L’aspect « ludique » des jeux peut rentrer « en conflit » ou en contradiction » pour leur l’utilisation à l’école. D’une façon hâtive, beaucoup pensent que l’école n’est pas faite pour jouer, qu’il n’est pas question de perdre du temps en jouant et qu’il faut construire avant tout des notions de bases à travers l’apprentissage de contenus. Faut-il faire abstraction des jeux à l’école ? Pour dépasser les clichés caricaturaux, il est intéressant de voir dans quelles mesures, les jeux peuvent être considérés comme des « objets d’apprentissage ». Parmi la multitude de jeux accessibles en ligne, ou présents sur le marché, si l’on veut pouvoir les utiliser facilement, il reste à les trouver, les repérer, les décrire ? Comment les intégrer dans les bases de connaissances de l’école ? Peut-on définir une « ontologie » des jeux pour l’école permettant de dégager des critères, des concepts incontournables liés aux jeux ?
1. Une étude européenne autour des jeux dans les écoles.
Cette étude aborde le place du jeu vidéo, des jeux informatiques et des jeux en ligne sur console à l’école.
Des enseignants utilisent les jeux électroniques dans leur pratique pédagogique en classe. Pourquoi font-ils ce choix ? Quels types de jeux utilisent-ils ? Qu’en font-ils ? Comment les intègrent-ils dans le programme d’enseignement ? Quels objectifs pédagogiques visent-ils et quels résultats obtiennent-ils auprès de leurs élèves? En d’autres termes, quel peut être l’intérêt de cette démarche pour un système éducatif ? Pour répondre à ces questions, European Schoolnet a réalisé un premier état des lieux au niveau européen. L’étude a duré plusieurs mois du printemps 2008 au printemps 2009. L’investigation s’est articulée autour de plusieurs composantes : une revue de la recherche, une enquête auprès d’enseignants, des études de cas, des interviews de responsables éducatifs et une communauté de pratique sur Internet.
« L’enquête auprès des enseignants révèle que des enseignants et des enseignantes, de tous âges, quel que soit leur niveau d’ancienneté, leur connaissance des jeux, l’âge de leurs élèves ou la matière enseignée, utilisent des jeux électroniques en classe. Certains d’entre eux éprouvent des difficultés à les intégrer au programme d’enseignement, mais se heurtent aussi au problème du manque d’équipement et à l’opinion mitigée des parents et des collègues sur les jeux électroniques. Des enseignants utilisent des jeux éducatifs en classe, mais également des jeux commerciaux et de loisir peut-être plus souvent qu’on ne pourrait le penser. Quel que soit le type de jeu utilisé, les enseignants espèrent un regain de motivation et une amélioration des compétences de leurs élèves (sociales, intellectuelles, spatio-temporelles, etc.), qu’ils constatent dans la pratique. »
2. Que dit la recherche à ce propos ?
Les défenseurs de l’intégration de jeux électroniques dans l’enseignement (Game Based Learning) avancent des arguments constructivistes: « Ces jeux soutiennent et améliorent l’apprentissage et favorisent autant l’autonomie que les compétences sociales tout en étant extrêmement motivants pour les apprenants. »
En revanche, les détracteurs des jeux n’y voient souvent que perte de temps, isolement des individus, appauvrissement de l’esprit et même incitation à la violence… Au cours de l’intervention, nous serons amenés à identifier et analyser ce qui peut faire du jeu vidéo une ressource non négligeable pour la conception d’environnements d’apprentissage ludiques et efficaces. A ce propos, il sera intéressant de dégager quels rapports que l’on peut établir entre « jeu vidéo et cognition » et sur quelles théories de l’apprentissage sur lesquelles on pourrait-on se baser.
Des chercheurs comme Gee, 2003; 2005; Chiu et al., 2005; Shaffer, 2005; Squire, 2005) et de praticiens de les secteurs commerciaux (par exemple, Quinn, 2005; Prensky, 2006) ont exploré différentes potentialités éducatives des jeux sur ordinateur, et les possibilités d’adoption de jeu à base de l’apprentissage dans le système éducatif contemporain.
Les chercheurs de l’Université de Hong-Kong, Morris S.Y. Jong, Junjie Shang, Fong-Lok Lee, Jimmy H.M., Lee (2008) distinguent deux approches du jeu dans les systèmes scolaires. La première est «l’éducation en jeux » qui est une approche pour une adoption de jeux commerciaux existant pour un usage éducatif. La deuxième est l’intégration des «jeux dans l’éducation ». Dans ces cas, les jeux sont conçus spécifiquement d’une façon sous-jacente au contenu pédagogique des programmes scolaires. Ces auteurs insistent sur la motivation liée aux potentialités du jeu. Ces auteurs font une approche cognitive, socio-culturelle du jeu et qui est décrite dans les paragraphes qui suivent. Nous exposons leurs différentes approches du jeu que nous avons traduites.
La motivation
Les recherches de Bisson & Lunckner, 1996; Cordova & Lepper, 1996 ont démontré que le plaisir et la jouissance sont importants dans le processus de l’apprentissage via les jeux. Les apprenants peuvent être plus détendus, motivés et prêts à apprendre. Sur la base empirique d’une série de enquêtes, observations et des entretiens avec un jeu des acteurs, Malone (1980) a développé la théorie de la « motivation intrinsèque », qui insiste sur ce défi. Pour lui, la fantaisie, la possibilité de contrôle, la coopération, la reconnaissance sont les éléments les plus significatifs qui font qu’un jeu est amusant, intéressant, et qu’il soutient la motivation des joueurs. Malone a préconisé que les écoles intègrent les jeux dans les programmes scolaires de manière à susciter des motivations intrinsèques pour l’apprentissage des élèves. Bowman (1982) a fait une étude sur le jeu et l’apprentissage en faisant apparaître un état de expérience optimale, par lequel une personne qui est tellement engagée dans une activité que l’auto-conscience disparaît, et le temps se déforme (Csikzentmihalyi & Larson, 1980). L’objectif dirigé de la tâche n’est pas dû à des récompenses externes, mais pour la joie de faire. Bowman estime que l’apprentissage avec des jeux est un moyen efficace d’inciter les élèves à se mettre dans un état de « flux de l’apprentissage ».
Approche cognitive
Les travaux de recherche en sciences cognitives et de l’éducation (Gee, 2003; Prensky, 2001; Shaffer, 2006), les travaux plus anciens de Seymour Papert (1998), les recherches de psychologie cognitive d’Alain Lieury, Sonia Lorant, les travaux de Bryan Alexander (2008), de Richard Van Eck (2006), James Paul Gee (2003) nous donnent des éléments en faveur du jeu comme un « espace de médiatisation cognitive ». L’intention première est de rendre l’apprentissage plus facile. L’apprentissage doit être un processus actif basé sur des expériences concrètes (Piaget, 1964). Un jeu bien conçu peut simuler, présenter des contextes de la vie réelle pour les individus leur permettant d’acquérir des connaissances et des compétences involontairement plutôt que délibérément (Gee, 2003). C’est un apprentissage « en situation », un paradigme d’apprentissage défendu par Lave et Wenger (1991).
Prensky distingue (2006) les « mini-jeux », et les jeux complexes. Les mini-jeux durent plusieurs minutes à une heure. Habituellement, ces jeux contiennent de simples défis. Les jeux complexes nécessitent des parties de jeux de dizaines d’heures (voire plus) qui supposent de la concentration, de l’attention.
Dans ces cas il est question d’acquérir de nouvelles et multiples compétences, et de communiquer (ou de collaborer) avec d’autres joueurs (Gee, 2003; Quinn, 2006). La plupart des tâches y sont génératives et « ouvertes ». Les joueurs ont à analyser la perception de l’information et des jeux complexes dans des contextes de manière proactive. Ils doivent également appliquer leurs connaissances et des compétences nécessaires pour formuler leurs stratégies, prendre des décisions, et ensuite analyser les résultats. Les jeux complexes offrent la perspective de développer des environnements d’apprentissage (Halverson, 2005) dans lesquels les individus peuvent faire des essais, et avoir des retours sur les hypothèses et les stratégies. Autant de façons d’acquérir des connaissances et des compétences d’une façon constructive. (Bisson & Lunckner, 1996; Shaffer, Squire, alverson, & Gee, 2005).
Approche socio-culturelle
La connaissance elle-même découle de besoins sociaux et remplit des fonctions sociales,
(Cole, 1996). L’apprentissage n’est pas seulement un processus de maîtrise des faits, ou même de faire des tâches complexes, mais participent à des pratiques socio-culturelles. Cela exige des apprenants qu’ils puissent développer leur propre identité par rapport aux autres. Les joueurs doivent par exemple répondre en ligne et il se forme souvent des équipes pour discuter des défis, des quêtes, et résoudre des puzzles. On peut penser que le jeu prend une dimension systémique. (Prensky, 2006). Les utilisateurs sont invités à partager, discuter, évaluer et appliquer les connaissances de la communauté. Il y a co-construction de connaissances par les membres de la communauté. Par rapport aux approches traditionnelles, le jeu basé sur l’apprentissage peut créer un monde social et culturel qui aide les utilisateurs à apprendre par l’intégration de réflexions et d’interactions sociales (Shaffer et al., 2005).
3. Jeux : des objets dans des bases de connaissances de l’école ? Quelle méthode ?
Il est important de pouvoir dresser une typologie des jeux vidéos en ligne accessibles aux élèves, de pouvoir les cataloguer et en faire une cartographie avec une utilisation possible, dans le contexte scolaire. Quels critères utiliser ? Julian Alvarez et Olivier Rampnou ont défini 5 grandes catégories selon la finalité. Ces universitaires proposent la classification suivante :Advergaming, Edutainment, Edumarket game, Jeux engagés, Jeux d’entraînement et simulation. D’autres ont prévu une autre classification. Julian Alvarez et Damien Djaouti, en collaboration avec les chercheurs des laboratoires I.R.I.T. et L.A.R.A., ont lancé un projet de recherche visant à établir une classification résultant d’une analyse scientifique, non basée sur des critères uniquement empiriques. Cf la classification du Jeu par le Gameplay . Ce site propose une « classification collaborative adaptée au jeu vidéo, qui s’appuie sur plusieurs critères simultanés. Les jeux sont classifiés par leur « gameplay », leurs intentions, leurs domaines d’application et publics ciblés, ainsi que par un système de mots-clés libre ».
Classification du Jeu par Gameplay
Le socialbookmarking, une solution pour partager des ressources sur les jeux et pour les jeux ?
Les jeux vidéos peuvent être pris en compte comme « objets d’apprentissage » et être un élément à intégrer dans une base de ressources collective éducative intégrant l’indexation sociale, le socialbookmarking. A partir de travaux menés dans une communauté de pratiques d’enseignants autour des jeux vidéos pour l’éducation nous présenterons la structure d’une base de ressources collectives autour des jeux vidéos intégrant le socialbookmarking.
Groupe Ludologie et Education
Limites :
Les verbes d’action permettant de définir les finalités des jeux n’apparaissent pas. Cela suppose que les utilisateurs de socialbookmarking se mettent d’accord pour les tags. Il faudrait prévoir la création de tags en fonction de ces verbes.
Il est difficile de dissocier les ressources « objets d’apprentissage » et les ressources « sur les jeux ». Les travaux spécifiques menés par Julian Alvarez et Damien Djaouti ont l’avantage de concilier une dimension collaborative avec une structuration et une description plus fine des ressources, facilitant la recherche, la visualisation des potentialités didactiques du jeu.
5. Une éducation cognitive à l’école autour des jeux.
Une éducation cognitive s’impose à l’école autour des jeux vidéos. Nous analyserons comment cette dernière peut s’inscrire dans le curriculum des élèves.
• Concevoir des jeux, une activité de création, riche en enseignement.
Il existe de nombreuses plate-formes permettant de générer des jeux. Exemple d’espaces pour créer des jeux en Flash. Ou la plate-forme de Louise-Sauvé. Le projet ENJEUX-S a pour but de développer un Environnement multimédia évolué de jeux éducatifs et de simulations en ligne. Il offrira une zone de travail sous forme de service Web qui comprendra notamment des jeux et des simulations inédites en ligne, des jeux développés à l’aide des coquilles génériques du Carrefour virtuel de jeux éducatifs et des jeux et simulations conçus par SAGE. Le logiciel Scratch est également un logiciel permettant de développer des jeux en ligne.
• Utiliser des jeux en ligne
Il est intéressant par exemple de se pencher sur les travaux de Foster Aroutis qui aborde les jeux vidéos pour aborder les sciences à l’école. Les recherches menées par Mark Griffith et Sara de Freitas du Serious Game Institut (Université de Coventry) posent néanmoins la question du développement d’outils d’évaluation et de validation de l’usage des Seriousgame, des jeux vidéos au service des apprentissages. C’était l’un des objectifs du projet de European Schoolnet. Un réseau d’utilisateurs et de concepteurs de jeux se mettent en place.
• Développer la compétence des enseignants pour définir un design pédagogique autour du jeu.
Il est important de faire le point sur la théorie du design pédagogique élément fondamental dans la médiatisation de contenus et des objets pédagogiques en ligne. (Henri et Lundgren-Cayrol, Doré et Henri, 2000).
• Prévoir des formations autour des jeux vidéos à l’école, des jeux en général.
Conclusion
Les jeux ont des potentialités indéniables au service des apprentissages. Afin de faciliter son usage et d’en tirer un maximum de bénéfices, il est important de co-construire une base de connaissances autour de ces objets d’apprentissage avec toutes leurs spécificités, avec les praticiens, les chercheurs et développeurs. Les jeux ne seraient-ils pas des objets à découvrir en faisant émerger leurs potentialités dans un contexte de formation et en étant soi-même joueur. Au même titre que les vidéos, l’indexation de jeux vidéos pose le problème de la structure de la ressource qui se déroule dans le temps, en différent « actes ». Un schéma de découpage, des narrations, des verbes d’action sont des outils à penser et construire avec des regards croisés. Tout un programme à développer avec les utilisateurs, chercheurs, développeurs pour une éducation sachant tirer partie les bénéfices du numérique, dans les interstices des jeux.
Par Michèle DRECHSLER, Université Paul Verlaine de Metz, laboratoire CREM