme de communiquer plus vite et mieux avec les machines, mais parfois aussi d’interfaces quasiment organiques comme les biopod d’Existenz, de David Cronenberg. Cette « convergence Nanosciences Biologie Informatique Cognition » est appelée de leurs vœux par les tenants de la post-humanité, qui rêvent de cette fusion de l’homme et de la machine.
- Les interfaces numériques imaginées par la science-fiction sont très marquées par le paradigme de la réalité virtuelle. Il s’agit souvent de technologies lourdes, reprenant parfois les casques et gants des premiers prototypes de réalité virtuelle, mais plus souvent encore imaginant des techniques encore plus immersives, comme des caissons de réalité virtuelle donnant accès à une réalité virtuelle très réaliste. Ce type d’interface engendre une relation avec l’infosphère assez particulière : très immersive (via des univers virtuels), exclusive et excluante (induisant une coupure avec le monde réel). L’interface hard (le caisson ou le casque de réalité virtuelle), se double d’une interface soft, sous la forme d’un avatar que l’on pilote dans la réalité virtuelle.En ce domaine, la science-fiction a indubitablement ouvert la voie, puisque c’est à écrivain de SF, William Gibson, que l’on doit la notion de cyberspace (dans son roman Neuromancien, de 1984), conçu comme une « hallucination consensuelle » qui permet aux humains de naviguer dans une sorte de réalité virtuelle abstraite représentant les paquets d’informations stockés dans le réseau informatique mondial.
Mais la science-fiction trouve aussi ses limites avec sa fascination pour le paradigme de la réalité virtuelle, qui lui fait peut-être négliger d’autres évolutions actuelles des interfaces. Internet n’est toujours pas une « réalité virtuelle » remplaçant notre monde ; on s’y connecte toujours au moyen d’interfaces désormais classiques : clavier-écran-souris. La véritable révolution tient plutôt dans la miniaturisation et la portabilité de ces interfaces : avec les notebooks, les tablettes et les smartphones, on a désormais la possibilité d’une connexion permanente et ubiquiste avec l’infosphère.
Cette connexion ne se substitue pas à la réalité, ne l’abolit nullement, mais au contraire vient l’enrichir : le paradigme de la réalité augmentée, qui vient ajouter une couche d’information au réel, semble encore assez peu développé dans l’imaginaire de SF, à quelques exceptions près.
Note de positionnement scientifique
Section de rattachement CNU : 23 (Géographie)
Cette communication se rattache à la géographie des représentations, appliquée au domaine du numérique.
La géographie s’intéresse au numérique parce que les TIC lui offrent un nouveau monde à explorer :
- D’abord, les TIC modifient notre rapport à l’espace géographique, en modifiant les notions de temps, de distance, et de situation dans l’espace (avec la géolocalisation)
- Ensuite, les TIC révolutionnent la représentation cartographique de l’espace, à travers les SIG, l’imagerie satellitaire, etc.
- Enfin, les TIC créent de nouveaux espaces virtuels, qui ont leur propre géographie. Il peut s’agir d’une géographie matérielle (des câbles, serveurs et terminaux Internet, par exemple), mais aussi d’une géographie virtuelle (les espaces virtuels des jeux vidéos, par exemple, ont aussi une géographie propre…)
Le numérique est donc bien un objet géographique, qui bouleverse la géographie réelle, et constitue même un monde géographique virtuel. Cet univers numérique est également l’objet de représentations, qui peuvent être étudiées en tant que telles, comme pour tous les autres objets géographiques.
La méthode d’analyse de ces représentations est ici l’analyse et la comparaison de discours : en l’occurrence, le discours, les représentations, et l’imaginaire véhiculés par les œuvres de science-fiction, autour de la question des interfaces numériques.
Plus d’infos sur le programme du colloque scientifique LUDOVIA 2013 ici