Étiquette : Colloque scientifique

  • L’imaginaire en action dans l’appropriation sociale d’un territoire numérique : étude du cas Minecraft

    L’imaginaire en action dans l’appropriation sociale d’un territoire numérique : étude du cas Minecraft

    imaginaire

    Nous proposons d’explorer la problématique de l’appropriation des espaces numériques à partir d’une étude de cas portant sur l’expérience individuelle et communautaire du jeu vidéo indépendant Minecraft (Mojang, 2011).

    Minecraft est une simulation interactive d’environnements de type « bac à sable », essentiellement constitué de blocs formant des ensembles aux propriétés variées et calquées sur la diversité des biomes naturels (prairies, forêts, déserts, toundra). Le moteur du jeu s’appuie sur un algorithme dynamique générant aléatoirement et continuellement l’environnement perçu par l’utilisateur en trois dimensions.

    La mécanique fondamentale du jeu consiste à extraire et déposer les blocs, gérer un ensemble illimité de ressources puis les réutiliser en tant que matériaux de construction dans le but de créer et modeler librement l’environnement de son choix. Cependant, la vraie particularité du jeu réside dans sa possibilité d’espaces co-construits par la présence simultanée de plusieurs joueurs, connectés sur un serveur accessible en ligne, partageant et enrichissant pour un temps donné le même monde numérique.

    Nous sommes ainsi en présence d’un écosystème d’actions, porté initialement par la combinaison d’éléments simples mais débouchant sur de nombreuses pratiques exprimant des modes d’appropriation d’un espace numérique.

    Plus précisément, le chaînage social offre à la boucle ludique simpliste évoquée auparavant – manipuler des cubes –, une nouvelle direction résultant dans une multitude de créations, faisant émerger des structures complexes : villes à l’échelle, réseaux routiers et souterrains, monuments et cadres architecturaux, en un mot des espaces façonnés et investis collectivement.

    L’hypothèse sociologique associée à notre étude de cas repose donc sur le phénomène de conversion d’un espace numérique en un territoire organisé, social et symbolique, par le recours à des actions types de la part d’un groupe de joueurs qui se réunit et décide « d’habiter » les lieux.

     

    Nous présenterons les résultats de notre étude en deux temps et deux approches. Premièrement, sous l’angle d’un protocole de recherche, en cours au moment de la rédaction de cette proposition, comprenant la récolte de données massives générées par l’activité des joueurs sur un serveur en ligne à l’aide d’outils de nature logicielle (data-mining tools), et venant nourrir une approche quantitative.

    Cette approche se propose comme une méthode viable et novatrice pour rendre compte de l’intensité de l’engagement individuel dans les vastes systèmes de communication que concrétisent les jeux en ligne en venant questionner leurs usages. En cela, que nous disent ces signaux ludiques de la façon dont se structurent aujourd’hui les relations dans un espace numérique, comment éclairent-ils les procédés de cohabitation, de projets de diffusion ou de liaison à un imaginaire (entendu ici au sens de Durand, répertoire d’images partagées et structurantes) ?

    Dés lors, en s’appuyant sur la méthode suggérée, nous pouvons dégager certains comportements élémentaires en interprétant les coordonnées de déplacement, en observant la transformation visible de l’environnement, voire la fabrication, l’utilisation et l’échange de certaines ressources. Cette compilation d’indices d’activités, en consommation de temps et d’espace, s’avère intéressante si l’on s’intéresse aux diverses réalisations de modèles utopiques (villes aériennes ou sous-marines, dômes géodésiques, cités langiennes, lovecraftiennes), à la circulation de motifs culturels, la référence identificatoire à des récits et la projection dans des rôles de fiction, structurant des centres d’activités socialement réelles.

    Ceci implique bien de questionner le jeu vidéo sous l’angle du rapport entre action et imaginaire, comme cadre de référence sociotechnique (Flichy) : juxtaposition d’un cadre de fonctionnement (simulation informatique) et d’un cadre d’usage (expérience ludique).

    De ce fait et secondement, nous présenterons une approche complémentaire faisant suite à une période d’observation participante (qualitative), où nous proposons de cerner les motifs et attitudes des joueurs sur un mode phénoménologique, attentif à la dimension d’espace vécu du jeu, produit de perceptions et d’expériences singulières significatives.

    Car si ces mondes générés et maintenus par la puissance de calcul d’un processeur, concrétisent par l’image interactive des espaces numériques, un tout, dont la surface est théoriquement infinie (proportionnelle à la mémoire de l’ordinateur qui simule l’environnement), la perception du point de vue du joueur suggère quant à elle la supériorité de ce tout sur la somme des contenants ou parties qui le constituent (en l’occurrence, des blocs de proportion identique).

    En effet, dans notre cas les blocs ont une propriété doublement émergente, ils sont à la fois des objets manipulables et des signes porteurs d’une finalité que le joueur se fixe lui-même, idéalement et en conformité avec des désirs, des motivations subtiles, une subjectivité. En ce sens, la multitude des pratiques narratives, récits et mises en scène présents dans Minecraft, vient alimenter une double définition du territoire numérique : à la fois comme plan relationnel construit – envisageable dans les termes des déterminants de l’action (Weber) et des typifications du comportement (Schütz) – mais également d’un espace de réception et de création de messages propice à la nouveauté.

    Si nos premières observations chercheront à mettre en évidence des règles conditionnant le partage d’un espace, au-travers notamment de sa fonctionnalisation (gestion et distribution de ressources entre acteurs), nous insisterons dans un second temps sur sa sémiotisation, au-travers cette fois de l’expression de finalités de sens et de représentations, avec une approche des médias sous l’angle de l’expérience vécue et de la faculté des environnements techniques à susciter de nouveaux modes de perceptions et d’être-ensemble (Moles, Morin).

    Nous finirons par évoquer la piste des pratiques de détournement créatif (crafting, modding, reverse engineering) qui semblent se révéler pleinement dans l’adhésion massive du public aux technologies numériques, et désigner le jeu vidéo en tant que média véhiculant, comme la littérature et le cinéma (Bogost), une compréhension du social.

     

    Articles parus dans des revues avec comité de lecture :

    • Coussieu W., « La mort dans les fictions vidéoludiques. Analyse d’un imaginaire thanatique contemporain. », Etudes sur la mort. Thanatologie, n° 139 – « La mort dans les jeux vidéo », Juin 2011, Paris, Éditions Esprit du Temps, pp. 51-66.
    • Coussieu W., « Errances virtuelles. La figure du corps-avatar dans l’utopie technicienne. », Les Cahiers européens de l’Imaginaire, n°3 – « Technomagie », Février 2011, Paris, CNRS Éditions, pp.169-173.
    • Coussieu W., « Monde ludique et simulation. L’expérience sociale dans le jeu de rôle en ligne. », Sociétés, n°107 – « L’esprit du jeu », 2010/1, Paris, Éditions De Boeck, 2010, pp. 43-55.

    Note de positionnement méthodologique

    Notre projet de thèse évolue dans le cadre scientifique de l’Ecole Doctorale 180, « Cultures – Individus – Sociétés », Paris Sorbonne Cité, rattachement Section 19 du CNU (Sociologie-Démographie) avec un positionnement alterne et complémentaire en théorie des médias et de la communication, relevant de la Section 71 (Sciences de l’information et communication).

    Notre terrain est fractionné entre un travail de déchiffrement des intentions et motifs culturels mobilisés dans les processus de création assistée par ordinateur, entrepris à partir d’une série d’entretiens qualitatifs menés auprès de concepteurs indépendants de jeu numérique. Suivi d’un questionnement sur la réception et les usages avec la sélection d’un corpus de jeux traité par des méthodes d’analyse de contenu (thématique et sémiotique).

     

    Références

    BOGOST Ian, Unit operations: an approach to videogame criticism, Cambridge Massachusetts, MIT Press, 2006.

    DURAND Gilbert, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Dunod, PUF, 1960.

    FLICHY Patrice, L’imaginaire d’Internet La Découverte, Paris, 2001

    MOLES Abraham A., ROHMER Élisabeth, Psychosociologie de l’espace, Paris, Ed. L’Harmattan, « Villes et entreprises », 1998.

    MORIN Edgar, Le cinéma ou l’homme imaginaire, Paris, Ed. Gonthier, « Bibliothèque Médiations », 1958.

    SCHÜTZ Alfred, Le chercheur et le quotidien : Phénoménologie des sciences sociales, Paris, Méridiens-Klincksieck, « Sociétés », 1987.

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  • Discours et pratiques autour des Ressources Educatives Libre. Etat des lieux de l’utilisation des REL en Europe

    Discours et pratiques autour des Ressources Educatives Libre. Etat des lieux de l’utilisation des REL en Europe

    imaginaire
    Cet article fait partie de la section scientifique « monde éducatif ». La méthode qui a été appliquée pour l’analyse des besoins est un questionnaire pour lequel nous avons obtenu 1176 réponses de  professeurs venant de 19 pays européens.

    Discours et pratiques autour des Ressources Educatives Libre. Etat des lieux de l’utilisation des REL en Europe : stimuler la création par l’utilisation et le partage des ressources numériques en Europe dans le cadre du projet Open Discovery Space.

    Le développement des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) a engendré un bouleversement sociétal. Cette mutation systémique de notre quotidien a impacté de nombreux domaines, l’enseignement et l’apprentissage n’y ont pas échappés, que ce soit au niveau des technologies disponibles, ou au niveau des innovations pédagogiques.

    Les écoles françaises sont équipées en PC, Tableau Blanc Interactif (TBI), tablettes, dotation pour l’achat de ressources (53 % des écoliers français ont accès facilement un ordinateur ou matériel similaire) [1].

    Seulement leur utilisation n’est pas toujours effective, 36% des professeurs utilisent les ressources pédagogiques numériques pour préparer leurs cours et 27 % pour monter des séquences d’activités en classe.

    Il ne suffit donc pas de doter un établissement scolaire d’un TBI pour que les professeurs l’utilisent quotidiennement, et il ne suffit pas de promouvoir l’utilisation des Ressources Educatives Libre (REL)[1] [2] pour qu’elles soient utilisées. L’utilisation des TIC dans les salles de classes a besoin d’être pensé de façon systémique, de tenir compte des variables externes et internes, globales et spécifiques.

    Au regard des diverses révolutions technologiques que le monde contemporain a connu et des recherches sur l’innovation, nous retiendrons que l’accompagnement a une grande part de responsabilité dans l’acceptation ou non de l’innovation. David Autissier et Jean-Michel Moutot [3] énoncent trois catégories de leviers de la conduite du changement : la communication, la formation et l’accompagnement.

    Afin de conduire au mieux le changement dans le développement et l’utilisation des technologies numériques, les acteurs mondiaux, européens et nationaux ont démontré leur volonté d’agir en ce sens. La « Déclaration de Paris sur les REL 2012 » [2] issue du  congrès mondial tenu à l’UNESCO en juin 2012 sur les REL, définit 10 objectifs, parmi lesquels  favoriser une meilleure connaissance des REL et leur utilisation, créer des environnements propices à l’utilisation des technologies pour l’information et la communication, faciliter la recherche, la récupération et le partage des REL, etc.

    La Commission européenne (2012) fait valoir que les TIC « changent radicalement la façon dont les gens apprennent et enseignent » et que ces ressources ouvertes « offrent une opportunité sans précédent d’améliorer à la fois l’excellence et l’équité en éducation » [4].

    En France, Vincent Peillon, Ministre de l’éducation, présente une « stratégie numérique globale » pour «  faire entrer l’école dans XXIème siècle » [5], il a déclaré que c’était une transformation « aussi importante que le fut, au XVème siècle, l’invention de l’imprimerie ».

    Aborder une telle transformation du système éducatif, nécessite de connaître les préoccupations des acteurs du changement de paradigme. C’est dans ce sens, que le projet Open Discovery Space (ODS) [6] a été crée. ODS est un projet européen qui regroupe 23 états et 51 partenaires, pour lequel l’Institut Mines Télécom, Ecole de Management, est coordonnateur national pour la France.

    Les objectifs de ce projet sont de promouvoir les REL, de former et d’accompagner les écoles européennes du 1er et du 2eme degré dans l’utilisation des REL. L’enquête que nous présentons est issue de la première phase du projet dont, l’objectif principal était d’étudier les besoins des enseignants en se concentrant sur : la formation, la politique et la stratégie, les problématiques culturelles et linguistiques, et la qualité des REL.

    Plus de 2000 professeurs européens ont participé aux sessions de formation du projet ODS, et nous avons obtenu 1176 réponses de  professeurs issus de 19 pays européens.

    Les résultats démontrent que l’un des défis crucial pour les professeurs (avec une moyenne de 3,23) est lié à l’évaluation de la qualité des ressources. Plus de 40% des répondants considèrent que la difficulté à identifier des ressources qui correspondent à leur programme d’étude est un obstacle important ou très important à l’utilisation des REL. Le manque de temps, le manque de soutien de l’organisation, et le fait de ne pas avoir l’habitude d’utiliser les REL sont des barrières qui paraissent plus ou moins infranchissables en fonction des pays interrogés. Il convient donc d’analyser ces différences, et d’adapter les actions en fonction des besoins des parties prenantes du milieu éducatif.

    Les résultats de cette enquête nous permettent d’appréhender les freins et contraintes liés à l’utilisation des TIC et des REL dans les salles de classe européenne et les exigences des professeurs, afin de pouvoir répondre à leurs besoins spécifiques en formation et en accompagnement. ODS plaide pour le développement des compétences ; former au choix  des ressources, accompagner les professeurs dans la création et le partage de ressources de qualité, et diffuser les bonnes pratiques. Nous présenterons le portail qu’ODS propose pour les professeurs, les élèves et les parents ainsi que les possibilités de formation et d’accompagnement aux méthodes d’enseignement et d’apprentissage basées sur les ressources numériques.

    La diffusion des TIC à l’intérieur et en dehors des salles de classe passe par une communication pour faire connaître au plus grand nombre les possibilités offertes par ces innovations techno-pédagogiques. Mais pas seulement, car face aux réactions que suscite le changement, il est indispensable de connaître les besoins, afin d’offrir les services numériques permettant de compléter les enseignements existants. Former et accompagner les professeurs dans le processus de changement est une ambition qui ne peut être mise en place sans l’aval et l’utilisation des intéressés.

    Bibliographie

    [1]  PROFETIC. Enquête sur les pratiques numériques des enseignants en France auprès de 6 000 enseignants du second degré. [En ligne]. Ministère de l’éducation nationale, Rapport du 14 juin 2012. Disponible sur http://eduscol.education.fr/numerique/actualites/veille-education-numerique/novembre-2012/pratiques-du-numerique-des-enseignants-enquete   (consulté le 25/02/2013).

    [2] Congrès mondial sur les ressources éducatives libres (REL). Paris, 2012. Déclaration de Paris sur les REL 2012. [En ligne]. Disponible sur : http://www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CI/CI/pdf/Events/French_Paris_OER_Declaration.pdf. (Page consultée le 25/02/2013).

    [3]  AUTISSIER David, MOUTOT Jean-Michel. Pratiques de la conduite du changement : Comment passer du discours à l’action. Paris : Dunod, 2003, 248p.

    [4] Ministère de l’Education Nationale. Ressources éducatives ouvertes : consultation en ligne de la Commission européenne. [En ligne]. Eduscol. In : Commission Européenne. Disponible sur : http://eduscol.education.fr/depeches-de-laef/170801. (Page consultée le 25/02/2013).

    [5] PEILLON Vincent. Faire entrer l’École dans l’ère du numérique, une ambition pour la refondation de l’Ecole. Discours, 2012 [En ligne]. Disponible sur : http://www.education.gouv.fr/cid66604/faire-entrer-l-ecole-dans-l-ere-du-numerique-discours-de-vincent-peillon.html. (Page consultée le 25/02/2013).

    [6]  Projet européen OPEN DISCOVERY SPACE (ODS). « A socially-powered and multilingual open learning infrastructure to boost the adoption of eLearning resources » . Disponible sur : http://www.opendiscoveryspace.eu/. (Page consultée le 07/03/2013).

    Autres références :

    – Chen, Q., 2010. Use of Open Educational Resources: Challenges and Strategies. Hybrid Learning, pp.339–351. Disponible sur : http://www.springerlink.com/index/L75U014G07014762.pdf  [Page consultée le 18 janvier2011].

    – Clements, K.I. and Pawlowski, J.M. (2011), « User oriented quality for OER: Understanding teachers, views on OER and quality » , Journal of Computer Assisted Learning, vol. 28, no 1, pp. 4-14.

    – Condon JC & Yousef F (1975) An Introduction to Intercultural Communication. Maximilian Publishing Company, New York.

    – Hylén, J. (2006) . Open educational resources: Opportunities and challenges. Proceedings of Open Education, pp.49–63. Disponible sur : http://www.knowledgeall.net/files/Additional_Readings-Consolidated.pdf  [Page consultée le 20 juillet 2011].

    – Pawlowski, J.-M. & Richter, T. (2010). A Methodology to Compare and Adapt E-Learning in the Global Context. In: Breitner, M.H. (Ed.), E-Learning 2010 – Aspekte der Betriebswirtschaftslehre und Informatik. Physica-Verlag HD, Berlin, pp.3-14

    – Richter, T. & Ulf-Daniel, E., 2011. Barriers and Motivators for Using OER in Schools. eLearning Papers, 23(Mars), pp.1–7.



    [1] L’expression REL a été créée lors du Forum UNESCO de 2002, et désigne « des matériels d’enseignement, d’apprentissage et de recherche sur tout support, numérique ou autre, existant dans le domaine public ou publiés sous une licence ouverte permettant l’accès, l’utilisation, l’adaptation et la redistribution gratuits par d’autres, sans restrictions ou avec des restrictions limitées…» [2]

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  • Les interfaces numériques dans l’imaginaire de science-fiction : demain, quelle connexion homme-machine ?

    Les interfaces numériques dans l’imaginaire de science-fiction : demain, quelle connexion homme-machine ?

    imaginaireLa science-fiction, qu’il s’agisse de la littérature ou du cinéma, est une bonne façon d’entrer dans les imaginaires numériques contemporains. Il est intéressant de se demander comment la science-fiction se saisit d’une problématique majeure des technologies numériques, celle des interfaces. Comment imagine-t-on demain notre connexion avec les machines, et plus largement avec  l’infosphère, à laquelle ces machines nous donnent accès ?

    La question des interfaces numériques mobilise aujourd’hui les ingénieurs, qui tentent d’aller vers des solutions toujours plus « conviviales » (efficaces, simples, intuitives) pour faire communiquer l’homme la machine ; mais depuis longtemps les auteurs de SF se sont également saisis de cet enjeu de l’interface, qui apparaît en effet comme un nœud essentiel de la relation homme-machine. De la nature de ces interfaces dépendra pour une large part la nature de cette interaction.

    Cette communication se propose d’explorer les imaginaires de science-fiction autour des possibles évolutions de ces interfaces, dont découlent des configurations de rapports homme-machines bien différentes. A travers divers exemples d’oeuvres de SF, nous souhaitons développer deux idées-forces :

    • L’intégration biologique croissante des interfaces. Sans aller jusqu’au cyborg, mi-homme mi-machine (bien incarné au cinéma par le Robocop de Paul Verhoeven), la SF a un faible pour l’interpénétration de l’organique et de l’électronique : il peut s’agir d’implants électroniques permettant à l’homme de communiquer plus vite et mieux avec les machines, mais parfois aussi d’interfaces quasiment organiques comme les biopod d’Existenz, de David Cronenberg. Cette « convergence Nanosciences Biologie Informatique Cognition » est appelée de leurs vœux par les tenants de la post-humanité, qui rêvent de cette fusion de l’homme et de la machine.
    • Les interfaces numériques imaginées par la science-fiction sont très marquées par le paradigme de la réalité virtuelle. Il s’agit souvent de technologies lourdes, reprenant parfois les casques et gants des premiers prototypes de réalité virtuelle, mais plus souvent encore imaginant des techniques encore plus immersives, comme des caissons de réalité virtuelle donnant accès à une réalité virtuelle très réaliste. Ce type d’interface engendre une relation avec l’infosphère assez particulière : très immersive (via des univers virtuels), exclusive et excluante (induisant une coupure avec le monde réel). L’interface hard (le caisson ou le casque de réalité virtuelle), se double d’une interface soft, sous la forme d’un avatar que l’on pilote dans la réalité virtuelle.En ce domaine, la science-fiction a indubitablement ouvert la voie, puisque c’est à  écrivain de SF, William Gibson, que l’on doit la notion de cyberspace (dans son roman Neuromancien, de 1984), conçu comme une « hallucination consensuelle » qui permet aux humains de naviguer dans une sorte de réalité virtuelle abstraite représentant les paquets d’informations stockés dans le réseau informatique mondial.

    Mais la science-fiction trouve aussi ses limites avec sa fascination pour le paradigme de la réalité virtuelle, qui lui fait peut-être négliger d’autres évolutions actuelles des interfaces. Internet n’est toujours pas une « réalité virtuelle » remplaçant notre monde ; on s’y connecte toujours au moyen d’interfaces désormais classiques : clavier-écran-souris. La véritable révolution tient plutôt dans la miniaturisation et la portabilité de ces interfaces : avec les notebooks, les tablettes et les smartphones, on a désormais la possibilité d’une connexion permanente et ubiquiste avec l’infosphère.

    Cette connexion ne se substitue pas à la réalité, ne l’abolit nullement, mais au contraire vient l’enrichir : le paradigme de la réalité augmentée, qui vient ajouter une couche d’information au réel, semble encore assez peu développé dans l’imaginaire de SF, à quelques exceptions près.

     

    Note de positionnement scientifique

    Section de rattachement CNU : 23 (Géographie)

    Cette communication se rattache à la géographie des représentations, appliquée au  domaine du numérique.

    La géographie s’intéresse au numérique parce que les TIC lui offrent un nouveau monde à explorer :

    • D’abord, les TIC modifient notre rapport à l’espace géographique, en modifiant les notions de temps, de distance, et de situation dans l’espace (avec la géolocalisation)
    • Ensuite, les TIC révolutionnent la représentation cartographique de l’espace, à travers les SIG, l’imagerie satellitaire, etc.
    • Enfin, les TIC créent de nouveaux espaces virtuels, qui ont leur propre géographie. Il peut s’agir d’une géographie matérielle (des câbles, serveurs et terminaux Internet, par exemple), mais aussi d’une géographie virtuelle (les espaces virtuels des jeux vidéos, par exemple, ont aussi une géographie propre…)

    Le numérique est donc bien un objet géographique, qui bouleverse la géographie réelle, et constitue même un monde géographique virtuel. Cet univers numérique est également l’objet de représentations, qui peuvent être étudiées en tant que telles, comme pour tous les autres objets géographiques.

    La méthode d’analyse de ces représentations est ici l’analyse et la comparaison de discours : en l’occurrence, le discours, les représentations, et  l’imaginaire véhiculés par les œuvres de science-fiction, autour de la question des interfaces numériques.


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  • La fiction imaginale

    La fiction imaginale

    imaginaireTandis que s’imposent de multiples innovations techniques et la possibilité d’agir sur le vivant, les artistes de la première génération du numérique interrogent, dès 1990, les effets culturels et psychiques de ces bouleversements. Ces « fictions prométhéennes » sont marquées par le retour de figures mythologiques, chimériques ou androgynes qui, de Prométhée à Protée, semblent inscrire l’imaginaire post-humain sous l’égide d’un archaïque en devenir.

    Ces artistes, pionniers du numérique, expérimentent alors des potentiels d’identités fictives et favorisent le glissement d’une problématique du corps – devenu obsolète et nomade – vers celle du visage, afin d’insister sur une époque marquée par des interfaces communicationnelles, par le règne des surfaces et travaillée par de nouvelles modalités de pouvoir.

    Or, si l’apparition d’une nouvelle technique résonne sur la société sous le prisme séducteur d’une fiction, le numérique agence, lui, à l’image d’un mythe des origines, la narration d’un « imaginal[1] », autrement plus subtil. Il remémore en effet un intermonde mi-réel, mi-virtuel qui brouille toutes les frontières et donne consistance à des formes hybrides et « entre-deux ». Sans doute, ces récits ont-ils favorisé l’accueil et la critique du numérique en préparant les esprits, mais aussi les aspects culturels, éthiques et politiques de nos sociétés. Sans doute, ont-ils débridé l’imaginaire et renouvelé les expériences perceptives et cognitives des individus selon des logiques transversales, complexes ou topologiques.

    Cependant la postérité ne semble retenir de cette épopée, ni l’image de l’homme d’après ni les enjeux politiques et épistémologiques de ces expérimentations, mais la fascination quelque peu fétichisée des spécificités numériques. Le désir de perturber le réel par le « jeu des possibles » institue une grammaire visuelle à part entière qui s’épuise peu à peu dans une codification normalisée par le marché des images.

    Cette imagerie façonne dès lors un nouvel ordre visuel, mais également un nouveau marché cognitif où se définissent les croyances et les idées d’une époque. L’étau du réel se relâchant, le capital imaginaire est devenu une force sociale généralisée, dont le capitalisme culturel ou cognitif a fait sa matière première. Cette nouvelle économie semble alors commander et réguler, par l’appropriation des pouvoirs imaginaux, l’énergie psychique, créatrice et symbolique des individus. L’exploitation sociale de cet imaginal, parce qu’il dialogue avec l’inconscient collectif, devient donc l’enjeu d’une appropriation et d’une modélisation. Car qui dit contrôle de l’image et de la production symboliques dit aussi gestion et administration des visibilités et des subjectivités.

    Aujourd’hui, le passage d’une problématique de l’ontologie vers une médiologie, préférant aux notions de « virtuel », de « déréalisation » ou de « simulacre », celles de « 2.0 », de « traçabilité » ou de « données sémantiques » inscrit les discours dans une optique performative. Ainsi la question n’est-elle pas de savoir si c’est mondes intermédiaires existent ou pas, s’ils font revivre le fantasme d’un arrière-monde platonicien, ce qui compte c’est comment cet imaginal pénètre les consciences et participe à modéliser une mémoire commune tissée de virtualités et de mondes possibles.

    De telle sorte que le retour aux origines signe plus profondément la crise du réel lui-même. Il n’y a plus de réalité que construite, si bien qu’il s’agit désormais de découvrir la vérité derrière les apparences, de penser l’origine non plus en arrière de nous, mais en avant. En un mot, plutôt que de faire retour, il faut prédire, modéliser, anticiper.

    C’est pourquoi, au cœur de l’imaginal numérique se produit l’articulation entre arkhaios et arkhein. L’arkhè désigne en effet, à la fois le « commencement » et le « commandement » : arkhaios signifie « qui remonte aux commencements » et arkhein « commander »[2]. Ainsi tekhnè et arkhè se confondent-ils à travers la nécessité d’articuler l’origine et le commandement. La fiction imaginale devient le liant entre mythes et mythologisation des innovations, modèle et matrice d’un univers construit techniquement.

    La compréhension des imaginaires du numérique est donc une opération complexe, puisque d’une part, se cristallise un imaginal archaïque, et d’autre part, s’esquissent les bases d’une confrontation entre fantasmes technophiles et crispations technophobes liées au contrôle, non plus des corps, mais des imaginaires (de la psychè et du cognitif). Afin d’éviter tout glissement conduisant fatalement à un double écueil : celui naïf d’un archaïsme fictionnel et celui stérile d’une lutte entre deux visions de la technique, nous examinerons comment l’art d’aujourd’hui devient l’instrument d’un jeu du possible mimant les dispositifs d’une « mythologisation » propre au discours technique.

    Méthodologie :

    Ma communication s’appuie sur un corpus d’œuvres contemporaines exploitant le medium numérique. Si mon domaine de prédilection est l’esthétique, ma méthode est avant tout transdisciplinaire et se prolonge volontiers dans les Cultural Studies.

    Références bibliographiques :

    Balandier G. (1985), « L’imaginaire désorienté » in Le détour. Pouvoir et modernité, Paris, Fayard.

    Barthes R. (1957), Mythologies, Paris, Seuil.

    Couchot E. et Hilaire N. (2003), L’art numérique. Comment la technologie vient au monde de l’art, Paris, Flammarion.

    Janicaud D. (1985), La puissance du rationnel, Paris, Gallimard.

    Mons A. (2006), Paysage d’images. Essai sur les formes diffuses du contemporain, Paris, L’Harmattan.

    Scardigli V. (1989), « Nouvelles technologies : l’imaginaire du progrès », in L’imaginaire des techniques de pointe. Au doigt et à l’œil, sous la direction d’Alain Gras et Sophie Poirot-Delpech, Paris, L’Harmattan

    Semprini A. (2003), La société de flux. Formes du sens et identité dans les sociétés contemporaines, Paris, L’Harmattan.

    Sfez L. (2002), Technique et Idéologie. Un enjeu de pouvoir, Paris, Seuil.

    Musso P., Ponthou L., Seulliet É. (2005 et 2007), Fabriquer le futur 1 & 2. L’imaginaire au service de l’innovation, Pearson Education France, Paris.



    [1] Entendons par imaginal, un ensemble de représentations primordiales, de prototypes symboliques n’ayant pas d’équivalent dans le réel, mais qui pourtant participe au rayonnement psychique en proposant un « univers partagé de symboles ». C. Fleury (dir.) Imagination, Imaginaire, Imaginal, PUF, Paris, 2006, p.15.

    [2] J. Picoche, Dictionnaire étymologique du Français, Paris, Le Robert, 1992.

     

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  • Imaginations vidéoludiques et possibilités d’être-dans-le-monde-virtuel

    Imaginations vidéoludiques et possibilités d’être-dans-le-monde-virtuel

    imaginaire

    Depuis plus de quarante ans que nous parlons de « jeux vidéo » le syntagme semble toujours et encore insuffisant pour rendre compte de ce qu’il en est de l’expérience qui procède. Cela ne dit pas tout. Tout du moins, cela ne dit pas tout ce qu’il possible de prendre en compte pour savoir de quoi il retourne de pouvoir dire que l’on « joue à un jeu vidéo ». D’ailleurs savons-nous véritablement de quoi « jouer » est le verbe, ontologiquement parlant ?

    Car, s’il est simplement référentiel de s’en tenir aux définitions d’un Caillois ou d’un Huizinga pour faire en sorte que jouer aille de soi, en ne méritant plus d’être questionné quant à son appropriation par un joueur et ce, jusqu’à n’être défini que comme ce qui se passe nécessairement dans tout jeu, alors n’oublions-nous pas de penser ce à partir de quoi se fonde essentiellement toute volonté de jouer ?

    Au risque de voir le jeu s’énoncer comme simple expédient logique convenant aux faits qui s’imposent comme étant d’ordre ludique. Pour autant qu’il s’agisse ainsi de jouer sans jouer, au sens de faire quelque chose de rationnellement justifié au sein d’un jeu se déterminant comme game, à savoir comme un ensemble de règles conditionnant ce qu’il faut faire pour gagner. Or, à travers cet arraisonnement du jeu à son ombre tant structurelle que positiviste, l’essence même du jeu semble perdue, oubliée en deçà de son propre simulacre dont le serious game est la preuve flagrante.

    Cependant, parce que nous sommes joueurs, nous savons que nous avons à rétrocéder au jeu son essence, antécédemment à son recouvrement méthodique au travers de discours au jeu vide. Au sens où il ne saurait être écarté ni même différé que le jeu, par essence, relève d’un « excès » s’excédant en des situations s’ouvrant au-devant de possibilités se présentant comme jouables. Jouer n’aurait ainsi tout d’abord de sens qu’en étant à contresens de ce qui se voudrait d’avance en une situation donné. Attendu que cette opposition se fait entendre jusque dans cette citation d’un texte inédit de Georges Bataille par Derrida :

    « Le jeu n’est rien sinon un défi ouvert et sans réserve à ce qui s’oppose au jeu. »[1]

    De sorte qu’il soit ainsi question d’une « dépense » possiblement sans fin et sans fond du sens, à travers laquelle se déroberait le présent qui, dans l’instantanéité d’une singularité, se prêterait alors au jeu.

    A cet égard, ne voyons-nous pas déjà poindre le rôle de l’imagination quant à cette possibilité de pouvoir excéder l’allant de soi et le convenu d’avance s’imposant par défaut en toute situation, jeux vidéo inclus ? Ainsi, quand Kant parle de libre-jeu de l’imagination face à l’objet beau qui, en raison, ou plutôt en déraison de son inconcevable singularité, ne saurait être déterminé en un jugement objectif, n’entendons-nous pas la forme essentielle d’un jeu se jouant à dessein d’un rapport aux chose se libérant de toute construction objective antérieure ?

    Nous comprenons donc qu’en interrogeant l’expérience propre aux jeux vidéo, nous ne saurions éluder la question de l’imagination et la manière dont cette faculté découvre l’autrement possible de ce qui se penser à l’envers de leurs réalités virtuelles. Ainsi, que l’imagination ait consubstantiellement à voir avec le jeu semble indiquer le point de départ suffisant pour penser et repenser ce qui s’implique d’imagination dans les jeux vidéo, dès lors que cette imagination se distingue « noématiquement », pour ainsi dire, en autant d’imaginaires qu’il y a de joueurs.

    Et en ayant ainsi à mettre au jour ce qui se donne à imaginer aux joueurs au cours de l’expérience qu’ils font des jeux vidéo, nous tâcherons de remonter aussi loin que possible quant à cette appropriation du virtuel et ce, jusque dans son fond de pensée possible. Car, si nous décidons de parler de virtuel plutôt que de numérique, c’est bien parce que les jeux vidéo, à rebours d’autres produits et objets issus de l’informatique, relèvent phénoménologiquement d’une présence au milieu de laquelle les nombres qui les font fonctionner s’effacent en laissant place à quelque chose qui, schématiquement, se nomme en tant qu’étant (ou existant) virtuel. Si tant est que ce soit là tout le paradoxe du mode d’existence des jeux vidéo, tel qu’il mérite d’être questionné à hauteur de l’imagination qui permet de s’approprier la possibilité d’un sens n’ayant rien à voir avec le numérique à proprement parler.

    Et parce qu’il nous faudra définir ce champ imaginaire s’ouvrant au cours de l’expérience vidéoludique, nous pouvons déjà supposer que toute cette réflexion tendra vers l’éclaircissement d’un rapport s’entretenant entre le joueur et le virtuel d’un jeu vidéo, pour lequel il pourra possiblement être question d’« être-dans-le-monde-virtuel ». Au sens où le virtuel, étant ce qu’il est dans la mise en œuvre de sa présence, révèlerait le joueur à sa propre ipséité dès lors qu’il se projetterait de lui-même vers les possibilités d’un monde virtuel à travers lequel se dimensionne sa propre présence dans un jeu vidéo. C’est pourquoi nous aurons notamment à méditer sur l’incontournable texte de Heidegger intitulé Vom Wesen des Grundes, dans lequel il est écrit :

    « “Produire-devant-soi-même” le monde, c’est pour [le Dasein], pro-jeter originairement ses propres possibilités, en ce sens que, étant au milieu de l’existant, il pourra soutenir un rapport avec celui-ci. Mais de même que ce projet du monde n’appréhende pas expressément ce qui est pro-jeté, de même aussi il équivaut à esquisser par-delà l’existant le monde ainsi pro-jeté. Seule cette esquisse préalable par-delà l’existant rend possible qu’un existant se manifeste comme tel. »[2]

    Attendu que cette possibilité d’être-dans-le-monde-virtuel permettra de remettre en ordre ce qui s’entend communément sous la notion d’« immersion », dans la spécificité de sa compréhension vidéoludique.

    Positionnement scientifique :

    Rattaché à l’école doctorale d’Arts plastiques, esthétique et sciences de l’art de Paris 1 Panthéon-Sorbonne (ED 279), Olivier Robert questionne pose les jeux vidéo en question d’une phénoménologie pour laquelle leur expérience permet de rendre compte des possibilités de sens propres au fait de « jouer aux jeux vidéo ». A cet égard, ces recherches s’inspirent tout particulièrement de la phénoménologie heideggérienne, à la lecture de laquelle les jeux vidéo et le virtuel se découvrent une inépuisable paradoxalité quant à leurs conditions de production technique et le jeu, au sens large, dont ils procèdent malgré tout.

     

     


    [1] « L’économie générale » in Derrida, Jacques. L’écriture et la différence. Paris: Editions du Seuil, 1967, P. 403

    [2] Heidegger, Martin. Questions I et II. Paris: Gallimard, 1968, p. 135

  • Les jeux vidéo, utopies contemporaines ?

    Les jeux vidéo, utopies contemporaines ?

    imaginaire

    Actuellement inextricables de la sphère sociale, les jeux vidéo viennent supporter et diffuser des valeurs hypermodernes dont l’hypercapitalisme, indélogeable de nos modes d’existences et de nos manières de penser. Ceux-ci véhiculent des idéologies au même titre que les autres médias et œuvres contemporaines.

    Mais leur particularité vient du fait que les jeux vidéo canalisent toutes les critiques et soupçons d’une culture populaire industrielle. Il devient alors difficile de poser une critique scientifique construite et de l’explorer dans toute sa complexité.

    Il y a pourtant une nécessité à développer dans la recherche et le game design une pensée critique des valeurs et représentations présentes par les jeux vidéo, comme elle est développée ailleurs en Études Culturelles.

    Il nous semble pertinent d’interroger et de nous approprier le concept d’utopie comme un outil pour la création vidéoludique, en explorant notamment une rencontre naissance du jeu vidéo avec la sphère artistique et politique : nous proposons, au travers du mouvement du game art et de l’artgame, de prendre comme premier exemple la performance « Freedom » d’Eva et Mattes Franco.

    Archéologie de l’utopie : constat sur notre société contemporaine

    Les définitions de l’utopie varient suivant la position de pouvoir qu’occupe celui qui l’emploie[i]. Ainsi elle ouvre une controverse politique entre ceux qui désirent le changement vers une société meilleure, ceux qui veulent conserver la société telle qu’elle est, et ceux qui ne croient plus au changement.

    Si depuis l’Antiquité, jusqu’à leur essor au 16ième siècle, les utopies ont un rôle socio-politique présentant une alternative aux pouvoirs en place, dans notre société hypermoderne, nous sommes face à une rupture. L’utopie devient polémique, à la fois soupçonnée d’être l’instrument du pouvoir menant à de possibles dérives totalitaires, et à la fois décriée comme un projet creux et risible.

    Pourtant, en modifiant notre réalité par un effet de contrastes [Jameson, 2007], l’utopie est un moyen de faire apparaître notre société sous un angle nouveau. Elle devient un outil critique dont l’énergie est l’imagination : elle incarne des « lieux autres » révélateurs et expressifs, des « hétérotopies » [Foucault, 1966]. L’hétérotopie entre dans la boîte à outils critiques que nous propose Michel Foucault dans le concept de dispositif sociotechnique, qui nous sert à construire cet article.

    Les jeux vidéo à la lumière de l’utopie : des hétéropies émancipatrices

    Ainsi nous préférons les dystopies fictionnelles, retraçant avec relief les effets les plus néfastes des mécaniques de notre société hypermoderne [Lipovetsky, 2008]. La société de demain ne laisse se dessiner qu’un horizon pessimiste, et souligne fondamentalement notre incapacité à penser une société meilleure hors de l’idéologie actuelle.

    Partons de la performance « Freedom »[1] des artistes Eva et Mattes Franco : elle met en scène une expérience de jeu dans Counter Strike [Valve, 2000] où les artistes expriment aux joueurs leur refus de tuer et leur incompréhension face à cette guerre qui se joue. La rupture du contrat de communication fictionnelle met la violence au niveau de la technique qui contraint les actions dans l’image. Face aux intonations vraies, tout semble faux, du déplacement jusqu’à la communication ; sans le joueur et sa volonté de croire dans la fiction proposée, le système de jeu apparaît, et déconstruit notre regard sur la réalité virtuelle.

    Nous sommes devant un espace hétérotopique, miroir déformé de notre société. Espace de compensation, Counter Strike se dévoile non plus comme une illusion mais comme un moyen de saisir la violence d’une guerre avant de reprendre sa respiration et de se rappeler que « ce n’est qu’un jeu » !

    L’utopie apparaît comme un concept essentiel à l’émergence de nouvelles valeurs.

    Il pourrait bien être utile de le ranger dans la boite à outils du game designer afin d’offrir enfin des jeux vidéo porteurs d’un projet émancipateur.

    L’utopie ouvre un nouveau paradigme esthétique et politique qui n’est pas une représentation réaliste d’une autre société, mais une ouverture, un espace virtuel, contenant de nouvelles idées et la volonté de créer une société meilleure.

    Publications

    « Les jeux sur Facebook : quelques paradoxes du gratuit et du convivial »

    Valérie Arrault et Emmanuelle Jacques, Les jeux vidéo, Quand jouer, c’est communiquer, Hermès, La Revue, 2012, CNRS Editions, Coordonné par Jean-Paul Lafrance et Nicolas Oliveri, supervisé par Éric Dacheux.

    « Quels usages pour les jeux vidéo sociaux sur Facebook ? »

    Colloque les « Usages des médias sociaux : enjeux éthiques et politiques », Organisé par le LabCMO dans le cadre du Congrès de l’ACFAS, Sherbrooke (Québec, Canada), mai 2011.

    Le Plaisir de Jouer ensemble, Joueurs casuals et interfaces gestuelles de la Wii

    Emmanuelle Jacques, L’Harmattan, collection communication et civilisation, 2011

    « Au cœur de l’action motrice : l’information »

    17ème congrès de la Société française des sciences de l’information et de la communication, Dijon, 23 – 26 juin 2010

    « Les joueurs occasionnels et l’expérience-joueur »

    L’Association Internationale des Sociologues de Langue Française (AISLF), Namur, 19-20 mai 2010

    « Les usages sociocognitifs de la Wii : Les relations entre avatars et joueurs »

    Congrès international IHM 2008, Metz

    « Les interfaces utilisateurs »

    CCA Annual Conference 2008, Vancouver

    « Les usages des jeux vidéo, La mimésis sociale »

    Congrès de l’association internationale des sociologues de langues françaises 2008, Istanbul

    « La conception numérique, entre espace intime et monstration, à la recherche des intelligences collectives »

    Actes du colloque RIC 2006, édition L’école des Mines, Paris

     

    Positionnement scientifique, méthode appliquée, terrain d’expérimentation…

    Cet article s’inscrit dans le positionnement du laboratoire IRIEC (Institut de Recherche Intersites Etudes Culturelles) dans la composante ECART (Etudes Culturelles des Arts et Technologie). La spécificité de cette composante se fonde sur une utilisation d’une méthodologie auto-poïétique, soit sur l’interaction entre la pratique plastique et la pratique théorique. Son inscription dans les études culturelles tourne autour de trois axes majeurs :

    –       analyse du support (ici en l’occurrence l’analyse de jeux vidéo issus de l’industrie et du courant game art, artgame ou encore indépendant)

    –       prisme des représentations véhiculées,

    –       intention de l’auteur et réception du joueur.

    Nous utilisons à la fois une méthodologie et des outils issus de la Théorie Critique de l’Ecole de Francfort et de la sphère vidéoludique. La discipline sociocritique née à Montpellier III permet une analyse des tensions sociales qui s’inscrivent dans les œuvres artistiques et vidéoludiques, à l’issue ou à l’insu de ses créateurs. Les théories et pratiques du game design ainsi que la sociologie des usages et des innovations permettent d’apporter un regard à la fois distancié et intérieur au processus de conception des jeux vidéo, trouvant une réelle portée au travers de la mise en place d’outils pour la création de projets vidéoludiques.

    Références bibliographiques

    ABENSOUR Miguel, « L’utopie une nécessaire technique du réveil dans L’atlas des utopies », Le Monde, Hors-série, 2012

    FOUCAULT Michel, Dits et écrits 1984, Des espaces autres (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement Continuité, n°5, octobre 1984, pp.46-49

    « Le Corps utopique », « Les hétérotopies » (Conférence de 1966), Paris, éditions Lignes, 2009

    JAMESON Frederic, Archéologie du futur, Un désir nommé utopie, Paris, Max Milo, 2007

    JENKINS Henry, « Game Design as narrative architecture », Pat Harrington and Noah Frup-Waldrop, Eds., First Person, Cambridge, MIT Press, 2002

    LIPOVETSKY Gilles, SEROY Jean, La « culture-monde », Réponse à une société désorientée, Paris, Odile Jacob, 2008

    RICOEUR Paul, L’idéologie et l’utopie, Paris, Point Essais, 2005

    RIOT-SARCEY Michèle, Dictionnaire des utopies, Paris, Larousse, 2008



    [1] Nous travaillerons également sur un exemple d’artgame, « Chain World » réalisé par le game designer Jason Rohrer pour le GDC « Games which could become a religion » : ce jeu est une expérience singulière et unique (le joueur ne peut jouer qu’une fois avant de le transmettre à une autre personne) axé sur la création d’un monde commun dont les valeurs et les représentations se basent autour de la transmission et de la découverte d’un univers forgé par d’autres.



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  • L’imaginaire au croisement de l’innovation d’applications numériques interactives pour favoriser l’apprentissage

    L’imaginaire au croisement de l’innovation d’applications numériques interactives pour favoriser l’apprentissage

    imaginaire
    Face à la propagation du numérique dans l’enseignement, les méthodes d’apprentissages sont soumises à une rude évolution. L’enseignant doit s’adapter en fonction de la génération actuelle mais aussi des mœurs.

    Les élèves et étudiants actuels utilisent fréquemment le numérique non pas dans un but formateur mais plutôt récréatif. Ils utilisent régulièrement les réseaux sociaux pour communiquer entre eux et sont demandeurs d’interactivité. Ils ont besoin de contrôler le contenu, de se l’approprier.

    Face à ces nouvelles habitudes de l’individu, l’enseignant doit donc s’adapter, faire en sorte de motiver sa classe avec du contenu numérique, tout en continuant son cours. Les enseignants sont amenés à utiliser des manuels scolaires numériques, des tableaux blancs interactifs, à varier le contenu de leurs cours en apportant des suppléments vidéos, des animations graphiques ou encore des images interactives.

    Entre les pro-numérique et les réfractaires, les usages et les retours concernant les TIC dans l’apprentissage sont encore contrastés. Certains sont convaincus de l’augmentation de la motivation et de l’apprentissage, d’autres mettent en avant le fait que l’on accentue le zapping tout en diminuant les capacités de travail et de concentration.

    Les tenants du numérique utilisent ce nouveau contenu pour motiver l’élève et lui apporter des informations supplémentaires. De nombreuses études soulignent l’impact positif des TIC sur la motivation et l’engagement des apprenants facilitant ainsi l’apprentissage (Schnotz & Lowe, 2008 ; Becker, 2000). Utiliser du contenu numérique augmente la motivation de l’élève à apprendre et rend le cours plus intéressant et évocateur (Goldstone & Son, 2005 ; Heim, 2000). Aussi, les élèves peuvent progresser à leur rythme et commettre des erreurs sans se sentir coupable (Giardina, 1992).

    Pour motiver les élèves, les enseignants utilisent de plus en plus du contenu interactif. L’interactivité possède de nombreux avantages au niveau de la motivation et de l’apprentissage. L’apprentissage serait favorisé dans la mesure où le contenu numérique s’adapte aux différences individuelles de l’élève, en respectant son rythme de perception, de compréhension et d’assimilation (Bloom, 1986).

    Cette nouvelle génération a besoin d’interactivité pour fonctionner et apprendre. Le fait de maîtriser les illustrations interactives ou encore la vidéo, de pouvoir gérer le temps (faire marche arrière, ajouter les éléments au moment souhaité, revenir à un passage qu’il n’a pas compris…) favorise ainsi la motivation et l’apprentissage.

    Cependant, il est important de connaître les différents types d’interactivités (fonctionnelle, intentionnelle), de comprendre les différents modes d’interactivités (réactif, proactif, mutuel et interpersonnel), qu’à chaque mode correspond un savoir (savoir, savoir-faire, savoir-être et savoir-devenir) et un niveau d’interaction. Savoir différencier ces différentes interactivités permettrait de bien choisir son document numérique et de pouvoir bénéficier de  meilleurs résultats de la part des élèves.

    Les enseignants peuvent compléter leurs cours avec du contenu numérique (vidéo, animation, audio…), un dispositif numérique (livre interactif, serious games, tablette tactile interactive…), une application numérique (Système d’Information Géographique, salle virtuelle des marchés pour la banque…), mais aussi avec un outil numérique interactif (oscilloscope, voltmètre…).  Une enquête de terrain auprès des enseignants-chercheurs de l’Université de Limoges permettra de découvrir les technologies numériques utilisées lors des cours. Les nouveautés permettant d’enrichir le monde de l’enseignement seront aussi présentées.

    La question est alors de savoir s’il faut former les enseignants au numérique, ou leur proposer régulièrement des ateliers pour les tenir informer des nouveautés. Plusieurs propositions sont envisageables comme ajouter une unité d’enseignement aux technologies numériques dans le cadre du master enseignement (autre que le C2i et C2i2e).

    Réunir les enseignants du secondaire et de l’Université permettrait d’échanger sur les technologies numériques utilisées mais aussi de favoriser de nouveaux apprentissages. Aussi, il semble nécessaire de proposer aux enseignants des ateliers sur l’apprentissage multimédia (qui diffère de l’apprentissage classique) pour comprendre comme l’élève apprend avec les ressources numériques, comment éviter les surcharges cognitives et comment utiliser les ressources numériques.

     

    Note de positionnement scientifique

    Section scientifique de rattachement : 71ème section. Sciences de l’Information et de la Communication

    Méthode appliquée : Pour découvrir les technologies numériques utilisées par les enseignants-chercheurs de l’Université de Limoges, deux méthodes seront appliquées :

    Une enquête quantitative pour recenser et découvrir les contenus numériques, les dispositifs, applications et outils numériques qui sont utilisés dans les cours. Tout enseignant de l’Université pourra ainsi répondre à cette enquête qui sera disponible en ligne.

    q  Après analyse des résultats et sélection des outils, applications et/ou dispositifs numériques utilisés à l’Université, un entretien aura lieu avec les enseignants. L’entretien permettra de voir et de comprendre comment sont utilisées ces technologies numériques mais aussi de découvrir les nouveautés permettant d’enrichir le monde de l’enseignement.

    Terrain d’expérimentation

    Le terrain d’expérimentation sera les enseignants de l’Université de Limoges. Les composantes de l’Université de Limoges basées également dans d’autres villes du Limousin (Brive, Tulle, Egletons, Meymac, Ahun, La Souterraine, Guéret et Neuvic d’Ussel) participeront également à l’enquête et aux entretiens.

    Bibliographie

    Chandler P., Sweller J., Cognitive Load Theory and the Format of Instruction. Cognition and Instruction. 8(4), 2001, 293-332.

    Depover Christian, Karsenti Thierry, Komis Vassilis. 2007. Enseigner avec les technologies: favoriser les apprentissages, développer des compétences. Presses de l’Université de Quebec, 264 p.

    Giardina M ., L’interactivité, le multimédia et l’apprentissage. L’Harmattan. 1999, 242p.

    Lebrun M. & Vigano R., – « Des multimédias pour l’éducation : de l’interactivité fonctionnelle à l’interactivité relationnelle » in Les cahiers de la recherche en éducation, Université de Sherbrooke (Canada), vol 2, no3, Sherbrooke, 1996b.

    Lebrun M.  De Ketele, J.M. Théories et méthodes pédagogiques pour enseigner et apprendre : quelle place pour les TIC dans l’éducation ? De Boeck Supérieur, 2007, 216p

    Lombardo E, Bertacchini Y, Malbos E. De l’interaction dans une relation pédagogique à l’interactivité en situation d’apprentissage des théories aux implications pour l’enseignement.  p. 15

    Mayer Richard E., Heiser Julie, Lonn Steve. 2001. Cognitive Constraints on Multimedia Learning: When Presenting More Material Results in Less Understanding. Journal of Educational Psychology. vol. 93, n°1, p.187-198.

    Mayer Richard E. 2005. The Cambridge handbook of multimedia learning. Cambridge University Press, 680p.

    Paquelin D., L’appropriation des dispositifs numériques de formation : du prescrit aux usages.

    SWELLER, John. 1994. Cognitive load theory, learning difficulty and instructional design. Learning and Instruction, 4, 295-312.

    TRICOT André. 2007. Apprentissages et documents numériques. Belin, p.277

     

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  • Le Gamepode d’eXistenZ : une lecture de la machine lacanienne de production du (a)

    Le Gamepode d’eXistenZ : une lecture de la machine lacanienne de production du (a)

    imaginaireNous parlons de lecture de la machine lacanienne à propos du film eXistenZ de Cronenberg, puisqu’il permet  de comprendre le rapport entre la théorie lacanienne de la machine et les mondes persistants nous est apparu. Ces derniers sont des mondes numériques, reposant sur le web 2.0 tel que Second Life, qui persistent à l’arrêt de son utilisation par l’internaute.

    Le titre du texte de Baudelaire résonne immédiatement face à la notion de deuxième vie hors de notre monde :  Anywhere out of the world. N’importe où car « cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit. Celui-ci voudrait souffrir en face du poêle, et celui-là croit qu’il guérirait à côté de la fenêtre. » Tout cela ne tenant qu’à une question de place.

    Tous pensant qu’il y a un à-côté, un « +1 ». Déployant ainsi une logique des places à travers le fantasme de la place plus une. Un ailleurs, nous renvoyant à la notion de fenêtre, qui permet par la défenestration, de traverser le fantasme, d’être Any where out of this world. Tension vers l’incorporel, qui à l’aune des théories du virtuel, faisant de ce dernier l’apanage de la dématérialisation, nous invoque à faire ici un lien avec les mondes numériques.

    Victor Tausk dans son texte, De la genèse de « l’appareil à influencer » au cours de la schizophrénie, dit que « souvent le malade [schizophrène] est relié à l’appareil [à influencer] par des fils invisibles conduisant à son lit… » Comment alors ne pas s’interroger sur l’ombicable ? Cablage de branchement ombilical de l’homme à la machine vivante qu’est le Gamepode dans le film eXistenZ de Cronenberg. Où les personnages se connectent à un autre monde persistant, en se branchant au niveau du biopore par un câble organique ressemblant à un cordon ombilical allant jusqu’au Gamepode, sorte de placenta sur lequel ils apposent les mains pour sentir ses mouvements.

    Ce film de David Cronenberg, ayant pour particularité que le scénario fut directement écrit pour le cinéma, porte a priori le titre eXistenZ. Seulement la trame narrative du film fait, que nous ne pouvons pas déterminer si le film est eXistenZ ou transCendenZ, la fin du film va virtualisant ce qui était la réalité, comme nous le montre la dernière phrase du film « Dites-moi la vérité, nous sommes encore dans le jeu ? » Affirmant la spécificité du processus de virtualisation, comme dirait Žižek, de produire l’instant où la réalité s’avoue comme étant elle-même virtuellei.

    Notre objet sera donc de vous montrer comment dans ce film, Cronenberg déploie une notion du virtuel propre à la psychanalyse. Celle que Lacan a développé dans sa théorie de la machine, qui est une lecture critique de la pensée cybernétique, ouvrant à une véritable épistémologie de l’informatique.

    Positionnement scientifique
    A la fois artiste et psychanalyste, mes travaux s’ancrent dans la section 72, Epistémologie et philosophie des techniques. Que ce soit sur le plan artistique ou psychanalytique, mes recherches tendent à interroger la notion de machine. Cet article est donc à la croisée entre l’esthétique et l’épistémologie.

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  • Illusions du numérique

    Illusions du numérique

    imaginaire
    Cette communication a pour objet de parler de l’imaginaire du numérique à partir d’œuvres qui n’utilisent pas les nouvelles technologies, plus particulièrement celles présentées lors du festival EXIT 2012 à la maison des arts à Créteil.

    L’exposition, intitulée Low Tech, réunissait des artistes qui partageaient cette approche minimale et qui, pour certains d’entre eux, construisaient l’efficacité de leurs œuvres sur ce que l’on pourrait qualifier d’ « apparence numérique ». En analysant comment fonctionnent leurs œuvres, il sera non seulement possible de décrire certaines des grandes lignes de ce qui constitue aujourd’hui l’imaginaire des arts numériques, mais encore de décoder ce sur quoi il s’appuie, et encore en quoi cet imaginaire a pu produire un « conditionnement du spectateur » qui contribue à asseoir des mythes du numérique. On verra alors comment la complexification des techniques et des technologies s’accompagne de leur incorporation comme « raccourcis conceptuels ».

    Il faudra tout d’abord s’intéresser aux œuvres qui, bien qu’élaborées avec des procédés analogiques, déploient une esthétique numérique si convaincante qu’elle trompe parfois jusqu’au spectateur averti.

    On vérifiera alors à quel point l’interprétation de l’œuvre est conditionnée par les connaissances esthétiques de celui qui l’apprécie (ce qui est une extension de la célèbre phrase de Duchamp : « c’est le regardeur qui fait le tableau »), mais aussi que sa culture l’incline à informer d’autres situations dans lesquelles il se trouve avec le filtre de l’esthétique, comme lorsqu’on admire la nature en l’élevant au rang de paysage (Moineau : 2013).

    On notera ensuite que les œuvres présentées dans l’exposition Low Tech ne peuvent tirer partie d’un « imaginaire du numérique » que dans la mesure où celui-ci, institué et popularisé par l’art numérique, est désormais largement partagé – au point d’être souvent décodé de manière automatique. Pour autant, loin de dissimuler leur dimension bricolée, on verra que ces œuvres exposent au contraire leur mode de fonctionnement, ce que conduit à montrer comment les technologies sont pensées, et promues.

    Grâce à ces œuvres « minimales », on peut effectivement observer les artifices des technologies et constater à quel point leur effet relève d’une esbroufe – « fascination de la technique », disait Bernard Teyssèdre. Et même si cet illusionisme de la toute puissance de l’invention humaine est ancien (penser, par exemple, au faux automate appelé le « turc mécanique »), il n’en conserve pas moins sa force de persuasion, sur lequel jouent les œuvres « low tech ».

    Leur pouvoir heuristique tient justement à leur simplicité et à leur usage volontairement ostentatoire du deus ex machina. Elles en déploient toute l’ingéniosité, distinguant ainsi chacune des techniques mises en œuvre, étapes généralement indiscernables parce que condensées dans des raccourcis technologiques ». Prises à part, elles ne semblent en rien « nouvelles », mais c’est leur réunion en un seul « traité des arts » (Pelé : 2008) qui explique que certains (optimistes) aient pu y voir une « rupture » (Couchot & Hillaire : 2003).

    Finalement, on pourra dire que si ces œuvres « simulent » de l’art numérique, ce n’est pas tant dans le sens usuel de ce mot (qui le fait confondre avec « simulacre ») que dans son sens savant : construction de dispositifs qui ont recours aux mécanismes qu’ils simulent et qui, par leur transposition dans un univers sensible familier, permettent d’en faire comprendre le fonctionnement – comme le fait un simulateur de vol pour le pilotage d’un avion.

    Pour conclure, il s’agira de montrer à quel point ces œuvres ne pouvaient être conçues sans un « imaginaire du numérique », non seulement parce qu’il les nourrit, mais aussi parce qu’il leur fournit des méthodes – ne serait-ce que dans l’économie de moyens propre au DIY (Do It Yourself) et aux réseaux collaboratifs…

    Positionnement scientifique

    Cette communication s’inscrit dans la section (universitaire) 18 (esthétique de la création contemporaine).

    Elle se concentrera son propos sur l’analyse d’ouvres présentées dans l’exposition Low Tech, lors du festival Exit 2012, à la maison des arts à Créteil.

    Elle s’appuiera également sur des textes théoriques (Couchot & Hillaire, Boissier, de Méredieu,  Teyssèdre, Pelé…) ayant contribué à l’écriture d’une thèse d’esthétique : « L’art numérique », un nouveau mouvement dans le monde de l’art contemporain.

    Elle tirera également partie de ma pratique artistique et de mon expérience du monde de l’art contemporain.

    Biliographie relative au résumé de la communication

    Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1981.

    Edmond Couchot et Norbert Hillaire, L’art numérique : comment la technologie vient au monde de l’art, Paris, Flammarion, 2003.

    Jean-Claude Moineau, Pour une critique de la raison paysagère, dans l’ouvrage L’observatoire du paysage d’Edouard Sautai, Les Lilas, Khiasma, 2013.

    Gérard Pelé, Inesthétiques Musicales au XXe siècle, Paris, Éditions L’Harmattan, 2008.

    Bernard Teyssèdre, Ars ex machina. L’art logiciel / visuel à combinatoire automatisée. Ses exploits, ses mythes, dans l’ouvrage collectif, L’ordinateur et les arts visuels, dossiers Arts plastiques n°1, PARIS, Éditions CERAP & Centre Pompidou, 1977.

    Plus d’infos sur le programme du colloque scientifique LUDOVIA 2013 ici