Le Net art s’est développé à l’écart du monde réel, parodiant les institutions médiatiques et les modes de diffusion et de réception de l’art contemporain. Ses manifestations et inscriptions sur Internet ont promu des modes inédits de monstration et de propagation des œuvres.
Ma communication propose de décrire les ressorts et dilemmes de cette contre culture : les modes d’occupation du réseau, les stratégies médiatiques et les dispositifs de détournements artistiques qui contribuent à l’émergence d’un monde de l’art centré sur l’Internet.
À l’instar de la photographie, du cinéma et de la télévision, l’innovation technique et le média que constitue l’Internet font, dès leur apparition publique autour de 1995, l’objet d’une longue série d’appropriations et de détournements artistiques.
C’est alors la matérialité et les fonctionnalités de l’Internet qui forment le cœur des premières investigations du Net art : dans la lignée des œuvres de Nam June Paik ou de Wolf Vostell qui visaient à détruire physiquement la télévision (les sculptures vidéo) ou intervenaient plus symboliquement sur le médium par des altérations du signal vidéo. L’action créative vise ainsi à contaminer l’Internet par des virus artistiques.
Cette implication parasitaire au sein du réseau emprunte ses formes et actions aux comportements déviants des pirates de l’informatique : les hackers.
Les artistes y mettent en œuvre une efficace de l’infection et de la contamination : leur démarche a pour objet l’incident, le bug, l’inconfort technologique et la perte des repères.
Au-delà de cette première visée « médiologique », le Net art interroge également les modes de communication et les formes relationnelles engendrées sur le réseau. Il participe de l’apparition d’une « démocratie technique » à l’articulation des problématiques du logiciel libre et des réseaux peer to peer relayés par des collectifs d’artistes et des réseaux de production indépendants.
Ce n’est pas un hasard si le Net art s’est développé massivement très tôt en Russie et dans les pays de l’ex-Europe de l’Est où la critique des régimes non-démocratiques, l’activisme, le cyber-féminisme, la réflexion sur le concept même de Net art constituent des prémisses. Indissociable de la technologie et du contexte socio-politique des années 1990, Internet révèle les implications sociales du réseau, notamment des technologies de repérage et d’accès à l’information. Le Net art développe donc des dispositifs de distorsion des médias et de leurs contenus, et adopte ainsi une visée plus politique. L’œuvre collective Carnivore (www.rhizome.org/carnivore) propose par exemple une version détournée du logiciel DCS1000 employé par le FBI pour développer l’écoute électronique sur le réseau.
Heath Bunting (www.irational.org) pervertit les communications médiatiques de grandes puissances financières. Les Yes Men et le collectif ®TMark (www.rtmark.com) détournent, dans un but politique, les stratégies de communication de grandes sociétés de courtage privées.
À l’heure de l’Internet 2.0, l’artiste Christophe Bruno incarne le renouveau français de cet imaginaire de l’artiste critique en « s’attaquant » aux outils et rituels du web collaboratif. Il baptise une première série d’œuvre les « Google Hack » : des dispositifs artistiques et programmes informatiques qui détournent Google de ses fonctions utilitaires tout en en révélant les dimensions contraignantes et cachées. Selon l’artiste, Internet est devenu un outil de surveillance et de contrôle inégalé dont la dynamique économique repose sur l’analyse et la prédiction de tendances, à l’aide de logiciels de traçage de la vie privée des goûts et des identités sur la toile.
Au croisement de l’anthropologie des techniques, de la sociologie de l’art et des sciences de la communication, ma conférence mettra au jour ces pratiques médiatiques et leurs incidences sur la désignation et circulation d’une œuvre d’art qui se développe en écho à l’imaginaire de la démocratie technique.
Plus d’infos sur la programme du colloque scientifique sur www.ludovia.org/2015/colloque-scientifique
A propos de l’auteur Jean-Paul Fourmentraux