Ce sont soit des transpositions de contenus présents sur d’autres supports tels des sites web ou des journaux papier, soit des applications avec du nouveau contenu. Dans les deux cas, sans pour autant que l’on puisse parler de «modèles natifs», selon l’expression de Philippe Quinton[1] à savoir des modèles propres à telle ou telle technologie numérique, on constate néanmoins que les processus d’adaptation ou de transposition influent sur notre rapport au texte, sur notre manière de lire, de nous informer.
Ainsi, si les applications de la presse pour iPhone ne présentent rien de révolutionnaire -quoiqu’en disent les médias- au niveau des modèles constitués de listes, onglets et boutons, elles invitent cependant à une lecture ou prise d’information renouvelée car intensément sélective, focalisée exclusivement sur une partie du contenu. Dans un mode d’organisation et un parcours de travail simplifiés au maximum pour s’ajuster aux contraintes de la taille de l’écran, les applications informatives proposent une expérience de lecture dite «utilitaire» car dépourvue d’un design d’interface porté sur l’identité de marque, hormis les couleurs et le logo.
L’usager n’a plus de point de vue globalisant, la liste procédant par succession mais pas par simultanéité et englobement de l’information dans un ensemble. Ces adaptations à l’écran de l’iPhone favorisent une lecture par manipulation en choisissant dans une liste, par recontextualisation du contenu que l’on peut placer dans «mes favoris» par exemple et que l’on peut hiérarchiser sur d’autres critères que des choix éditoriaux notamment en consultant «les plus lus» ou en recommandant sa sélection. Sans que l’usager soit forcément dans un cadre de mobilité, la mobilité est dans l’information à manipuler, à recontextualiser.
Qu’en est-il de nos pratiques de lecture sur tablettes tactiles ?
Retenant un corpus de 20 applications iPad dans le monde de la presse et de l’édition, nous proposons d’analyser les opérations sémiotiques de répétition, d’augmentation, d’effacement, … liées aux processus de transposition et d’adaptation des contenus sur support Web ou/et papier vers la tablette tactile. Quels sont les effets de sens sur notre prise d’information dans le cadre de la mobilité ?
Pour analyser ce qui est proposé à l’usager au niveau de l’expérience de lecture, d’écriture dans les transpositions de contenus du support papier ou support ordinateur dans les applications pour Ipad, nous avons regardé, pour chaque application, les types d’opération effectuées aux niveaux[2] :
-du support matériel figuré : l’interface graphique d’un site ou d’une application se présente sous forme de métaphore. Ce peut-être la métaphore d’un tableau, d’un cadre, d’un bureau, d’une page, d’une fenêtre, d’un livre ou de tout autre objet.
-du support formel : le mode d’organisation du contenu sur la page peut être une grille, un carrousel, un menu accordéon, la forme d’un cadre, d’un diaporama… ; la répartition de l’image, du texte, l’hypertextualité ou la linéarité du contenu ; plus globalement l’architecture de l’information ;
-du support ergodhique[3] ou parcours de travail (ce que l’on appelle habituellement et par métaphore parcours de navigation). Ce niveau comprend les modes d’interaction avec le contenu (voix, clic, glissement du doigt, …), les fonctionnalités (impression, archivage, sélection, commentaire, partage, …)
-du contenu (choix d’information exclusive pour le support, complémentaire, redondante, …).
La révolution[4] tant annoncée des pratiques de lecture via l’iPad est-elle au rendez-vous ? Les applications sont-elles pensées pour la mobilité de l’usager et de l’information ? C’est à ces questions que notre papier tente de répondre.
Communication Scientifique Ludovia qui sera présentée le 30 aout 2011 par Nicole Pignier (PIGNIER Nicole – Les applications pour tablette mobile sont-elles pensées pour la mobilité ? Le cas des applications de la presse pour l’iPad.)
Notes
[1] Cf. Quinton, P. [2009] : « Multimédias : une sémiotique de la transposition », in Pignier, N. (dir.) : De l’expérience multimédia. Usages et pratiques culturelles, Paris, Hermès-Lavoisier. P. 53-65.
Quinton, P. [2008] : Le discours du support. Nouveaux Actes Sémiotiques [ en ligne ]. Actes de colloques, Vers une sémiotique du medium. Disponible sur :
[2] Ces concepts sont précisés dans Pignier, N. et Drouillat, B., [2008] : Le webdesign. Sociale expérience des interfaces web, collection « forme et sens », Paris, Hermès-Lavoisier.
[3] Nous reprenons du chercheur et designer américain Espen J. Aarseth (1997) le qualificatif « ergodique », du grec ergon et hodos qui signifient respectivement « travail » et « chemin », la « page-écran » offrant un travail de construction physique du parcours de l’information et du trajet de manipulation, d’échange de l’information. Le designer américain a supprimé le « h » de hodos que nous rétablissons par souci de pertinence du néologisme quant à son étymologie. Cf. Espen J. Aarseth, 1997, Cybertext: Perspectives on Ergodic Literature, Johns Hopkins. University Press.
[4] Cf. Présentation de l’iPad par Steve Jobs en janvier 2010 http://www.thesiteoueb.net/modules/news/article.php?storyid=4226 ainsi que l’article de Delphine Saba