Pourtant, alors que la thématique est porteuse du côté de l’institution, il semble que pour les utilisateurs, l’omniprésence du réseau et ses accès dans la quasi intégralité des centres urbains ne relèvent pas nécessairement d’une perception de mobilité. Dans l’espace social, « être mobile » et « mobilité » font en effet référence à des représentations collectives bien établies. Sans être en désaccord manifeste avec les connotations théoriques des chercheurs, ces représentations sont centrées sur les modalités de transport et les vicissitudes professionnelles. Concernant les premières, il serait tentant de convoquer des travaux sur l’identité et les mythèmes associés aux véhicules (Barthes) car des analogies existent d’une technique à une autre. Il n’est cependant pas possible de les transposer directement au cas particulier des transports qu’est celui de l’information par les outils numériques. Les secondes, celles qui sont liées à la disponibilité professionnelle, font implicitement référence à un nomadisme compris comme une pérégrination géographique entre propositions d’activité. On s’y rend d’ailleurs en étant porteur d’un viatique de contenus, des données stockées dans la mémoire d’un bagage numérique nommé mobile, notebook ou portable.
Qui dit nomadisme ne dit pourtant pas nécessairement mobilité. Les mythes, qui sont des leçons anthropologiques, proposaient des couples d’opposés entre nomades et sédentaires comme Caen et Abel, Romus et Rémulus. La ville émerge comme lieu de culture protégé du monde environnant dont les cultures sont agonistes car elles refusent la fixité et valorisent le dénuement (Temudjin 1167-1227). Pourtant, elles montrent elles aussi une certaine fixité car le nomadisme n’est pas de l’errance. Ses pérégrinations sont le plus souvent restreintes à l’occupation temporaire mais régulière de lieux appropriés et marqués. Ces lieux forment un territoire ou tout au moins un espace connu et éventuellement partagé avec des règles de stationnement et de transit. Le nomade est un sédentaire qui se déplace dans un espace qu’il ne peut occuper en totalité de manière permanente mais qu’il habite dans son imaginaire. Il ne devient donc possible d’évoquer la notion de nomadisme qu’à la condition d’identifier cet espace, avec ses marqueurs et ses frontières.
En ce qui concerne l’utilisation des réseaux numériques, deux situations doivent au minimum être envisagées. La première est physique : c’est d’une part la zone géographique que parcourt physiquement un individu pour parvenir à se connecter et d’autre part l’aspect physique de l’appareil qu’il utilise pour se connecter et qui abrite ses données personnelles. La seconde zone géographique éligible est l’Internet qui reproduit toujours davantage les objets numériques dans l’espace dématérialisé avec par exemple des disques durs, des logiciels et des émulateurs de systèmes d’exploitation fonctionnant exclusivement en ligne et simulant autant d’ordinateurs virtuels.
C’est pourquoi cette communication propose dans un premier temps une approche définitionnelle sur le vocabulaire des mobilités et du nomadisme. La mobilité visible prendrait deux formes agrégées : la navigation sur Internet qui est une forme de déplacement virtuel de l’information et la mobilité proprement dite qui est le fait d’emporter avec soi un outil de connexion au réseau partout et tous lieux. Navigation et mobilité ne doivent pas être confondues, même si une certaine mercatique a longtemps favorisé ce genre de collusions. De plus, tous les ordinateurs ne sont pas visibles et eux aussi sont capables de fabriquer et de traiter de l’information. Une très forte activité souterraine des données migrant ça et là entre institutions, acteurs privés et ordinateurs personnels existe. Ce sont des transferts d’informations, plus ou moins consciemment acceptés ou ignorés par les populations qui les perçoivent comme inévitables, imposés par la société.
La mobilité désignerait ainsi trois pragmatiques complémentaires et presque indissociables : la navigation avec Internet, les transferts de données et la mobilité des personnes grâce à des possibilités de communication géographiquement omniprésentes. Navigation, transfert et mobilités désignent donc trois réalités différentes, de même qu’un ordinateur est « portable » et qu’un téléphone est « mobile ». En outre, la portabilité est la capacité d’un logiciel à être installé sur des systèmes d’exploitation différents tandis que l’interopérabilité est celle des fournisseurs d’accès à Internet capables de délivrer leurs contenus sur des outils différents : ordinateurs, téléphones, notebooks et tablettes.
Après avoir recentré les notions de mobilité et en avoir qualifié les lieux sous forme de territoire, d’espace approprié et d’environnement, la communication s’intéresse aux pratiques et aux usages des espaces tels que se les représentent une population d’utilisateurs étudiants en IUT. L’étude s’appuie sur une méthodologie d’observation participante effectuée auprès de 60 étudiants pendant des enseignements de TIC et de méthodes d’enquête qualitatives. Le matériau collecté constitue un corpus important d’éléments discursifs, d’échanges et de stratégies opératoires. Le choix de deux types de sessions de travail permet d’observer deux progressions chez les sujets : d’une part celle de leur maîtrise des outils et d’autre part celle de leurs stratégies à trouver de l’information utile. L’association de ces séances met également en lumière leurs de choix de véhicules numériques pour progresser dans les espaces virtuels qu’ils rencontrent et leurs capacités à les discriminer. En outre, les résultats questionnent fortement la perception d’éventuels phénomènes de mobilité géographique à plusieurs niveaux.
Internet serait associé à une culture urbaine du fait de l’image de technicité des outils digitaux, de l’attention qu’il requiert même si les formes de présence peuvent être distribuées, et de la relative immobilité qu’impose l’ensemble des moyens d’accès, de l’ordinateur de bureau au téléphone portable. Enfin, il semblerait qu’une forme d’image de l’autonomie personnelle soit observée dans l’ensemble de la population. L’ordinateur portable et ses dérivés communicants plus légers est considéré comme un véritable bagage numérisé. Toujours prêt à accompagner avec musiques, films, documents professionnels et textes personnels et pratiquement en permanence proche physiquement de l’individu. Sur ce point, les observations que nous avions conduites à partir de 1997 et qui furent présentée avec pour sous-titre « la tortue informatique, un camping-car numérique » (Gobert, 2001) sont toujours d’actualité. Ce qui change, c’est la généralisation du procédé due à la massification des téléphones évolués et l’accès universel au réseau dans les milieux urbanisés et l’article s’attache à démontrer.
Cette communication sera présentée sur Ludovia le 29 aout 2011 à 16h30 par Thierry Gobert
Plus d’information sur www.ludovia.org