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Utiliser les potentialités du multimédia interactif

Les outils de communication tels que les blogs ou les forums de discussion trouvent leur utilité et semblent exploités dans leurs possibilités techniques. Mais ces fonctionnalités ne doivent pas en faire oublier d’autres – plus complexes peut-être à mettre en œuvre d’un point de vue technique – présentant d’autres richesses qu’il serait dommage d’ignorer.

Nous allons présenter ici des potentialités offertes par les capacités multimédia et interactives d’internet qui ont un réel intérêt pour l’enseignement et que les sites d’accompagnement scolaires auraient tout intérêt à développer. Les exemples que nous présenterons seront tirés de logiciels ludo-éducatifs actuellement disponibles sur cédéroms mais qui devraient pouvoir inspirer des concepteurs du web 2.0, qu’ils soient professionnels du multimédia ou de l’enseignement. Nous allons à la fois présenter des exemples intéressants et représentatifs des possibles à exploiter mais aussi des situations mal conçues qui empêchent une utilisation efficace d’un point de vue pédagogique.

Des profils pédagogiques différents
Comme un certain nombre de chercheurs en sciences de l’éducation, qui prônent la prise en compte des différences individuelles au-delà d’un simple respect du rythme de chacun, Antoine de la Garanderie met en évidence le fait que les individus ont des « profils pédagogiques » différents (1982). Certains, en effet, ont plus de facilités à interpréter et mémoriser une information s’ils la perçoivent par le canal auditif plutôt que par le canal visuel. Ou vice-versa. Bien sûr, chacun utilise les deux canaux à la fois mais il y en a généralement un qui est plus efficace que l’autre. A moins de capacités particulières ou d’entraînement à développer l’usage de l’autre canal, il sera donc plus facile pour quelqu’un qui a un profil pédagogique plutôt visuel de percevoir, de traiter et de garder en mémoire de l’information lorsque celle-ci se présente sous une forme visuelle (dessin, graphique, schéma ou texte écrit…).

Un autre individu avec un profil plutôt auditif sera plus sensible, par exemple, à une explication orale. Le but n’est pas ici de créer des catégories fixes, réductrices voire normalisantes mais, au contraire, de tenter de mieux comprendre le fonctionnement de chacun pour mieux adapter le message au destinataire.

Avec la pluralité des médias et des représentations, les concepteurs de produits multimédias ont la possibilité de s’adresser à une pluralité de destinataires. En effet, en prévoyant plusieurs modes sensoriels d’accès à l’information, les concepteurs envisagent qu’il y a des interprétants différents dans leurs profils pédagogiques respectifs. Le choix que fera ensuite l’utilisateur ne sera pas forcément conscient : il pourra aller naturellement vers le type de média le mieux adapté à son profil.

Des enfants ayant des profils pédagogiques différents vont, par la médiation d’un seul et même support – et c’est bien cela qui est intéressant – percevoir et comprendre des données identiques, mais de nature différente. Pour comprendre mieux comment le concepteur d’un contenu multimédia peut prendre en compte ces différences, observons des situations existantes qui ont été proposées à des enfants (Kellner, 2000).

La pluralité des médias
Dans le cédérom « Voyage interactif au pays des maths » (TLC Edusoft, 1997), on retrouve différents exemples illustrant cette pluralité des médias.
Une des premières activités que peut rencontrer l’enfant en naviguant dans ce produit est une activité dite Aventure. La consigne est présentée sous forme de vers :
image : Activité Aventure de « Voyage interactif au Pays des Maths ».

On retrouve cette consigne (en haut et à gauche de l’écran ci-dessus) également de manière orale puisqu’un des personnages du cédérom la lit. Un élément graphique intervient en même temps : la ligne qui est en train d’être lue est surlignée en jaune. L’intérêt de cette association réside dans l’accès au texte écrit facilité pour l’enfant qui ne maîtrise pas encore bien la lecture. Une situation similaire peut-elle se présenter sans le support multimédia interactif ? Si en classe, l’enseignant lit un texte écrit au tableau, tout en montrant du doigt les termes au fur et à mesure de leur lecture, il diffuse bien un message selon deux modalités sensorielles différentes. Mais, à moins d’un enseignant pour chaque élève qui lirait le mot montré par l’élève, il ne s’agit pas d’une réelle individualisation de l’enseignement. Ici, en revanche, en cliquant sur chacune des lignes, l’enfant peut avoir accès à la lecture de ce qui y est écrit, et ce autant de fois qu’il le souhaite, à la demande, en fonction de son besoin.

Cette fonctionnalité de l’outil est néanmoins à utiliser avec circonspection. Le rythme de lecture doit être adapté, ce qui n’est pas le cas dans l’exemple cité où il est trop rapide par rapport à la complexité du texte. Si lecture et surlignage sont trop rapides, non seulement, ils ne constituent pas une aide pour l’utilisateur mais deviennent au contraire une gêne : les enfants ont différentes informations de diverses sources à gérer et ils ne peuvent pas le faire au même rythme. Il y a un vrai risque de « surcharge cognitive » (Jacquinot, 1996). Alors que l’association simultanée des médias pourrait permettre une meilleure adaptation à chaque utilisateur, l’inadaptation de la mise en surbrillance au rythme de lecture peut en compromettre l’efficacité, ce qui est particulièrement dommage…

Précisons que ce n’est pas de façon exclusive que les enfants traitent un type d’information mais de manière prioritaire. La simultanéité d’informations de différentes natures est donc très utile dans la mesure où les sources non prioritaires peuvent avoir une fonction de confirmation. Ainsi, Gauthier, 6 ans, explique comment il procède dans l’activité Exploration du Pays 2 : Additions et soustractions du cédérom « Voyage interactif au pays des maths » : « Moi je compte et puis je sais que c’est 5 et puis quand ils le disent, je sais encore mieux que c’est 5 ». L’observation confirme cette auto-analyse. Le fait de pouvoir vérifier son hypothèse lui permet certainement de traiter plus rapidement l’information visuelle en sachant que si son estimation n’est pas exacte, l’information auditive lui permettra de le savoir.

L’importance de l’interface
On voit bien ici que la manière dont les informations vont être mises à disposition des enfants va être fondamentale dans ce qu’ils vont pouvoir en faire. Cette question concerne directement ce que les ergonomes appellent l’interface.

Il s’agit en fait d’un dispositif de médiation technique entre le programme et l’utilisateur qui est défini par le guide pratique de conception et d’évaluation ergonomique de sites Web du Centre de recherche informatique de Montréal comme « un dispositif (matériel et logiciel) grâce auquel s’effectuent les échanges d’informations entre deux systèmes » (Millerand, Martial, 2001). La définition indique que « concrètement, une interface peut être définie comme tout ce qui aide l’humain à comprendre et à manipuler la machine ; le point central des échanges entre la personne et la machine ; une couche composée d’une partie matérielle (écran, clavier, souris, etc.) et d’une partie logicielle qui vient s’interposer entre les concepts de la machine et l’utilisateur » (ibid.). L’interface est donc immanquablement liée à la navigation, autrement dit à la manière dont l’utilisateur se déplace dans le produit, puisque c’est elle qui donne accès aux liens et aux zones actives. Le parcours, résultat de cette navigation, ne dépend donc pas seulement de la volonté de l’utilisateur, mais est aussi en partie induit par l’interface.

Face à l’importance d’une interface bien construite, on peut s’étonner du fait que la littérature, que ce soit en sciences de l’information et de la communication, en sciences cognitives ou en sciences de l’éducation, ne soit pas très fournie. Différentes raisons peuvent être avancées et en particulier le fait qu’on ne peut aborder cette question sans se confronter au délicat problème des usages (Le Marec, 2001). Les recherches, comme celles que mènent Annette Béguin et Bénédicte Amougou (2001) sur le rôle des dispositifs sémiotiques dans l’appropriation des savoirs, ne sont pas très nombreuses. Et pourtant, la question est fondamentale. En effet, une interface claire et lisible est un élément indispensable pour tout produit numérique, en particulier pour un produit à destination d’un enfant-apprenant. Face à un logiciel d’apprentissage, l’utilisateur a la lourde tâche d’accéder à de l’information et de la transformer en savoir. S’il doit dépenser une grande partie de son énergie cognitive à accéder au contenu même du produit, c’est comme s’il devait tourner des pages d’un livre pesant chacune plusieurs kilos.

Observer un enfant en train d’utiliser un produit multimédia interactif permet aussi de s’apercevoir que, même si l’activité paraît bien conçue et articule des informations de nature différente, cela n’est pas pour autant qu’elles seront utilisées. En effet, il peut suffire d’un grain de sable pour que l’engrenage reste bloqué.

D’abord, une information, bien que disponible, peut ne pas être perçue par les utilisateurs. Un simple clic peut interrompre une consigne orale. Une consigne donnée trop tôt après une séquence réussie qui déclenche la joie des enfants et altère durant quelques secondes leur concentration ne sera pas entendue non plus. Si cette information n’est plus accessible ensuite, on passe carrément à côté. La difficulté de l’information auditive, c’est qu’elle s’inscrit dans le flux du temps alors que l’image fixe peut rester affichée et être accessible à tout moment.

Ensuite, une interface visuelle qui ne met pas assez en évidence des éléments essentiels à percevoir est également problématique. Les éléments qui doivent servir au raisonnement de l’enfant doivent être mis en valeur de façon à ne pas lui échapper. Cela paraît la moindre des choses mais cela n’est pas toujours le cas, comme le montre le cas suivant :
image : Activité Exploration de « Voyage interactif Au Pays des Maths », les éléments importants sont encadrés ici par nos soins

Ici, les éléments importants pour la construction du raisonnement sont les différentes écritures (les pattes des insectes au centre de la scène qui forment des collections, l’écriture additive et l’écriture multiplicative). Or, les enfants observés dans la pratique de cette activité ne perçoivent pas les écritures additives et multiplicatives. C’est un vrai problème car l’objectif est bien de faire établir le lien entre les 3 écritures !

Enfin, les problèmes d’interface dans les produits pour enfants sont souvent liés à la maladresse dont font preuve certains concepteurs dans la scénarisation. A trop vouloir cacher l’exercice derrière le ludique, ils recourent à la fictionnalisation qui, dans certains cas, alourdit les situations pédagogiques, voire, les entravent.

La fictionnalisation, un obstacle à la compréhension ?
L’exemple suivant, issu du cédérom « Lapin Malin Maternelle » (Mindscape, 2003), montre lui aussi comment des consignes qui cherchent trop à s’inscrire dans une fiction peuvent poser des problèmes de compréhension.

image : Activité les lettres de la rivieramots de « Lapin Malin Maternelle 2 »,   les saupoudreuses sont entourées ici par nos soins

Lorsqu’il est face à cet écran, l’utilisateur entend « Choisis la saupoudreuse qui porte la 1ère lettre du nom de l’objet placé sur le radeau. Secoue là au-dessus de l’objet pour le recouvrir de poudre d’étoile ». Se posent ici à la fois des problèmes de compréhension du vocabulaire – il n’est pas sûr qu’un enfant de CP connaisse le mot « saupoudreuse » –, de formulation de la consigne – la phrase est bien trop complexe – et d’identification des éléments visuels – reconnaître la saupoudreuse est loin d’être évident, même pour un adulte… Néanmoins, le vaste problème de la consigne est, évidemment, loin d’être propre au cédérom, à la nuance près qu’ici la fictionnalisation trop élaborée complique encore la situation.

Le fait qu’une consigne soit donnée par un personnage de la fiction peut aussi poser problème. Les enfants risquent de ne pas attribuer ce statut de consigne à un énoncé qui n’en aurait pas suffisamment les signes. Dans beaucoup de produits, la fictionnalisation semble être utilisée pour masquer un caractère trop contraignant de l’activité. Or, ceci renvoie à une représentation d’adulte. Quoi de plus ludique qu’une règle qui rend le jeu possible ?

Enfin, à trop fixer leur attention sur la fictionnalisation, certains concepteurs en négligent des paramètres d’exactitude, fondamentaux aux yeux des enseignants. Dans l’activité suivante de « Voyage interactif au Pays des Maths », l’enfant doit placer deux « paquets » de cannes à sucre sur deux plateaux. La somme des deux doit correspondre au nombre en chiffres indiqué entre les deux plateaux. D’un point de vue pédagogique, cette interface pose problème car la ressemblance avec une balance laisse penser faussement à une équivalence entre les deux côtés :

L’intérêt pour l’apprentissage de la lecture
L’intérêt de multiplier les modalités sensorielles sur un même support est peut-être plus évident encore dans les activités de français. En effet, un des enjeux de l’école primaire est de permettre aux enfants d’acquérir une bonne maîtrise de la lecture. Il ne s’agit évidemment pas de déchiffrage pur et simple mais de construction de sens. A des signes arbitraires (des lettres associées entre elles), il s’agit d’associer des référents. Dans leurs apprentissages précédents, les enfants ont été face à des signes analogiques. Le code était assez simple : le dessin d’un oiseau avait quelque chose de ressemblant avec la réalité que ce signe représentait. Il s’agit maintenant pour eux de maîtriser un code dont le rapport entre le signifiant et le signifié est basé uniquement sur des conventions : le signe « oiseau » n’a aucune ressemblance avec l’animal qu’il désigne. On voit donc l’importance de passer par un code analogique pour appréhender ce nouveau code conventionnel.

L’apprentissage de la lecture peut passer par ce recours à ce code analogique. Cela permet à l’enfant d’associer un signe arbitraire (le mot « oiseau ») à un référent (le concept d’oiseau) grâce à l’intermédiaire d’un autre signe visuel (le dessin d’un oiseau). Ici, le multimédia présente un atout de taille puisqu’il peut ajouter un autre niveau de codage par le mot prononcé à l’oral.
Le cédérom « Le Cours Préparatoire » (2006, Génération 5) utilise cette possibilité de façon intéressante. En outre, il est riche dans la manière dont il se présente : ce n’est pas un exerciseur  mais un terrain d’expérience. En effet, le nombre de tentatives n’est presque jamais limité. Dans une des activités, l’enfant peut découvrir les mots prononcés dans l’ordre dans lequel il les a mis, que cet ordre soit celui attendu ou non.

image : Activité méli mélo de « Le Cours Préparatoire ».

Dans cette activité, l’enfant peut, autant de fois qu’il le souhaite, déplacer les étiquettes de manière à modifier l’ordre des mots. Le groupe de mots ainsi composé sera lu, et ce à volonté, et donnera accès à du sens.

La crainte que l’on pourrait avoir, c’est que les enfants se servent toujours de l’information la plus facilement accessible pour eux et ne progressent pas. Pour éviter que l’utilisateur finisse par toujours utiliser la méthode la plus économique pour lui et ne cherche pas, de fait, d’autres stratégies qui lui sembleraient plus difficiles, il faudrait que l’enseignant puisse paramétrer les différentes sources d’information. Selon les enfants et leur stade d’apprentissage, il pourrait ajouter ou supprimer certaines sources d’information de manière à les obliger à utiliser des stratégies qui vont vers plus de formalisation. Le choix des médias par le pédagogue deviendrait alors une variable didactique  qu’il pourrait maîtriser.

Mais, revers de la médaille, devant cette pluralité d’informations, l’enfant risque aussi d’avoir à gérer en même temps trop d’information, ce qui entraînerait une surcharge cognitive. Certains enfants expriment cela très clairement en disant par exemple : « Des fois ça nous aide et des fois ça nous aide pas parce que ça me déconcentre ». Tout est donc une affaire de dosage et d’adaptation précise aux besoins. Il ne s’agit pas de multiplier systématiquement les sources mais de cibler celles que l’on va utiliser en fonction des situations et des apprentissages souhaités.

On voit bien ici comment le multimédia peut être riche en possibilités. Mais malheureusement, trop de produits se contentent souvent de juxtaposer des informations de nature différente sans chercher à voir le profit qu’il y aurait à les articuler réellement. Dans certains cas, l’ordinateur paraît alors un outil « bien luxueux pour faire tourner les pages d’un livre » (Bossuet, 1982 : 70). Des collaborations plus rapprochées entre pédagogues et concepteurs pourraient permettre d’éviter au cédérom de rencontrer les mêmes écueils que la télévision scolaire des années 1980. Elle s’est en effet heurtée à « l’incapacité de la pédagogie à produire de nouveaux modèles de relation au savoir, en exploitant les potentialités propres de l’image et du son… » (Jacquinot, 1985 : 72).

Si, comme on l’a vu, les différentes modalités sensorielles sont bien pensées, on facilite l’accès à l’information des individus aux profils pédagogiques distincts. Mais on peut aussi favoriser les situations expérimentales – dont l’intérêt pédagogique est aujourd’hui incontesté – en utilisant en particulier une caractéristique du multimédia interactif : l’animation.

L’intérêt de l’animation

De nouvelles variables didactiques
En effet, le fait que l’image puisse s’animer sous les yeux de l’utilisateur suite à son action présente un véritable intérêt. Cette caractéristique permet d’introduire une variable didactique nouvelle, possible uniquement grâce à la dynamicité du support.

Le cédérom « J’apprends à calculer » (collection Nathan Premiers apprentissages, 5-7 ans, Havas Interactive, 1998) propose ainsi une situation qui utilise le fait que l’image puisse s’animer comme variable didactique. Dans l’activité Apprendre à soustraire, l’utilisateur est face à un écran qui présente une collection d’objets. Une voix-off indique qu’il doit en rester un certain nombre et l’enfant est censé faire une soustraction pour en enlever le nombre exact. On veut donc l’amener à recréer le processus de soustraction.

Le raisonnement mené par deux enfants de 6 ans que nous avons eu l’occasion d’observer lors de la manipulation de ce produit, Nicolas et Lucile, semble riche d’enseignement. Alors qu’il y a 15 biscuits représentés à l’écran, une voix annonce qu’il y a 15 biscuits et qu’il faut en garder 6. L’enfant doit cliquer sur les biscuits qu’il veut voir disparaître.
Nicolas clique sur quelques biscuits puis compte combien il en reste. Il continue ainsi à en supprimer, à compter ce qu’il reste, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus que 6.
A son tour, Lucile prend la souris et procède de la même manière que Nicolas pour laisser le bon nombre d’objets.

Lorsqu’on leur demande combien ils ont enlevé d’objets, ils ne le savent pas : ils n’ont donc pas réalisé de soustraction mais simplement effectué des dénombrements successifs.

A la situation suivante, il y a 20 fleurs représentées à l’écran et le personnage de l’ours dit : « Il y a 20 fleurs, il faut en garder 10 ».
Nicolas :    – Aïe, aïe, aïe !…Il faut que j’enlève la moitié.
Lucile :    – Ouais, c’est tout facile.
Nicolas repère visuellement la moitié des fleurs et clique pour enlever la première. A partir du moment où il a cliqué, les fleurs se mettent à bouger dans la case.


Ecran de l’activité Apprendre à soustraire de « J’apprends à calculer ». 

Nicolas :    – Ouah, ça arrête pas de bouger maintenant ! Ah, ben maintenant, je sais pas où j’en suis.
Il essaie de compter les fleurs qui bougent et se superposent parfois mais il ne parvient pas à en laisser le bon nombre.
Lors de l’essai suivant, il essaie d’aller très vite pour que les objets n’aient encore pas trop bougé. Cela ne lui permet toujours pas de trouver la bonne réponse.
Lucile :    – T’en enlèves 10.
Nicolas :    – Combien j’en ai là ?
Lucile :    – Ben… Tu dois en enlever 10.
Lucile, ayant compris qu’il était très difficile de donner la bonne réponse comme ils le faisaient jusque là en dénombrant les objets qui restaient visibles à l’écran, a changé de stratégie et a calculé combien elle devait en enlever.

Elle a donc, en fait, calculé mentalement le résultat de la soustraction et utilise à nouveau cette stratégie lors de la situation suivante.
Nicolas, lui, procède toujours selon la première démarche jusqu’au moment où il cherche une stratégie plus adaptée : tant que les objets n’ont pas commencé à bouger, il dénombre ceux qu’il faut garder, les cache et repère visuellement les objets qu’il faut enlever. Mais il se trouve devant la même difficulté : dès qu’il clique sur un objet, ils changent de place, il ne peut plus les retrouver.
Il se voit donc contraint de procéder autrement : il dénombre les objets qu’il faut garder, les cache et compte le nombre d’objets qui restent visibles. Il sait ainsi combien il faut en enlever. Le fait que les objets se mettent à bouger au premier clic n’est donc plus un obstacle.

Deux stratégies finales et efficaces ont donc été mises en place par les enfants. Chacun a adopté sa propre méthode : Nicolas a dénombré les objets à enlever alors que Lucile a fait directement la soustraction mentalement, processus opératoire qu’elle dominait déjà certainement avant l’utilisation du cédérom.

On voit ici de façon claire comment Nicolas, en particulier, a construit progressivement sa stratégie et a fini par réaliser ce qui n’est pas encore une soustraction mais une étape pour y arriver : une addition à trous. Le processus qui lui a permis d’y arriver a été rendu possible grâce à deux aspects du multimédia.
D’abord, le nombre d’objets total est annoncé oralement et le nombre qui doit rester est dit et écrit : l’enfant n’a donc pas besoin de dénombrer toute la collection et il peut envisager directement une démarche opératoire comme celle de Lucile.

Ensuite, le fait que les objets se mettent à bouger est une variable didactique nouvelle et construit une configuration où l’enfant ne peut plus faire fonctionner les stratégies qui fonctionnaient précédemment et qui lui permettaient de trouver les bonnes réponses en contournant l’objectif voulu par les concepteurs. A partir du moment où les objets se mettent à bouger ces stratégies ne sont plus opérantes et il est finalement forcé à en mettre en place d’autres qui lui permettront d’intégrer progressivement le principe opératoire de la soustraction.

Un certain nombre des enfants observés ont le même type de raisonnement que Lucile et Nicolas. Quelques autres, cependant, continuent à répondre correctement même lorsque les objets se mettent à bouger. En fait, pour ceux qui dominent bien la manipulation de la souris, les objets ne se déplacent pas suffisamment vite ; ils peuvent continuer à utiliser leur stratégie initiale et réussissent à contourner cette variable didactique. Pour constituer une variable didactique qui pousse tous les enfants à trouver la stratégie qui les amène à la soustraction, les objets devraient se déplacer suffisamment vite pour rendre inefficace le dénombrement de ceux qui restent et les obliger à dénombrer ceux qui sont à enlever.

Cette activité, en tout cas, crée bien une situation d’apprentissage car elle place les enfants face à ce manque qui est à l’origine de tout apprentissage. Sans situation qui oblige l’enfant à trouver une nouvelle façon de résoudre le problème posé, il ne se crée pas le manque nécessaire à la mise en place d’une démarche adaptée et aboutissant à la construction d’une notion. C’est le défaut de beaucoup d’activités multimédia : il manque une véritable intention des auteurs sur la variable didactique mise en place.

Des stratégies d’économie cognitive
Néanmoins, si les variables didactiques ne sont pas bien pensées, les démarches adoptées par les enfants ne sont pas forcément celles que l’on imagine. De manière générale, s’ils en ont la possibilité, les enfants choisiront la stratégie qui leur permettra de répondre de la manière la plus économique possible.

Mais on rencontre aussi d’autres stratégies qui semblent guidées par des logiques auxquelles on ne s’attend pas forcément. Dans l’activité Exploration du Pays 3 : addition et soustraction de « Voyage interactif au Pays des Maths », les enfants doivent « fabriquer » des desserts en utilisant des pots de sucre. L’objectif est d’amener à effectuer des soustractions au fur et à mesure qu’ils utilisent les pots de sucre. Les concepteurs ont certainement imaginé que les utilisateurs varieraient les desserts choisis et seraient donc amenés à effectuer des soustractions différentes. En fait, certains enfants veulent réaliser le plus de desserts possibles. Ils vont donc répéter systématiquement une opération très simple qui revient à enlever systématiquement une unité, comme dans cet exemple où l’élève a fabriqué 8 desserts nécessitant chacun 1 pot de sucre :

D’un point de vue pédagogique, l’intérêt de l’activité, telle qu’elle est menée par les enfants, est donc très limité…

Conclusion

Malgré les différents problèmes qui peuvent en limiter l’efficacité, les exemples cités montrent bien comment la multimodalité des informations est bien une spécificité du support multimédia interactif qui présente de réels intérêts pédagogiques. Passer par des activités comme celles-ci permet une approche spécifique dans la mesure où on est face à des situations d’apprentissage intégrant de nouvelles formes d’accès au savoir, qu’il s’agisse de procédures manipulatoires qui aident l’apprenant à prendre conscience des règles du monde réel ou de variables didactiques impossibles à créer autrement et qui le forcent à reconstruire ces règles.

Néanmoins, on rencontre sue le web notamment beaucoup d’activités qui se contentent bien souvent de reproduire des situations présentes sur des supports papier. Construire des outils réellement riches et pertinents nécessite un certain nombre de compétences que n’ont pas forcément les auteurs qui aliment le web 2.0. Si cet outil est riche en termes de collaboration, il risque peut-être aussi de réduite les qualités multimédias et interactives des outils numériques. Le web 2.0., par essence, ne développe pas les mêmes qualités que les produits éditoriaux bien pensés. Il doit développer ses qualités propres et être complémentaire des produits plus construits, plus professionnels qui, souhaitons-le devraient continuer à garder leur place et à la conforter grâce à une qualité grandissante.

Communication scientifique LUDOVIA 2008 par Catherine KELLNER
CREM (Centre de REcherche sur les Médiations)
Université Paul Verlaine-Metz

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