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Modèle de la présentation de soi: l’hexis numérique, une étude sémiotique et statistique

Dans le réel, le corps donne d’emblée existence à la personne, lui permettant de se manifester aux yeux des autres et ainsi de construire son identité par différenciation. A l’écran, il est nécessaire que la personne prenne existence : si elle n’agit pas, elle est invisible pour un autre. Avec le développement du web dynamique, les journaux intimes sur internet (Ublog, Livejournal, VingtSix) ont pris la relève des pages personnelles ou homepages [Klein 2002].

Initialement développés et mis en ligne par les utilisateurs même ou des membres de leur entourage, ils ont pris le pas sur les « pages html » en raison de la facilité de publication. Des sites ont proposé des solutions clé en main avec création d’un « site en trois clics » [Allard 2003] hébergement, forums, newsletters, moteurs de recherche. C’est ainsi que la physionomie à présent si connue du blog s’est imposée, au point de tendre à ne désigner que les pages dynamiques comportant un calendrier, des messages datés (posts) et une liste de blogs favoris, là où la page personnelle aux cadres élastiques se caractérisait par une mise en page rudimentaire et des images mal optimisées pour le web.

En façonnant une représentation de soi-même, l’utilisateur façonne bien une représentation graphique, mais également un appareil qui va lui permettre d’entrer en relation avec le monde et autrui. La saisie d’informations l’inscrit dans le monde virtuel et conditionne sa construction identitaire. C’est ainsi que nous situant par la terminologie d’Ervin Goffman, la représentation de soi » (une présentation de soi, au sens de Goffman, dupliquée d’un re- intensif en raison de son apparition à l’écran qui la différencie de l’utilisateur en présentation –c’est l’objet de notre thèse) produit et agence une identité (une « identité sociale virtuelle ») en ayant un impact sur «l’identité réelle ».

Le façonnage manuel de la représentation graphique (par la saisie d’un pseudonyme, le téléchargement d’une photographie, le paramétrage des éléments descriptifs de l’utilisateur, ou encore l’habillage de l’avatar…) peut être entendu – c’est ce que nous nous démontrons dans notre thèse et ce que nous posons comme thèse préalable ici – comme un façonnage en pensée et en acte de l’identité sociale réelle : l’écran est un espace intermédiaire, dans lequel le sujet « acte » des représentations abstraites (des schèmas, c’est-à-dire des systèmes de signes qui font l’objet d’une décision sémiotique) par les interfaces de saisie.

De la prise d’existence à son maintien, la représentation numérique de la personne est semblable à l’identité sociale réelle : elle peut être comparée à une « barbe-à-papa  », « une substance poisseuse à laquelle se collent sans cesse de nouveaux détails biographiques » [Goffman 1975]. Des signes permanents constituent le bâton central de l’identité autour duquel s’agrègent d’autres signes qui actualisent la représentation, lui contractant une mobilité symptomatique d’une entité vivante. [Georges 2003, 2007]

Peu nombreux dans le web 1.0, ces signes de présentation de soi se multiplient dans le web 2.0. Le système des signes qui manifestent l’identité change. Les informations déclaratives (âge, sexe, ville, biographie, centres d’intérêt…), qui constituaient jusqu’alors le bâton central de la « barbe à papa » identitaire, deviennent moins prépondérantes tandis que les traces de son activité se décuplent pour le caractériser.

Dès le « web 1.0 », les messageries instantanées, informent la présence et la disponibilité de la personne par des icônes qui s’adaptent d’elles-mêmes à son activité. Démultipliant les indices de l’immédiateté, les sites de rencontre, les blogs, les magazines en lignes, trient les informations par ordre antéchronologique , participant d’une survalorisation culturelle de l’activité récente. Ainsi, dans le web 2.0, l’utilisateur qui souhaite exister sur la toile doit ainsi se conformer à cet impératif: fournir des activités en continu. Cette structuration n’est d’ailleurs pas étrangère aux phénomènes d’addiction au virtuel, participant d’un mouvement plus large de développement d’une société de consommation où le virtuel se substitue au matériel.

Dans cet article, nous examinons dans quelle mesure ces « sédiments » de l’activité de l’utilisateur en ligne participent de son existence et de sa présence.
Un modèle de l’identité est présenté (Section 1) ; il catégorise les composantes de la représentation de l’utilisateur : l’identité déclarative, agissante et calculée forment trois dimensions de l’identité numérique.

Les informations déclaratives renseignées par les utilisateurs participent de la définition de leur identité en ligne ; mais que se passe-t-il lorsque l’utilisateur ne renseigne aucun champ ? A-t-il une identité ? Quelle est la dimension dominante de l’identité dans le web 2.0 ? Nous questionnerons ce phénomène dans Facebook (Section 2) et l’appuierons sur une première analyse statistique.

1. LE SYSTEME IDENTITAIRE : MODELE DE L’IDENTITE NUMERIQUE
L’identité numériquement interfacée, depuis l’émergence des nouvelles technologies dans la vie quotidienne, s’est modelée et remodelée. Du web 1.0 au web 2.0, dans l’acte répétitif de remplir les formulaires d’inscription, un modèle identitaire s’est informé (au sens étymologique de « prendre forme »), influençant la représentation culturelle de la personne.

Pour comprendre les enjeux de la construction de signification d’une représentation technique en image de soi, nous avons, dans Sémiotique de la représentation de soi dans les dispositifs interactifs : l’hexis numérique, examiné, décrit et analysé systémiquement les différents éléments qui manifestent l’utilisateur [Georges 2007].

Dans cette étude, une soixantaine de dispositifs interactifs de présentation de soi ont donc été comparés dans les jeux vidéo, les blogs, les sites de communication, les sites de réseaux sociaux, les sites communautaires ludiques, les jeux massivement multijoueurs. Nous avons ainsi mis en évidence des points communs à tous ces dispositifs, qui permettent de dessiner un modèle identitaire commun et transversal. Il en est ainsi, par exemple, des groupes « identifiant/pseudonyme, mot de passe », « age sexe, ville », « biographie, centres d’intérêt, métier »… Ils s’agencent dans une dynamique de centration et décentration entre le sujet et l’objet numérique. Cette structuration centrée utilisateur et décentrée en la machine est à l’origine de la dynamique d’apprentissage propre aux nouvelles technologies [Peraya 1999, Meunier & Peraya 2004].
L’expression

Les logiciels du web 2.0 présentent la caractéristique de mélanger les différentes familles de logiciels afin que les utilisateurs puissent fédérer sur une même plateforme les différents outils qu’ils trouvaient il y a quelques années sur des applications spécialisées.

Dans son étude sur le design de la visibilité, Dominique Cardon [Cardon 2008] définit des modèles de visibilité étroitement associés aux catégories de logiciels pratiqués par les usagers. Facebook relève d’une sorte de mélange catégoriel : les sites communautaires, les sites de rencontre et les sites de communication. De nombreux utilisateurs l’utilisent en guise de page personnelle ; Facebook permet également d’ajouter une application de type blog. Les services se multipliant, l’offre des services est la variété.

On peut regrouper ces informations en trois ensembles : l’identité déclarative, l’identité agissante et l’identité calculée. Nous allons les décrire succinctement ci-après en complément du schéma et du tableau ci-dessous, puis nous les appliquerons à Facebook pour étudier, à partir de cette étude de cas, l’hypothèse d’une évolution de l’identité valorisant les signes immédiats de l’activité.

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TABLEAU NON PUBLIE

1.1 L’identité déclarative
Les informations qui composent l’identité déclarative sont saisies directement par les utilisateurs, décrivent la personne et permettent de la singulariser au sein de la communauté.
–    Le ligateur autonyme (« avatar » et pseudonyme)
L’avatar, ce personnage en 3D qui représente la personne, trouve dans les interfaces de type tabulaire un équivalent en la photographie téléchargée. Assortis du pseudonyme (que l’on appelle ici autonyme au sens d’appellatif donné par l’utilisateur à lui-même), il symbolise l’utilisateur dans l’espace communautaire et constitue le noyau de l’identité, autour duquel s’agrègent des informations adjacentes qui complètent la caractérisation.
–    La « carte d’identité » (qualificatifs)
La carte d’identité désigne les informations qui, sur la page de présentation de soi, la feuille de personnage, la page de profil, ou encore la page personnelle, décrivent et qualifient l’utilisateur. Elle complète le ligateur autonyme par des informations qualitatives.
Signes caractéristiques: « ASV », centres d’intérêt, biographie

Le ligateur autonyme et la carte d’identité sont caractéristiques des représentations de l’utilisateur du web 1.0. Ils participent de l’identité déclarative calquée sur l’identité civile.

1.2 L’identité agissante
Des traces de l’activité de l’utilisateur complètent la structure identitaire. Elles sont issues de son interaction délibérée avec l’application : tels sont les amis, les objets glanés au cours de la pratique du logiciel.

–    Les informations sur les relations interpersonnelles
« amis » (sites communautaires), « favoris » (blogs), « collègues » (réseaux sociaux), assortis de leurs outils de visualisation le cas échéant (sites de réseaux sociaux, de blogs).
–    Les collections
Les collections d’informations rassemblent des objets glanés au cours de la navigation : vidéos (You Tube, Daily Motion), des articles marchands (sites internet marchands), des fichiers textes (sites web de publication), des images ou des albums photo (sites de partage de photos), des liens (Del.ic.ious.), des fichiers (logiciels de pair à pair), des objets magiques ou des armes (MMORPG).
En cette catégorie d’information consiste l’activité immédiate.

L’insertion des représentations de l’autre dans la représentation de soi est caractéristique du web 2.0. Annabelle Klein étudie les pages personnelles qui laissent place depuis quelques années aux blogs, dynamiques et plus faciles d’utilisation. Si dans les pages personnelles, l’utilisateur peut intégrer manuellement un « livre d’or », c’est à dire une page dans laquelle les lecteurs laissent des remarques sur la page personnelle, le blog étend ces espaces d’intersubjectivité à chaque texte publié, par la possibilité de laisser un commentaire. Les marques de l’interlocuteur se multiplient et s’étendent aux fonctionnalités de mise en relation sociale.

« Ce mouvement de rapport avec soi, de dialogue avec soi à travers les autres, s’atteste à travers les marques d’adresse explicites à l’autre (« Qu’en pensez-vous ? », « Êtes-vous d’accord avec moi ? », « Laissez-moi un commentaire », ou encore « Signez mon livre d’or pour laisser une trace de votre passage. ») » (Klein 1999)

1.3 L’identité calculée
Troisième composante de l’identité, l’identité calculée se compose de variables qualitatives ou quantitatives produites du calcul du système. A la différence de l’identité déclarative, l’identité calculée n’est pas renseignée par l’utilisateur; à la différence de l’identité agissante, elle n’est pas le produit immédiat de son activité.
–    Variables qualitatives : les indications de connexion (« l’utilisateur est connecté » ) des sites de rencontre ; dans MSN ou les messageries instantanées, l’indication « est disponible », est « loin de son clavier », « occupé », renseignent sur la présence de l’utilisateur et sont déduites par le système.
–    Variables quantitatives : le nombre d’amis, le nombre de points, la notation.

En quantifiant la présence, la visibilité, la notoriété de l’utilisateur, l’identité calculée permet aux sites d’effectuer des comparaisons entre les membres (par les classements) ; elle développe une importance démesurée du chiffre dans le système identitaire et reflète les actions de l’utilisateur dans le miroir culturel local, impliquant implicitement une forme de jeu social [Georges 2005].

2. FACEBOOK : UNE ANALYSE STATISTIQUE DE L’IDENTITE
Les catégories identitaires précédemment présentées vont nous permettre d’analyser la structuration identitaire dans le site communautaire Facebook. Les informations ont été collectées sur 62 profils d’utilisateurs. Nous en présentons ici une première analyse, illustrant le modèle présenté dans la section 1.

Tous les profils observés ont renseigné un nom réaliste (prénom + patronyme) excepté deux profils qui dénotent explicitement une profession artistique (photographe et réalisateur). Relativement à d’autres sites communautaires, cette proportion est très faible, ce qui confirme la particularité de Facebook de présenter des identités « réelles » ; Facebook est donc plus proche de la catégorie des logiciels de réseaux sociaux que de celle des blogs.

Pour les besoins de notre étude, ces informations sont regroupées en trois catégories
 :
1 – Les informations déclaratives (voir section 1.1 et Figure 3) : « sexe », « date de naissance »,  « intéressé par », « situation amoureuse », « opinion politique ou religieuse », « orientation sexuelle », « informations personnelles »
2 – Les informations relatives à l’identité agissante (cf. section 1.2 et Figure 4): « mise à jour de profil », « demande d’amis » , « participation à un événement ou à un groupe », « création d’événement ou de groupe », « a commenté ou taggé ou envoyé un cadeau », « a envoyé un post collectif », « a été taggé par un ami », « a utilisé une application ».
3 –  Les informations relatives à l’identité calculée (cf. section 1.3 et Figure 5) : « nombre d’amis », «  nombre de groupes », « nombre d’événements visibles dans le mini-historique », « nombre d’événements par connexion », « taux de présence »

Dans Facebook, l’identité déclarative apparaît dans deux espaces principaux de la page de profil : une carte d’identité en tête fixe,
– Les informations qualifiantes: sexe, date de naissance (jour et mois, jour, mois et année), orientation sexuelle, ville.
– Des informations qui annoncent plus explicitement le cadre relationnel recherche : intéressé par (hommes/femmes ; amitié/ rencontres/ relations sérieuses/ réseau professionnel/ peu importe).
– Des informations sur le contexte social réel : situation amoureuse, opinion politique ou religieuse.

Elle contient en outre  un pavé « informations personnelles » (qui peut être déplacé) comprenant des informations sur les centres d’intérêts et activités de l’utilisateur (métiers, loisirs etc.).
Nous avons représenté sur la figure 3, dans un graphique « araignée » le taux de remplissage (en %), sur toute notre population, de chacun des chacun des champs déclaratifs (en orange). Mis à part la « date de naissance », renseignée par 80% des profils, les autres champs sont renseigné soit très erratiquement   , par moins de 60% des utilisateurs. Le champ le
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Figure 3 Identité déclarative . Légende : en orange, moyenne de tous les profils renseignés ; en rouge, profils ayant rempli tous les champs (« hyper-visibles ») ; en vert, profils ne renseignant aucun champ (« cachés »). 

2.1 Les hyper-visibles et les cachés (identité déclarative)
Pour étudier le phénomène de la visibilité nous isolons deux sous-populations aux comportements déclaratifs opposés: les profils « hyper-visibles » (qui apparaissent dans la figure 3 en rouge) et les profils « cachés » (qui apparaissent en vert). Ils sont définis comme suit, sur la base des données collectées.
–    Les groupe des « hyper-visibles » (10 profils sur 62) est constitué des profils sont ont rempli toutes les informations déclaratives: leur représentation est pleine dans la figure 3, par définition.
–    Le groupe des « cachés » (13 profils sur 62) est constitué des profils qui n’en ont enseigné aucune. Leur représentation déclarative est à son « degré zéro » dans la figure 3 (par définition)

Les utilisateurs « cachés » n’ont rempli aucune information. Est-ce à dire qu’ils n’ont pas d’identité ? Certes non : l’examen des graphes de l’identité agissante et de l’identité calculée nous montre que l’identité est moins déterminée par les informations descriptives que par les informations agissantes et calculées.

Dans la Figure 4 ont été représentées les informations relatives à l’identité agissante (voir section 2), pour les « hyper-visibles » (en rouge) et les « cachés » (en vert). Chaque axe représente le nombre d’actions dans chaque catégorie, divisé par le nombre d’action moyen sur toute la population. Ces informations ont été relevées dans le mini-historique (« mini-feed ») des activités de l’utilisateur .

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Figure 4 Identité agissante. Sur chaque axe, la fréquence d’une population est normalisée par la fréquence de la population totale. Chaque trait pointillé représente 20% de la fréquence de la population totale (en orange). Le contour de l’octogone orange représente donc l’activité de la population totale. 

Le mini-historique est la fonctionnalité la plus critiquée de Facebook parce qu’elle est la plus intrusive. Toutefois, rares sont les utilisateurs qui la désactivent (sur l’échantillon global, 2 seulement l’ont désactivée dont une appartient à l’échantillon « caché »).
L’identité calculée, représentée dans la Figure 5. De même que pour l’identité agissante (figure 4), les valeurs de chaque axe ont été divisées par les valeurs moyennes sur toute la population pour faciliter la comparaison entre le comportement moyen (pentagone orange) et les comportements des populations « hyper-visibles » (en rouge) et « cachées » (en vert).

 

fanny 5Figure 5 Identité calculée. Sur chaque axe, la fréquence d’une population est normalisée par la fréquence de la population totale. Chaque trait pointillé représente 20% de la fréquence de la population totale (en orange).
–    Nb amis : nombre d’amis
–    Nb groupes : nombre de groupes
–    Nb Even. : Nombre d’événements visibles dans le mini-historique
–    Nb Actions/connec. : nombre d’événements par connexion
–    Taux pres. : Taux de présence

Nous avons calculé le « taux de présence » à partir des variables apparaissant dans le mini-historique : il correspond au rapport du nombre de jours où l’utilisateur s’est connecté sur les 10 dernières actions divisé par le nombre de jours total pour accomplir ces 10 dernières actions. Ce chiffre, qui ne fait pas exactement partie de l’identité calcul telle qu’elle est livrée par l’interface, permet toutefois de quantifier la fréquence de la présence de l’utilisateur sur Facebook.

2.2 Quelle est la dimension dominante de l’identité dans Facebook ?
D’emblée, on remarque que le groupe  « caché » qui est dans le graphe de l’identité déclarative, représenté par un « degré zéro » de représentation, a, dans les graphes de l’identité agissante (Figure 4) et calculée (Figure 5), une forme déployée, qui témoigne non seulement de son activité mais aussi des caractéristiques de son réseau relationnel. Leurs activités ne sont nulles dans aucun des critères. Ce simple constat répond à notre première question : il montre que dans Facebook, l’identité est caractérisée plus fortement par les dimensions agissantes qui se répercutent dans l’identité calcul. Le groupe des « cachés » n’est donc caché que pour ce qui concerne l’identité déclarative mais ils sont visibles dans les deux autres dimensions de l’identité.

2.2.1 Les groupes « hyper-visibles » et « cachés » en regard de la moyenne

Par certains comportements, les groupes « hyper-visibles » et « cachés » sont représentatifs du comportement moyen de l’ensemble des utilisateurs. Le « Nombre d’évenements visible» (Figure 5) est le même :cela n’est pas un critère distinctif des deux populations. De même, le « nombre d’actions par connexion » (Figure 5)  est également conforme à la moyenne chez les uns et les autres. Le groupe des « hyper-visibles » exerce certaines actions bien plus intensément que la moyenne (« création d’événements », « participation à des événements », « commentaires et tags », « installation d’application » voir Figure 4), conformément à leur comportement déclaratif. On remarque qu’au contraire, ils ont moins de demandes d’amis, postent beaucoup moins de commentaires et sont moins taggés par les autres que la moyenne.

En dépit de l’attitude intrinsèquement réservée de la population des « cachés », il est intéressant de noter de que certaines actions sont exercées plus intensément que la moyenne des utilisateurs (« Demande d’amis » ), ou plus que les utilisateurs hyper-visibles (« Postes collectifs » et « demande d’amis »).

2.2.2 Un taux de présence manifeste du comportement déclaratif
Le « taux de présence » est en étroite relation avec  l’identité agissante : en effet, l’identité agissante est déterminée par les activités et le taux de présence. La distinction des deux groupes ressort très clairement par le « taux de présence ». En effet, le taux de présence est plus élevé d’un facteur 2 par rapport à la moyenne (+ 100%) chez les utilisateurs hyper-visibles et plus faible d’un facteur 0,6 (- 40%) chez les cachés. Cette opposition confirme que le degré de présence est en étroite relation de l’identité descriptive. En effet, la population « ultra-visible » fait ses 10 actions sur 10, 4 jours (avec une médiane de 9 jours). La population « cachée » a fait ses action en moyenne sur 30 jours (avec une médiane de 24 jours).

2.2.3 Dynamisme de l’Identité descriptive
La mise à jour des profils, tant chez les utilisateurs hyper visibles que chez les utilisateurs cachés (environ +10% pour les deux, voir Figure 4), est plus fréquente que la moyenne : les utilisateurs cachés compenseraient l’absence d’informations déclaratives par des mises à jours de l’ « humeur » récurrentes.

Les mises à jour des humeurs, qui sont mi-déclaratives, mi-agissantes, ont pour fonction communautaire de permettre l’apparition de leur profil dans les historiques de leurs amis : ainsi des informations sont données régulièrement sur leurs activités.

Par contre, ont s’attendrait à trouver chez les utilisateurs hyper-visibles une mise à jour importante en raison de l’abondance des informations fournies, or ce n’est pas le cas : ils ressentiraient moins le besoin de se caractériser par des informations agissantes.

2.2.4 Communautés, amis, groupes
On remarque que nombre d’amis est le même approximativement chez les uns et les autres, par contre, chez les utilisateurs cachés, la « demande d’amis » apparaît davantage dans l’historique que les utilisateurs hyper-visibles : cela reflete simplement la que la demande d’amis est l’activité majeure du groupe « caché » (environ 50% de leur activité), alors qu’elle ne consititue qu’une fraction faible (20% seulement ) de l’activité du groupe « hyper-visible »

Concernant les activités communautaires de groupe, les hyper-visibles participent beaucoup  à des groupes et surtout en créent beaucoup (Figures 4 et 5); ils postent beaucoup de commentaires tandis que les cachés n’y participent pas et postent très peu de commentaires. Ils semblerait donc que les activités communautaires soient peu valorisées par le groupe des « cachés » alors qu’elle est survalorisée par le groupe des « visibles »

CONCLUSION :

Pour comprendre comment l’utilisateur façonne son identité sociale virtuelle, nous avons distingué (cf. section 1) trois dimensions de l’ « identité numérique » :
–    l’identité déclarative, renseignée directement par l’utilisateur ;
–    l’identité agissante, renseignée indirectement par les activités de l’utilisateur ;
–    l’identité calculée, produite d’un calcul du système.

L’identité déclarative, qui constitue le centre permanent de l’identité dans le web 1.0, n’est plus prépondérante dans le web 2.0 ; l’identité s’y construit sur le fondement des activités réalisées (identité agissante) ; elle est orientée par l’identité calculée, qui en insistant sur certaines dimensions de l’identité impliquent une valorisation culturelle locale de certains éléments.
Nous avons produit une première étude statistique de l’identité numérique dans Facebook (section 2). Nous avons isolé les groupes « hyper-visibles » et « cachés » en fonction de leur comportement identitaire déclaratif.

Il est apparu que l’identité déclarative est en relation avec le degré de présence de l’utilisateur, le groupe « caché » étant moins actif sur une même période que le groupe des « hyper-visibles ». Toutefois, l’absence d’informations relatives à l’identité déclarative n’est pas un obstacle à la socialisation ni à la reconnaissance par les autres, c’est à dire au phénomène identitaire : les utilisateurs « cachés », bien qu’ils n’aient pas une activité communautaire, sont aussi socialisés localement que les utilisateurs « hyper-visibles », qui au contraires déploient une forte activité communautaire. L’identité numérique dans facebook est donc moins conditionnée par l’identité déclarative que par l’identité agissante.

L’absence d’information déclaratives n’est pas insignifiante. Comme le sculpteur sur modèle vivant choisirait de sculpter finement les doigts du modèle ou au contraire de ne pas figurer les bras, l’utilisateur des services de communication modèle et remodèle son identité dans un mouvement de création-ajustement qui manifeste son adaptation au système communautaire en place. Ce qui constitue l’essence de la représentation est l’acte de se représenter.

Facebook attire l’attention sur le geste de « prendre soi-même existence » à l’écran et d’y maintenir sa représentation vivante. Ce faisant, Facebook stimule les comportements compulsifs : il s’agit de se manifester sans cesse pour continuer d’exister et maintenir son réseau social…

Cette évolution de l’identité en ligne laisse présager un changement dans le comportement des usagers par un effet de focalisation sur l’instant immédiat en une boucle réflexive secondaire de production de soi : il s’agirait toujours de pétrir l’instant présent, sans perdre le temps d’examiner le passé et en envisageant du futur que comme résultat de l’action immédiate. Une identité qui serait l’agrégat des sédiments de mes actions présentes.

Remerciements :
Je remercie Sébastien Charnoz pour son aide précieuse, ainsi que les participants des colloques Web participatif du Congrès de l’ACFAS 2008 et les membres d’Homo Ludens auxquels ce travail a été présenté une première fois et qui m’ont permis de le faire progresser. A ce titre je remercie également le comité de lecture de Ludovia 2008.

Communication scientifique LUDOVIA 2008 par Fanny GEORGES (extraits)
Centre de recherche Images, Cultures et Cognition (CRICC)
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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