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Appropriations et détournements d’un dispositif numérique adapté : le cas d’une expérimentation concernant la scolarisation des jeunes en situation de handicap en milieu ordinaire

[callout]Cette communication interroge l’utilisation d’une innovation technico-numérique (Akrich, Callon, Latour, 1988) à destination des personnes en situation de handicap. Nous nous intéresserons donc à la production et à la réception d’un outil numérique « nomade » spécifique au monde éducatif qui a été conçu comme une aide à la scolarisation des jeunes en situation de handicap.[/callout]

Nous discuterons ainsi la notion de design de l’objet numérique (Norman, 2002), renvoyant plus concrètement à un travail qui prend en compte l’interaction entre l’objet et son utilisateur.
Comment ce type de design peut-il être interprété dans le cas d’une population à besoins particuliers? L’horizon d’attente des utilisateurs se superpose-t-il à l’horizon d’expérience des concepteurs ? Nous découvrirons ainsi l’objet technico-numérique en tant que synthétiseur des expériences de plusieurs publics, un objet-frontière (Star, Griesemer, 1989) qui véhicule l’identité de ceux qui le prennent en charge.

L’outil que nous retenons comporte des composantes matérielles (ordinateur portable, webcam, scanner portable) et des composantes logicielles (interface numérique intégratrice de plusieurs fonctions, logiciel de traitement de l’image afin de la rendre accessible).

Il a été développé en tant que prototype et soumis à une expérimentation pendant trois semestres scolaires. Notre recherche se concentre ainsi sur le déroulement de cette expérimentation sur le territoire d’une région française, qui a comme spécificité le fait d’inclure trois académies scolaires. Le dispositif y a été proposé auprès de 130 élèves et étudiants malvoyants et présentant des troubles dys. Ces jeunes se trouvent principalement en inclusion scolaire. Deux grandes catégories d’acteurs les accompagnent : les professionnels du médico-social (des orthophonistes, des orthoptistes, des ergothérapeutes) et les personnels de l’Éducation nationale.

D’un point de vue méthodologique, notre étude se base dans un premier temps sur une analyse des différents discours d’accompagnement à la prise en main du dispositif. Elle prend ensuite en considération une analyse des pratiques des utilisateurs (Camis, Gross, Lamont, 2011). Elle intègre par ailleurs des observations participantes et des entretiens avec les jeunes utilisateurs. L’espace des écoles, ainsi que des services de soin sont privilégiés.

Compte tenu des conditions expérimentales, le script[1] (Akrich, 1991) de cet outil se construit par étapes. Si des indications générales de prise en main sont offertes aux utilisateurs, des retours sont attendus de leur part afin de poursuivre le développement de l’outil. Le discours des concepteurs souligne le caractère portable du dispositif, ce qui encourage la mobilité et l’indépendance de son utilisateur. Quatre grandes fonctionnalités sont ainsi mises en avant :

  • l’enregistrement d’images et leur transformation au niveau du zoom, des contrastes, de la luminosité, etc.,
  • la numérisation et la reconnaissance de texte en vue d’une lecture vocale assurée par l’ordinateur,
  • l’association de notes aux images enregistrées afin d’assurer un suivi chronologique des cours,
  • l’enregistrement automatique des différents fichiers (image du tableau, document scanné, notes).

Rappelons que tout cela intervient dans un contexte d’inclusion scolaire des jeunes en situation de handicap qui sont censés suivre les cours de la même manière que leurs camarades « valides ».

Le fait de se déplacer d’une salle de classe à l’autre, d’avoir accès à des contenus non-adaptés requiert la présence d’une aide supplémentaire qui se matérialise, dans la situation évoquée, sous la forme d’un dispositif technique. En outre, soulignons que ce dispositif s’intègre dans une typologie d’outils numériques déjà existants en lien avec le milieu de l’enseignement pour les jeunes handicapés.

Les utilisations et les détournements de l’outil faits par ses utilisateurs seront illustrés dans un deuxième temps. Ces utilisateurs sont à la fois les jeunes qui poursuivent leur scolarisation, mais aussi les professionnels qui les accompagnent dans ce processus. S’il est conçu afin d’aller à la rencontre de ses usagers, le dispositif se verra transformé dans les pratiques quotidiennes, tout en générant une discussion autour des « habilités techniques » (Dodier, 1993) de ses utilisateurs.

Nous interrogerons finalement la notion d’appropriation par l’apprentissage de cet outil. Qui sont les acteurs de cet apprentissage ? Qui en sont les porte-parole ? Finalement, le caractère intuitif du dispositif sera également questionné, afin de souligner une fois de plus la négociation continue de la définition d’un objet en train de se faire.

[1] Le script, pour M. Akrich (1991) est l’équivalent d’un « scénario, à partir duquel les utilisateurs […] sont invités à imaginer la mise en scène particulière qui qualifiera leur interaction personnelle avec l’objet ».

Note de positionnement scientifique – Section scientifique de rattachement. Méthode appliquée – Terrain d’expérimentation

Cette communication se situe à la croisée des sciences sociales et des sciences informatiques. L’objet étudié est à la fois interrogé dans une perspective informatique, de l’agencement de ses parties composantes, et selon une approche sociologique et communicationnelle, en prenant en compte les divers usages de cet objet. À partir de la méthode ethnographique, nous avons observé plusieurs dizaines d’élèves et étudiants en situation de handicap, ainsi que les professionnels qui les accompagnent, dans le cadre de l’expérimentation. Cette expérimentation s’est déroulée dans une région française pendant une période totale de deux ans, incluant la prise de contact et l’utilisation proprement dite.

Références

  • Akrich, M. (1991). L’analyse socio-technique, in Vinck, D. (ed.), La gestion de la recherche, Bruxelles, De Boeck, pp. 339-353.
  • Akrich, M. (1993). Les objets techniques et leurs utilisateurs, de la conception à l’action. Dans Conein, B., Dodier, N., Thévenot, L. (ed.), Les objets dans l’action, 4, Editions de l’EHESS, Raisons Pratiques, pp.35-57.
  • Akrich, M., Callon, M., Latour, B. (1988). A quoi tient le succès des innovations? 1 : L’art de l’intéressement, Gérer et comprendre, Annales des Mines, 11, pp.4-17.
  • Akrich, M., Callon, M., Latour, B. (1988). A quoi tient le succès des innovations? 2 : Le choix des porte-parole, Gérer et comprendre, Annales des Mines, 12, pp.14-29.
  • Ando, B., Baglio, S., La Malfa, S., Marletta, V. (2010). Innovative Smart Sensing Solutions for the Visually Impaired. Dans Pereira, J. (ed.) Handbook of Research on Personal Autonomy Technologies and Disability Informatics, chap. 5, pp. 60-74.
  • Callon, M., Latour, B. (1981). Unscrewing the Big Leviathans. How Do Actors Macrostructure Reality. Dans Knorr, A., Cicourel, A. (ed.) Advances in Social Theory and Methodology. Toward an Integration of Micro and Macro Sociologies, London, Routledge.
  • Camis, C., Gross, N., Lamont, M. (2011). Social Knowledge in the Making, University of Chicago Press.
  • Cefaï, D. (à paraître). L’enquête ethnographique comme écriture, l’écriture ethnographique comme enquête. Dans Melliti, I. (ed.), Écrire en sciences sociales
  • Conein, B., Dodier, N., Thévenot, L. (1993). Les objets dans l’action, 4, Editions de l’EHESS, pp.35-57, 1993, Raisons Pratiques.
  • Cochoy, F., Licoppe, C. (ed.), (2013). Le sujet et l’action à l’ère numérique, Réseaux, n° 182.
  • Dodier, N. (1993). Les arènes des habiletés techniques. Dans Conein, B., Dodier, N., Thévenot, L. (éd.). Raisons pratiques, Les objets dans l’action, n° 4, Paris, pp. 115-139.
  • Dodier, N. (1995). Les hommes et les machines : la conscience collective dans les sociétés technicisées, Paris, Métaillié.
  • Draffan, E. A., Evans, D. G., Blenkhorn, P. (2007). Use of assistive technology by students with dyslexia in post-secondary education. Dans Disability and Rehabilitation: Assistive Technology, 2(2): 105-116.
  • Deyfus, H. (1992). Intelligence artificielle. Mythes et limites, Paris, Flammarion.
  • Flichy, P. (2003). L’innovation technique: vers une nouvelle théorie de l’innovation, La Découverte.
  • Goody, J. (1979). La Raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Éditions de Minuit.
  • Lopez-Krahe, J. (2007). Introduction to Assistive Technology for the Blind. Dans The European Journal for the Informatics Professional, 8(2): 4-9.
  • Mialet, H. (2012). Hawking incorporated. Stephen Hawking and the Anthropology of the Knowing Subject. The University of Chicago Press.
  • Muratet, M. et al. (2013). EyeSchool : Un dispositif d’aide à la scolarisation. Dans « EIAH et situations de handicap », EIAH 2013, p.23-30.
  • Norman, D. (2002). The design of everyday things, Basic books.
  • Rekkedal, A. M. (2012). Assistive Hearing Technologies Among Students With Hearing Impairment: Factors That Promote Satisfaction. Dans Journal of Deaf Studies and Deaf Education, 17(4): 499-517.
  • Star, S., L., Griesemer, J., R. (1989). Institutional Ecology, ‘Translations’ and Boundary Objects: Amateurs and Professionals in Berkeley’s Museum of Vertebrate Zoology. Dans Social Studies of Science, Vol. 19, No. 3, pp. 387-420.
  • Trompette, P., Vinck, D. (2009). Retour sur la notion d’objet-frontière. Dans Revue d’anthropologie des connaissances, Vol. 3, No. 1, pp. 5-27.

Plus d’infos sur la programme du colloque scientifique sur www.ludovia.org/2015/colloque-scientifique

A propos des auteurs  Cristina Popescu  – Mathieu Muratet Cédric Morea

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