POINT DE VUE

Numérique & illettrisme : des usages riches et variés, mais pas généralisés

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Le 9 février 2012, à l’invitation de l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme (ANLCI), une centaine d’acteurs de l’éducation, de l’action sociale, de l’insertion, de la formation et de l’entreprise se sont retrouvés à Lyon pendant deux jours. Il s’agissait de partager nos pratiques et nos interrogations sur la place et l’impact du numérique dans les actions de prévention et de lutte contre l’illettrisme.

Très clairement, la question n’est plus de savoir si nous devons, ou non, intégrer le numérique dans nos organisations, mais quand et avec quelles intentions et avec quelles stratégies ?

A l’évidence, le numérique est de plus en plus présent dans nos vies personnelle, sociale et professionnelle. Sachant que sur les trois millions d’illettrés en France, une personne sur deux travaille, cette réalité peut vite devenir problématique ; capacités à rendre compte via un écran à son hiérarchique, conduire un chariot élévateur avec de l’informatique embarquée, activer un GPS équipant son véhicule de livraison ou gérer les téléalarmes dans les lieux de vie sous sa responsabilité.

Dans sa vie personnelle, la maîtrise du numérique est aussi utile pour bénéficier de tarifs intéressants via des achats en ligne (SNCF ou autre), s’inscrire pour profiter du covoiturage (consommation collaborative) ou bien participer à la vie associative de son quartier avec les mails d’invitation, associés à des plannings partagés (utilisation de Doodle, par exemple). Suivre les résultats scolaires de ses enfants sur l’ENT ou tenir à jour ses dossiers auprès des services sociaux, nécessitent aussi un savoir-faire numérique.

Au regard de ces enjeux multiples, le numérique apparaît, dans le champ de la formation, autant comme une ressource à mobiliser, une compétence à développer, mais aussi un enjeu sociétal à relever.

Les ressources numériques, le plus souvent en ligne, permettent d’enrichir et diversifier les situations d’apprentissage en les rendant plus souples, plus attractives et donc plus efficaces. La multi-canalité (image, son, texte et hyperlien – voir le DVDROM «ASSIMO») est un atout majeur du numérique : la dimension collaborative et la déclinaison du concept de distance via Internet, un second.

Au cours de ces rencontres, le projet porté par Formagraph (Besançon) d’un premier Serious Game spécifiquement conçu pour des adultes illettrés, a été présenté.

Au sein de l’Agora mis en place par l’ANLCI, d’autres ressources en ligne ont été exposées : «DALIA»  d’Éducation & Formation, «le Pavillon des apprentissages» de l’INSUP Aquitaine, «1001 lettres» d’OPCA-Lia, la plate-forme «EDA» de l’E2C de Marseille, la plate-forme «IGERIP» de Genyx/Gerip,  «LA CLÉ DU SAVOIR» de Recife, «ALICIA» de Redip, plus les ressources d’e-Doceo et Woonoz.

L’ANLCI présentait «EVADO», ressource en ligne d’évaluation de l’ANLCI, développée en partenariat avec, entre autre, le CNFPT.

Aujourd’hui, les acteurs de la formation qui travaillent sur l’intégration des ressources numériques, disposent de plusieurs solutions pour conforter des ingénieries associant du présentiel (majoritairement) avec du distanciel. Ces professionnels (AFPA, APLI, APP, ASF, CFA, Centres Sociaux, E2C, ESAT, GRETA, OF et autres…) s’appuient sur les ressources des éditeurs cités ci-dessus. Ils peuvent aussi mobiliser des outils de type Web 2.0 ou des ressources en lignes accessibles via Internet, ou bien, un pragmatique mixte de ces différentes options.

Cette compétence, portée par l’Union Européenne comme l’une des huit Compétences-Clés, vise à développer et à consolider le meilleur usage des machines donnant l’accès aux ressources digitales, avec un clavier ou sans, connectées ou pas, mobiles ou non, pour agir sereinement dans les actes de la vie quotidienne avec le plus d’efficacité possible. Il s’agit de mettre en place des actions de maîtrise, progressive et adaptée, des TIC par les TIC.

On retrouve ici la logique de double piste, prônée par Bertrand Schwartz , pour donner du sens aux activités d’apprentissage des adultes. Plusieurs témoignages ont souligné que cet enjeu ne concernait pas seulement les apprenants, mais aussi une partie des membres des équipes pédagogiques. La question de la culture numérique des acteurs du champ de la formation a été, à plusieurs reprises, mentionnée.

Dans certains cas, les apprenants, de type «Digital Native», c’est-à-dire ceux nés avec Internet, bien qu’illettrés, peuvent avoir une culture numérique plus marquée que leurs formateurs. Ce constat peut créer des opportunités pour mettre en place des actions où le partage de culture sera un élément de reconnaissance particulièrement intéressant de ces apprenants, même si, par ailleurs, ils ont besoin d’une médiation pour exploiter cette culture dans la maîtrise des savoirs de base.

Si le numérique (machine, outil, ressource ou usage) n’est qu’un moyen, il n’en demeure pas moins qu’il réinterroge de plus en plus fortement nos pratiques de formation et nos repères culturels; avec le constat que dans la grande majorité des cas, la technologie domine la pédagogie, sans vraiment nous laisser le temps de se l’approprier, à titre individuel et à titre collectif.

L’écran concurrence dangereusement le papier : le texte s’efface devant le visuel, le livre disparaît devant le numérique ; de Johannes Gutemberg  à Steve Jobs  …

De fait, les apprenants ont une culture de plus en plus marquée, de l’image, de la création, de l’échange, du partage, de la collaboration, de l’initiative, du réseau, mais aussi de l’instantanéité, de la copie, du jeu, de la tribu, du téléchargement, du jugement, du zapping, du scanning, de la consommation, dont le numérique est l’incontournable vecteur.

Le numérique ouvre des champs neufs où l’apprenant peut se positionner et interagir différemment. De nouveaux comportements et usages apparaissent, avec des compétences inédites. L’usage du numérique, par la prise en compte de ces savoir-faire informels, souvent à consolider, peut constituer une stratégie pour une meilleure implication dans leur parcours de formation. En tant qu’acteurs du savoir, une partie de notre travail, dans ce contexte numérisé, semble devoir s’articuler sur un axe allant de l’écran vers l’écrit.

Les témoignages apportés dans les différents ateliers, en particulier ceux des acteurs des Centres de Ressources Illettrisme (CRI) des régions Auvergne, Basse-Normandie et Limousin, ont mis l’accent sur les points de vigilance utiles pour piloter ces projets dans le temps. Ils ont décrit les conditions concrètes d’intégration du numérique.

Il s’agit de mettre en place des parcours adaptés, ou des séquences innovantes, aux bénéfices des adultes en situation d’illettrisme. En même temps, un accompagnement des apprenants est incontournable, en particulier sur la question de l’identité numérique, pour qu’ils soient le plus à l’aise possible dans cette nouvelle société numérique (mais aussi marchande) se développant sur tous les territoires, y compris ruraux.

En 2012, les usages du numérique en formation sont riches, variés, mais loin d’être généralisés ;
la fracture numérique ne porte pas vraiment sur les accès (relais possibles avec les bibliothèques, P@T, EPN, etc…), mais sur les usages ;

bien évidemment plus du coté des apprenants peu qualifiés, mais aussi toujours, du coté d’une partie des formateurs, et surtout, des bénévoles plus ou moins impliqués dans ces actions. Les questions portant sur la professionnalisation des acteurs, en particulier liée à la nouvelle culture collaborative du Web 2.0, sur la mutualisation des pratiques (pas assez marquée) et sur la veille des technologies et des outils (pas assez ciblées), ont été abordées lors du barcamp en fin de la première journée. A noter que ce barcamp avait été préalablement initié par un Wiki (les TIC par les TIC, avec le constat d’un usage relativement faible) qui est toujours présent et actif sur le site du FFFOD.

Les participants à ces rencontres sont aujourd’hui ambassadeurs de la nécessaire évolution numérique des ingénieries de dispositifs de formation pour ces publics, avec plus d’ouverture et de distances, d’abord pédagogique, mais aussi culturelle et organisationnelle.

Le passage du «tableau scolaire» à la «tablette numérique» pour un usage ajusté du numérique pour tous nous semble constituer, au delà de la formule, une problématique de premier plan, pour la cohésion sociale de nos territoires…

Source : article rédigé par Jean Vanderspelden, consultant ITG
pour le compte du FFFOD (www.fffod.fr)
Contact : jean.vanderspelden@free.fr – www.iapprendre.fr

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