La culture enfantine se développe depuis de nombreuses années notamment à travers un ciblage de plus en plus précis de différents dispositifs médiatiques (télévision, presse, littérature, cinéma) et info-communicationnels (sites web). Bien souvent un tel ciblage s’inscrit dans une démarche marketing, de vente ou de recherche de rentabilité d’un produit culturel.
Ces ciblages s’appuient sur des imaginaires collectifs (professionnels, associatifs, grand public, experts, adultes ou jeunes etc.), parfois des utopies et même des idéologies, quoiqu’il en soit des représentations.
Et clairement les jeunes font l’objet de représentations, parfois encore héritières de pensées anciennes pour ne pas dire archaïques, quant à leurs capacités de compréhension, d’appropriation des contenus par exemple. Or, on sait aujourd’hui que les jeunes (6-18 ans) ont régulièrement recours aux technologies de l’information et de la communication, qu’ils utilisent internet et précisément pour des recherches d’informations pour leurs devoirs.
Ceci n’est clairement pas sans poser des difficultés à certaines institutions publiques culturelles, pour lesquelles d’abord un tel ciblage ne repose pas (du moins ne semble a priori pas reposer) sur une problématique de rentabilité, mais sur celle d’une diffusion de la culture au plus grand nombre, dont les publics « empêchés » ou « difficiles ».
En effet, les bibliothèques de lecture publique, malgré un fort développement de leur nombre et de leurs services en France depuis plus de 30 ans, peinent à fidéliser leurs jeunes lecteurs. A travers l’étude de leur communication en ligne, dont on sait que les jeunes (âgés de 6 à 18 ans) sont susceptibles d’être des récepteurs et des acteurs, nous montrons la diversité des catégories de discours leur étant adressés.
L’analyse des discours et des images met en exergue les représentations de leurs auteurs et les représentations qu’ils se font de leurs récepteurs. Aussi en nous appuyant sur une approche sémio-pragmatique du méta-genre discursif, nous proposons ici une discussion sur la communication en ligne à destination des jeunes, à travers le cas de la communication en ligne des bibliothèques de lecture publique.
Plusieurs invariants sont retenus pour identifier un méta-genre web « jeunes » : charte graphique, modalités d’échanges (avec l’institution et/ou entre pairs), personnalisation du discours de l’institution, niveau d’identification du jeune, mode discursif, fonctionnalités informationnelles etc.
Proposer un méta-genre permet de montrer les différentes approches info-communicationnelles des jeunes publics par les bibliothèques de lecture publique. L’approche sémio-pragmatique tient non seulement compte du discours (écrit, images animées ou fixes etc.) mais aussi de la taille de la structure (et donc des moyens techniques et financiers disponibles), du rattachement du site web à un site institutionnel principal (communes, communautés de communes) et du contexte local (pays). En revanche, à ce stade de l’étude, nous n’intégrons pas la formation des bibliothécaires aux technologies numériques, ni la question de la gestion de la communication (à savoir, qui sont réellement les auteurs et gestionnaires des sites des bibliothèques ? Les bibliothécaires ? Les services de communication ? Les deux ?).
Le corpus de sites est limité à des sites de bibliothèques situées en zone francophone : France, Canada, Belgique, Suisse. Outre la langue, ces pays ont en commun le développement important de l’édition jeunesse. Ce sont aussi des lieux où l’enfant est reconnu en tant qu’individu à part entière, où il fait l’objet d’une réelle « attention sociale » et où des initiatives de protection vis-à-vis des médias ont été mises en place.
La question qui se pose ici est : quels sont les critères permettant aux jeunes d’identifier un discours leur étant destinés ?
Nous proposons de développer notre propos en trois parties : d’abord nous reviendrons sur la question de genre, d’abord employé en littérature, cinéma et télévision, pour montrer comment nous l’appliquons à la communication web des bibliothèques de lecture publique. Ensuite, nous exposerons les principaux résultats de notre étude. Enfin nous présenterons notre taxinomie des sites étudiés et les invariants retenus pour qualifier le méta-genre web « jeunes ».
Bibliographie indicative :
Assadi Houssem, Beauvisage Thomas, De Charentenay France et alii, Usages des bibliothèques électroniques en ligne, projet BibUsages, rapport final, juillet 2003, URL : http://bibnum.bnf.fr/usages/bibusages_rapport.pdf [janvier-mars 2012].
Bertrand Anne-Marie et alii, Les bibliothèques municipales et leurs publics : pratiques ordinaires de la culture, Paris : Bibliothèque publique d’information, Centre Georges Pompidou, 2011, 286 p.
Charaudeau Patrick, Les conditions d’une typologie des genres télévisuels d’information, in « Réseaux », 81(15), 1997, pp. 79-101.
Cofremca, Votre enfant deviendra-t-il lecteur ?, Paris : Savoir livre, 1992, 181 p.
Combe Dominique, La stylistique des genres, in « Langue française », 135(135), 2002, pp. 33-49.
De Singly François, Lire à 12 ans : une enquête sur les lectures des adolescents, Paris : Nathan, 1989, 223 p.
Greene Ellin, Books, babies and libraries : serving infants, toddlers, their parents and caregivers, 1991, 186 p.
Jost François, La promesse des genres, in « Réseaux », 81(15), 1997, pp. 11-31.
Kerbrat-Orecchioni, Catherine, L’énonciation, De la subjectivité dans le langage, Paris: Armand Colin, 1980.
La génération des 8-16 ans et la lecture, enquête réalisée par Médiamétrie pour le compte de Hachette Grande diffusion, 1993.
Mondoloni Emilie, Les séries télévisées à destination des publics préscolaires : un méta-genre télévisuel spécifique, in « Recherches en communication », n°34, « Les compétences médiatiques des gens ordinaires (II) », 2012, pp.149-162.
Pasquier Dominique, Cultures lycéennes : La tyrannie de la majorité, Paris : Editions Autrement, 2005, 180 p.
Poissenot, Claude, Les adolescents et la bibliothèque, Paris : Bibliothèque publique d’information, Centre Georges Pompidou, 1997, 360 p.
Poissenot, Claude, Usages des bibliothèques : approche sociologique et méthodologie d’enquête, Villeurbanne : Presses de l’ENSSIB, 2005, 350 p.
Poissenot, Claude, La nouvelle bibliothèque : contribution pour la bibliothèque de demain, Voiron : Territorial, 2009, 86 p.
Repaire Virginie, Touitou Cécile, Les 11-18 ans et les bibliothèques municipales, Paris : Bibliothèque publique d’information, Centre Georges Pompidou, 2009, 37 p.
Sénat Marie-Ange, Animer une bibliothèque destinée à la jeunesse, in « Notre Librairie. Revue des littératures du Sud », n° hors-série. Guide pratique du bibliothécaire. avril – juin 2002.
Soulages, Jean-Claude, Les rhétoriques télévisuelles : le formatage du regard, Bruxelles : De Boeck, Paris : INA, 2007.
Weiss Hélène, Les bibliothèques pour enfants en quête d’un nouveau modèle, in « Bulletin des bibliothèques de France », 2006.
Méthode appliquée et terrain d’étude :
Le corpus de sites est limité à des sites de bibliothèques situées en zone francophone : France, Canada, Belgique, Suisse. Outre la langue, ces pays ont en commun le développement important de l’édition jeunesse. Ce sont aussi des lieux où l’enfant est reconnu en tant qu’individu à part entière, où il fait l’objet d’une réelle « attention sociale » et où des initiatives de protection vis-à-vis des médias ont été mises en place.
Un corpus de 130 sites de bibliothèques de lecture publique a été analysé, soit 80 sites français[1], 26 sites québécois, 15 sites suisses francophones, 7 sites belges. Ce corpus correspond à un ensemble de bibliothèques disposant d’une section jeunesse, ou bien à des sites jeunesse destinés aux publics jeunes. Sont exclus les sites sur la littérature jeunesse destinés avant tout aux adultes, éducateurs ou professionnels (La Joie par le Livre par exemple).
L’analyse porte sur la structure des sites, la charte graphique et le discours à destination des jeunes. Aussi la méthode employée vise à dégager les thématiques récurrentes sur chaque site, les modes de traitement récurrent de l’information et les éléments (vocabulaire, couleurs, logos, symboles etc.) permettant aux jeunes de s’approprier (ou pas) le site et le discours de l’institution.
[1] http://www.centrenationaldulivre.fr/?Adresse-des-bibliotheques
http://www.reseaubiblioduquebec.qc.ca/portail/index.aspx?page=1
http://www.ichschweiz.ch/bibliotheken.asp?lang=fr
Plus d’infos sur le programme du colloque scientifique LUDOVIA 2013 ici