Ce rapport est le résultat d’une enquête menée dans les établissements scolaires de six académies, ainsi que dans trois pays étrangers. Elle a conduit au constat d’une forte inégalité des chances entre les élèves et de l’incapacité de l’éducation nationale à atteindre les objectifs que lui assigne la loi (100% d’élèves diplômés ou qualifiés à la sortie de l’enseignement secondaire, 80% au niveau du baccalauréat et 50% de diplômés de l’enseignement supérieur).
Des résultats peu satisfaisants
Les enquêtes nationales indiquent qu’à la fin de la scolarité obligatoire la proportion d’élèves éprouvant des difficultés sérieuses en lecture augmente depuis 2000 et atteint 21%. Les comparaisons internationales montrent que l’écart entre les meilleurs élèves et les élèves en difficulté ne cesse de progresser. Le recul des résultats globaux de la France, qui se situe dans la moyenne de l’OCDE, s’explique essentiellement par l’aggravation des résultats des élèves en difficulté.
La France est un des pays où les destins scolaires sont le plus fortement corrélés aux origines sociales : 78,4% des élèves provenant de catégories sociales favorisées obtiennent un baccalauréat général, contre seulement 18% des élèves d’origine sociale défavorisée.
Le système scolaire français n’atteint pas l’objectif de 50% de diplômés de l’enseignement supérieur : ce taux n’est que de 41 %, dont seulement 27% au niveau licence et plus, contre par exemple 48% au Canada ou 40% aux Etats-Unis.
Une allocation des moyens trop uniforme et des coûts trop souvent mal connus
L’enseignement scolaire public coûte 53 milliards par an pour 10 millions d’élèves. Avec environ 3,9% du PIB, l’efficience du système scolaire français se situe dans la moyenne de l’OCDE.
Le ministère ne connaît pas le coût des politiques éducatives ou des établissements d’enseignement. Il ne répartit pas systématiquement les moyens en fonction des objectifs qu’il affiche : ainsi, il veut baisser les redoublements, mais il continue à se fonder sur le nombre d’élèves, quel que soit leur retard scolaire éventuel, pour calculer les moyens des établissements. De même, l’école primaire est proportionnellement moins financée que dans les pays comparables, alors que l’échec scolaire commence à se constituer à ce niveau. Les moyens restent en fait majoritairement répartis comme si l’offre scolaire devait être uniforme sur tout le territoire.
Enfin, l’offre d’options reste coûteuse dans le second degré : compte tenu des contraintes budgétaires, elle diminue les moyens disponibles pour aider les élèves en difficulté et elle augmente les effets de concurrence entre établissements.
Une organisation du service des enseignants tenant insuffisamment compte des besoins des élèves
Dans le second degré, 48% des enseignants débutent leur carrière sur des fonctions instables de remplacement et 18% sur des postes d’éducation prioritaire figurant parmi les plus difficiles.
En outre, la définition du service des professeurs du second degré n’a pas évolué depuis soixante ans. En dépit de la forte implication individuelle des enseignants, elle est aujourd’hui inadaptée aux missions que la loi leur fixe, ce qui conduit à un développement désordonné, et parfois irrégulier, de mesures visant à reconnaître et rémunérer les activités de soutien et de suivi des élèves, d’accompagnement personnalisé ou de concertation des équipes pédagogiques.
Une organisation des parcours qui prend insuffisamment en compte les besoins des élèves
La France est le pays qui a à la fois l’année scolaire la plus courte et une des journées les plus longues. Le rythme journalier est encore alourdi pour les élèves en difficulté, alors qu’ils sont précisément les plus touchés dans leurs apprentissages par des journées surchargées.
Les élèves sont peu suivis dans la durée : leur parcours scolaire apparaît, non comme un processus construit, mais comme l’addition d’appréciations indépendantes les unes des autres et dépourvues d’une visée d’ensemble cohérente.
Dans le second degré, la moitié des classes sont officieusement des « classes de niveau », alors même que le ministère les interdit, car les établissements qui ont des classes hétérogènes obtiennent de meilleurs résultats.
L’orientation se fait souvent par l’échec. Elle reflète une forte inégalité sociale : un enfant d’ouvrier non qualifié a cinq fois moins de probabilités d’obtenir un baccalauréat général qu’un enfant de cadre, mais en revanche neuf fois plus de n’avoir aucun diplôme. Elle dépend beaucoup de l’offre scolaire existante : les différences de parcours observées entre les académies sont à la fois très nettes et très stables.
L’importance du recours au redoublement caractérise la France : à 14 ans, près de 250.000 élèves ont déjà redoublé au moins une fois, bien que le ministère reconnaisse lui-même que le redoublement, dont le coût est évalué à 2 Mds€, est inefficace. Il est par ailleurs révélateur d’une inégalité sociale marquée : les enfants de personnes sans activité sont beaucoup plus souvent en retard à l’école primaire (34,1%) que les enfants de cadres (4,4%).
Les recommandations de la Cour
Le système scolaire français est resté fondamentalement inchangé depuis des décennies, alors même que ses objectifs ont évolué : ainsi, la définition de l’activité des enseignants a été fixée en 1950, quand le taux de bacheliers était de 5%, et le système reste très majoritairement géré par le haut, alors que la difficulté scolaire ne peut être connue et traitée qu’à la base.
Les recommandations de la Cour visent à promouvoir une nouvelle organisation du système scolaire, en tirant toutes les conséquences de la décision fondamentale qu’a prise la Nation en se fixant, dans la loi pour l’avenir de l’école de 2005, l’objectif d’atteindre la réussite de tous les élèves.
Le système scolaire doit passer d’une logique de gestion par une offre scolaire uniforme – qui est inefficace, qui l’épuise financièrement et qui est contraire à l’égalité des chances -, à une logique de gestion par la demande scolaire, c’est-à-dire fondée de façon prioritaire sur la prise en compte des besoins très différents des élèves.
La Cour recommande, en premier lieu, d’évaluer les besoins d’accompagnement personnalisé des élèves, qu’ils soient pris en charge dans le cadre de l’enseignement habituel ou par des aides supplémentaires. Ces besoins ne sont actuellement pas mesurés par le système scolaire : ce critère doit désormais être pris en compte pour fixer les moyens affectés aux établissements ; il doit également permettre de renforcer le niveau où commence à se constituer la difficulté scolaire, c’est-à-dire l’école primaire.
En outre, le système scolaire doit arbitrer entre les moyens disponibles, non seulement en ne finançant plus des pratiques dont l’inefficacité est avérée – telles que, par exemple, le redoublement -, mais également en procédant à une forte différenciation selon les établissements, tout en respectant la garantie fondamentale, donnée à tous les élèves, qu’ils atteindront le socle commun de connaissances et de compétences défini par la loi.
Par ailleurs, le système scolaire ne pourra progresser qu’avec les enseignants et les responsables d’établissement, d’autant plus qu’ils en subissent aujourd’hui les contraintes. C’est aux acteurs directs du système scolaire, et non à des échelons administratifs plus ou moins éloignés, que la responsabilité doit être donnée de procéder aux arbitrages nécessaires, en fonction des besoins des élèves, entre les heures de cours, les dispositifs de soutien, les heures consacrées au suivi ou à la méthodologie, etc. : la Cour recommande que la communauté éducative – c’est-à-dire les responsables d’établissement et les enseignants – soit désormais chargée de la répartition de l’ensemble des moyens d’enseignement affectés à l’établissement.
La contrepartie nécessaire de l’autonomie est l’évaluation : la Cour recommande d’engager une évaluation systématique du coût et de l’efficacité des dispositifs éducatifs et des établissements, que le système scolaire ignore très largement aujourd’hui, ce qui nuit directement à son efficacité.
Enfin, pour les établissements les plus confrontés à la difficulté et à l’échec scolaire, il est nécessaire de garantir des moyens exceptionnellement renforcés et inscrits dans des contrats à long terme, ainsi que la stabilité des équipes éducatives, notamment en systématisant l’affectation sur ces postes difficiles d’enseignants particulièrement formés et expérimentés.
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